Fin de l'ère Merkel
Le mastodonte allemand a un nouveau programme de gouvernement. Et voilà comment il va nous impacter
Un accord a été trouvé en Allemagne en vue de la formation d'un gouvernement de coalition. Le contrat entre les trois partis a permis de définir les réformes économiques, environnementales, sociétales que le nouveau gouvernement va mettre en œuvre. Quelles seront les conséquences pour la France ?
Michel Ruimy
Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.
Philippe Charlez
Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.
Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.
Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.
Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.
Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge
Bruno Alomar
Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).
Gaspard Schnitzler
Gaspard Schnitzler est chercheur à l’IRIS. Spécialisé sur les questions de défense européennes et d’industrie de l’armement, il y traite notamment des enjeux liés à l’innovation, au spatial, ainsi qu’aux coopérations en matière de défense.
IMPACT DE LA VISION EUROPEENNE DU NOUVEAU GOUVERNEMENT ALLEMAND POUR LA FRANCE
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IMPACT ENVIRONNEMENTAL POUR LA FRANCE
Philippe Charlez : Les dés sont donc jetés : c’est une coalition SPD/Verts/libéraux dirigée par le social-démocrate Olaf Scholz qui gouvernera l’Allemagne post Merkel. Pour la première fois depuis 20 ans, le CDU est exclu du pouvoir ; une cuisante défaite pour Armin Laschet qui rêvait de succéder à l’ancienne chancelière.
Couvrant un large spectre politique allant de la gauche au centre droit, le nouveau gouvernement s’est donné une orientation plus que verte. En dehors des affaires étrangères, les Verts dirigeront un super ministère intégrant le climat, l’énergie et…l'économie. Si en France l’industrie avait été fusionnée après le Grenelle de 2007 à l’environnement et au développement durable, l’Allemagne va beaucoup plus loin en plaçant l’économie sous la tutelle de l’environnement. Un mariage entre la « carpe et le lapin » dont rêvent depuis toujours les climato-gauchistes : David Corman avait déclaré lorsqu’il était président d’EELV que l’économie devait être subordonnée à l’environnement et les contrevenants punis par une justice climatique d’exception digne d’un tribunal révolutionnaire.
Sur le plan pratique, la nouvelle coalition s’engage à sortir du charbon d'ici 2030 (soit huit ans plus tôt que l’ancien gouvernement) et à produire toujours en 2030 80 % de son électricité à partir d’énergies renouvelables avec notamment un développement encore plus massif de l’éolien offshore en Baltique et des lignes à haute tension pour acheminer l’électricité vers