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Le modèle suisse ? Pourquoi l’Europe ne devrait pas tant s’inspirer de la démocratie participative que de l’organisation confédérale helvétique
©Fabrice COFFRINI / AFP

Gilets jaunes

Et si ce n’était pas tant la démocratie participative mais la confédération qu’il faudrait envier à la Suisse ?

Pierre Cormon

Pierre Cormon

Pierre Cormon est journaliste et écrivain suisse.

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Atlantico : Du mouvement des Gilets Jaunes a ressurgi le problème de la représentation dans la démocratie participative, et une proposition allant dans le sens de la démocratie directe semble avoir la faveur de ses membres, le référendum d’initiative citoyenne. Certains appellent à regarder du côté la Suisse pour s’inspirer de son modèle. Quels sont les avantages et les inconvénients politiques du système de référendums et d’initiatives helvétiques ?

Pierre Cormon : Avant de parler des avantages et des inconvénients, je crois qu’il faut mentionner les effets que cela a eus sur le système politique. Mettez-vous dans la peau du gouvernement dans un pays où n’importe quelle loi peut être attaquée par référendum (et en Suisse, le seuil est relativement bas ; il suffit de récolter 50 000 signatures en 100 jours pour que la loi soit soumise au suffrage populaire). Quand vous voulez passer, mettons, une réforme de la loi sur le travail, vous avez intérêt à ce qu’aucun des acteurs majeurs n’y soit frontalement opposé, dans ce cas, particulièrement pas les syndicats ni le patronat. Cela change donc toute la manière de gouverner.  Vous êtes forcé de procéder à de larges consultations et de modifier le projet sur les points qui suscitent trop d’opposition, sinon vous allez à l’échec. Le système est donc très participatif.
De plus, si vous cumulez des outils de démocratie directe et un système de majorité et d’opposition, le risque est que l’opposition obstrue systématiquement l’action gouvernementale. La solution trouvée par les Suisses a été d’intégrer tous les principaux partis au sein des gouvernements, que ce soit à l’échelle fédérale (nationale) ou cantonale. C’est ce qu’on appelle la concordance.
On est donc dans un système où le pouvoir est très partagé.

Revenons aux avantages et inconvénients des outils de démocratie directe ?

Les avantages, c’est qu’ils forcent les autorités à être à l’écoute de la population, en permanence. Tout le monde a une chance de faire valoir son point de vue sans avoir à descendre dans la rue. Ils donnent aussi une légitimité aux décisions politiques et une manière acceptée par tous de trancher les désaccords : le peuple vote. Ils permettent aux citoyens de jouer un rôle actif dans la politique, ce que je trouve très gratifiant. Et ils donnent une identité commune aux Suisses, qui ont des langues, des cultures et des mentalités très différentes.
Les inconvénients, c’est qu’ils ralentissent beaucoup la prise de décision (remarquez que c’est aussi un antidote aux décisions hâtives). Ils font de la Suisse un partenaire très difficile au plan international – vous pouvez négocier des années avec elle pour parvenir à un accord, mais si le peuple le refuse en référendum, tout tombe par terre. Les sujets de votations sont également parfois très complexes, même pour les spécialistes – tout le monde vote donc parfois un peu à l’aveugle. La Suisse comme une bonne partie des pays occidentaux traverse une crise d’identité et nous avons de plus en plus de peine à nous mettre d’accord sur ce que nous voulons. Dans ce cas, le référendum peut être un facteur d’immobilisme – beaucoup de grandes réformes très importantes ont refusées ces dernières années. Et on voit de plus en plus d’initiatives  très radicales soumises au suffrage populaire, alors que leur acceptation peut poser de sérieux problèmes d’application ou créer de grandes difficultés avec nos partenaires extérieurs, notamment l’UE (une initiative est une proposition que tout un chacun peut lancer et qui est soumises au vote populaire si elle récolte 100 000 signatures en 18 mois). Certains y voient une merveilleuse expression de la démocratie, d’autres estiment que la Suisse joue en permanence à la roulette russe.
La spécificité du régime suisse ne consiste-t-il pas dans le fédéralisme qui assure la représentativité démocratique ?
C’est l’une des spécificités, mais pas la seule – j’en cite six autres dans mon livre (1). Il permet beaucoup de proximité entre les citoyens et les autorités. Et il est certainement une des raisons pour lesquelles la cohabitation entre les différentes communautés linguistiques se passe plutôt bien. Beaucoup de décisions qui affectent votre quotidien ne sont pas prises par des gens qui habitent loin et ne parlent pas votre langue, mais par des gens que vous pouvez croiser dans la rue. Mais le monde devient de plus en plus complexe et un nombre croissant de décisions doit être pris au niveau fédéral, ou international. C’est assez mal vécu quand nous devons nous conformer à des règles européennes pour ne pas perde notre accès au marché de l’UE.

Y a-t-il d’autres éléments constitutionnels qui permettent à la démocratie en Suisse de bien fonctionner ? Qu’en est-il notamment du principe de concordance ?

Le principe de concordance, comme je l’ai expliqué, permet aux gouvernements de la Confédération et des cantons d’intégrer différents points de vue, ce qui permet de mieux naviguer dans un système de démocratie semi-directe (semi-direct parce qu’il cumule la démocratie représentative – le Parlement – et des outils de démocratie directe). Le fait que le parlement fédéral soit composé de deux chambres élues selon des modalités différentes (proportionnelle pour l’une, majoritaire pour l’autre) empêche aussi une trop grande concentration du pouvoir dans les mains de quelques partis, comme c’est souvent le cas dans les systèmes purement majoritaires. Il évite aussi la trop grande fragmentation du parlement, comme c’est parfois le cas dans les systèmes purement proportionnels. Et le fait que les politiciens jouissent de comparativement peu d’avantages (même pas un bureau ou un assistant à plein temps pour un parlementaire fédéral) les empêche sans doute de prendre un peu trop la grosse tête. D’un autre côté, cela les rend très dépendants de l’administration et des lobbies pour creuser les dossiers : ils ont peu de moyens pour le faire par eux-mêmes.

Ces éléments vous semblent-ils transposables à la réalité politique française ?

Ce serait aux Français de répondre… Ce que je peux dire, c’est que d’après l’expérience suisse, on ne peut pas simplement introduire des outils de démocratie directe et penser que le reste du système pourra continuer à fonctionner tel quel. Le fait de donner un tel pouvoir aux citoyens nous a obligés à repenser complètement la manière dont le système fonctionne. C’est une évolution qui s’est faite sur des décennies et qui continue aujourd’hui.

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