Le mastodonte allemand a un nouveau programme de gouvernement. Et voilà comment il va nous impacter<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Lindner, Olaf Scholz, Annalena Baerbock et Robert Habeck lors d'une conférence de presse à Berlin pour présenter leur accord pour le gouvernement post-Merkel.
Christian Lindner, Olaf Scholz, Annalena Baerbock et Robert Habeck lors d'une conférence de presse à Berlin pour présenter leur accord pour le gouvernement post-Merkel.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Fin de l'ère Merkel

Un accord a été trouvé en Allemagne en vue de la formation d'un gouvernement de coalition. Le contrat entre les trois partis a permis de définir les réformes économiques, environnementales, sociétales que le nouveau gouvernement va mettre en œuvre. Quelles seront les conséquences pour la France ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Gaspard Schnitzler

Gaspard Schnitzler

Gaspard Schnitzler est chercheur à l’IRIS. Spécialisé sur les questions de défense européennes et d’industrie de l’armement, il y traite notamment des enjeux liés à l’innovation, au spatial, ainsi qu’aux coopérations en matière de défense.

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IMPACT DE LA VISION EUROPEENNE DU NOUVEAU GOUVERNEMENT ALLEMAND POUR LA FRANCE

Bruno Alomar :  Permettez-moi de dire une évidence : personne ne le sait. Qui aurait pu prévoir qu'au cours des 10 dernières années, les élites dirigeantes allemandes renonceraient à tous les dogmes monétaires et accepteraient que la BCE, contre la lettre et l'esprit des traités, se lance dans une politique monétaire aussi accommodante ? Personne ! Et surtout pas au prix de la renaissance en Allemagne d'une extrême droite (AFD) dont l'on oublie trop qu'elle est d'abord une réaction à l'abandon par la BCE de ce que les allemands considèrent comme le "sérieux" monétaire. C'est dire que la politique étant l'art du possible, il est très difficile de faire des prédictions.  
Il me semble en revanche qu'il y a plusieurs questions à se poser. 
Première question : la remontée de l'inflation en Europe, et notamment en Allemagne, va-t-elle pousser les élites allemandes dans leurs contradictions et les forcer, enfin, à mettre les pays du Sud, à commencer par la France, devant leurs responsabilités économiques ? Je ne le crois pas. Je pense que nous regardons l'Allemagne avec l'idée que l'herbe étant plus verte qu'ailleurs, les élites dirigeantes finiront pas exercer une pression sur la France. Or, en réalité, en fait d'élites allemandes, elles sont aussi médiocres et pusillanimes que les élites dirigeantes françaises. Ce n'est pas elles qui mettront la France et les pays du Sud face à leur médiocrité budgétaire et financière : ce sont les marchés. La question est quand ?  
Deuxième question : le dogme atlantiste allemand va-t-il céder à la réalité d'une relation transatlantique abîmée par la compréhension américaine que le sort du monde se jouera dans le Pacifique ? Là encore, contrairement à ce semble croire Emmanuel Macron, les allemands, me semble-t-il, n'ont pas de vision du monde de "rechange" par rapport à ce qu'ils ont toujours fait dans le domaine diplomatique et militaire : l'alignement sur Washington. Ce n'est d'ailleurs pas nécessairement condamnable. Personne de sérieux ne pense que la France, si mal gérée, a quelque chose de convaincant à proposer en la matière. Ceci explique notamment le hiatus - terrible et incompris par nos militaires - entre une armée française de très haut niveau, et la perception négative qu'en ont les Etats membres. 

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Permettez-moi pour conclure, et tenter d'être un peu plus affirmatif, de regarder un pays que je connais mieux : la France. Pour le coup, j'imagine mal que les dirigeants français soient capables de regarder la réalité telle qu'elle est et cessent enfin de ne regarder la France qu'au travers de projets européens chimériques....dont personne ne partage en Europe.

IMPACT ENVIRONNEMENTAL POUR LA FRANCE

Philippe Charlez : Les dés sont donc jetés : c’est une coalition SPD/Verts/libéraux dirigée par le social-démocrate Olaf Scholz qui gouvernera l’Allemagne post Merkel. Pour la première fois depuis 20 ans, le CDU est exclu du pouvoir ; une cuisante défaite pour Armin Laschet qui rêvait de succéder à l’ancienne chancelière.

Couvrant un large spectre politique allant de la gauche au centre droit, le nouveau gouvernement s’est donné une orientation plus que verte. En dehors des affaires étrangères, les Verts dirigeront un super ministère intégrant le climat, l’énergie et…l'économie. Si en France l’industrie avait été fusionnée après le Grenelle de 2007 à l’environnement et au développement durable, l’Allemagne va beaucoup plus loin en plaçant l’économie sous la tutelle de l’environnement. Un mariage entre la « carpe et le lapin » dont rêvent depuis toujours les climato-gauchistes : David Corman avait déclaré lorsqu’il était président d’EELV que l’économie devait être subordonnée à l’environnement et les contrevenants punis par une justice climatique d’exception digne d’un tribunal révolutionnaire.

Sur le plan pratique, la nouvelle coalition s’engage à sortir du charbon d'ici 2030 (soit huit ans plus tôt que l’ancien gouvernement) et à produire toujours en 2030 80 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables avec notamment un développement encore plus massif de l’éolien offshore en Baltique et des lignes à haute tension pour acheminer l’électricité vers la Ruhr et la Bavière. Dans la mesure où le mix électrique allemand ne contient aujourd’hui que 27% de renouvelables intermittents (auxquels il faut rajouter 14% de biomasse et d’hydroélectricité), que le réseau devient instable au-delà de 35% de renouvelables intermittents et que le remplacement des équipements thermiques (voitures thermiques interdites en 2035, chauffage au gaz et au fioul en 2040) par des équipements électriques (véhicules électriques, pompes à chaleur) augmentera significativement la demande électrique, cette stratégie relève de l’utopie. D’autant que l’Allemagne est pratiquement sortie du nucléaire et ne compte pas y revenir. Enfin, cerise sur le gâteau, elle souhaite arrêter la génération électrique au gaz d'ici 2040.

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Le résultat est connu d’avance. Comme la Belgique qui sortira du nucléaire d’ici 2025, l’Allemagne devra au cours des quinze prochaines années accroitre massivement sa consommation de gaz naturel (+ 15% entre 2015 et 2019) pour pallier les intermittences de ses renouvelables. S’ensuivra une flambée supplémentaire des prix du gaz à la grande satisfaction des principaux fournisseurs, Russie en tête. Les prix de l’électricité suivront ceux du gaz, non seulement pour les allemands mais aussi pour l’ensemble des européens qui subiront l’inexorable indexation des prix de l’électricité sur la dernière source mise en œuvre. L’excès de renouvelables dans le mix allemand pourrait aussi induire des instabilités dans le réseau pénalisant non seulement le citoyen allemand mais aussi ses voisins. La stratégie suicidaire allemande s’avère donc perdante sur tous les plans : augmentation des prix, perte d’indépendance énergétique et perte de fiabilité du réseau. Et ce pour un résultat qui, en termes de gaz à effet de serre, s’avère aujourd’hui plus que décevant.

La transition énergétique reposant pour l’essentiel sur l’électricité et le gaz eux-mêmes liés au territoire européen par des réseaux fortement connectés entre nations voisines, des décisions non concertés ne peuvent conduire qu’à des désastres. Tandis que l’Allemagne continue de foncer tête baissée dans son utopique Energiewende et que la Belgique délire en confirmant sa sortie du nucléaire pour le remplacer par le gaz, la France semble revenir à la raison en décidant de lancer la construction de six EPR et de potentiels SMR.

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IMPACT ECONOMIQUE DES PROJETS DE LA COALITION ALLEMANDE POUR L'EUROPE ET POUR LA FRANCE

Michel Ruimy : Au moment où les Vingt-Sept affrontent une nouvelle crise majeure avec l’afflux de milliers de Syriens et d’Irakiens à la frontière avec la Pologne, un nouvel accord de gouvernement a été conclu, après 16 années de gouvernance Merkel, entre les sociaux-démocrates, le parti libéral, qui va hériter du ministère des Finances, et les « Verts », qui dirigeront un super ministère du climat ainsi que la diplomatie. Fruit d’un compromis, ce partage témoigne d’un savant dosage pour combiner des priorités parfois divergentes.

L’alliance du SPD, des libéraux et des Verts entend accélérer l’intégration européenne dans tous les domaines : défense, sécurité, social, migrations, industries… Le futur chancelier Olaf Scholz a même déclaré que la coalition souhaitait défendre la nécessité d’une souveraineté stratégique pour l’Union européenne - UE - (capacité d’action dans des domaines comme l’approvisionnement en énergie, la santé, les importations de matières premières, la technologie digitale…). A tous ceux qui avaient été déçus par la tiédeur de la politique européenne d’Angela Merkel, cette initiative apportera du baume au cœur, en particulier à Emmanuel Macron, qui aurait vraisemblablement apprécié si une telle coalition proeuropéenne était arrivée au pouvoir en Allemagne en 2017…

Outre la protection de l’environnement, avec notamment une sortie du charbon anticipée à 2030 (contre 2038 auparavant) et la légalisation du cannabis, ce contrat envisage le retour à la rigueur financière. Après que l’Allemagne se soit affranchie du « frein à la dette » pendant 3 ans en raison de la pandémie de Covid-19, la nouvelle coalition gouvernementale entend revenir à une certaine austérité budgétaire (équilibre des comptes publics en 2023). Concernant le Pacte de stabilité et de croissance, qui préconise des critères de gestion de finances publiques et dont la réforme sera tranchée en 2022, elle affirme qu’il a fait preuve de sa flexibilité dans le passé mais qu’il doit toutefois devenir plus simple et plus transparent d’une part, pour renforcer son application et d’autre part, pour faciliter les « investissements climat » rendus nécessaires par la transition énergétique. Bruno Le Maire n’aurait pas demandé mieux, lui, qui aura pour homologue le libéral Christian Lindner, défenseur d’une orthodoxie budgétaire.

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Le chapitre sur l’Europe sociale, en revanche, ne mentionne pas de salaire minimum européen, dossier que la France souhaite pousser en 2022, mais met en valeur l’autonomie des partenaires sociaux. Cependant, comme l’avait promis Olaf Scholz durant sa campagne, le salaire minimum passera à 12 euros brut de l’heure (contre 9,60 euros actuellement) dès l’année prochaine.

Il convient de garder à l’esprit que l’inscription d’un projet / réforme dans un tel accord ne garantit pas sa mise en œuvre prochaine et ne peut préjuger des futurs développements de l’UE. En effet, sous la dernière grande coalition de la chancelière Merkel, près de 20% des objectifs inscrits en 2018 dans le contrat liant la CDU-CSU au SPD n’ont pas été réalisés. Il n’est donc absolument pas certain que l’ensemble des objectifs répertoriés dans ce contrat soient atteints d’autant que celui-ci ne s’appuie sur aucun fondement constitutionnel et qu’il n’est pas un contrat qui peut être porté en justice.

Attendons toutefois encore quelques jours avant d’élucubrer car, avant d’être mis en œuvre, il doit être validé par les parties prenantes de la coalition.

IMPACT DU NOUVEAU GOUVERNEMENT ALLEMAND SUR LE PLAN DE LA DEFENSE POUR LA FRANCE

Gaspard Schnitzler : Le portefeuille ministériel de la Défense a été attribué au SPD. C’est une bonne chose pour la France car on peut s’attendre à une certaine continuité par rapport à la politique menée jusqu’à présent. En effet, le SPD appartenait déjà au gouvernement précédent et avait donné son feu vert pour l’ensemble des projets capacitaires en cours. De leur côté, les Verts ont obtenu le portefeuille des Affaires étrangères, qui devrait être attribué à Annalena Baerbock. Ils ont réussi à faire passer plusieurs points qui leur tenaient à cœur sur le domaine de la Défense, notamment sur le contrôle des exportations d’armement, qu’ils veulent renforcer au niveau européen (mise en place d’un règlement européen), mais aussi sur le désarmement nucléaire, deux thèmes chers aux écologistes. Sans surprise, les trois partis de la coalition « Ampel » (SPD/FDP/Les Verts) ont également réaffirmé l’importance de l'OTAN comme principal pourvoyeur de sécurité de l’Allemagne. Si on peut regretter l’absence de mention faite du rôle de l’UE en matière de défense, la future coalition entend néanmoins soutenir le processus de « boussole stratégique » engagé par l’Allemagne pendant sa présidence de l’UE et qui continuera sous la présidence française de l’UE. Cet exercice essentiel doit permettre de cartographier les menaces et d’en déduire de potentiels scénarios d’intervention pour l’UE. Ce qui est en revanche plus surprenant c’est que pendant la campagne le SPD et les Verts ne se disaient pas favorables à investir 2% du PIB allemand dans la défense (conformément à l’objectif de l’OTAN) et que désormais il semblerait qu’ils veuillent finalement investir 3% pour « l’action internationale » dont 1% pour la diplomatie/l’aide internationale et 2% pour la défense.  Enfin, sur la question du nucléaire militaire, les partis s’engagent à renforcer la lutte pour le désarmement et contre la prolifération. C’est pourquoi, ils entendent s’assurer que la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération (TNP) de 2022 donne un véritable élan au désarmement nucléaire et prévoient de soutenir l’intention du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), en tant que pays observateur. Si la question de la présence d’armes nucléaires américaines sur le territoire allemand n’est pas clairement mentionnée, elle devrait se poser à terme, la nouvelle coalition se disant favorable à un monde exempt d’armes nucléaires (« Global Zero ») et donc à une Allemagne sans armes nucléaires sur son sol.

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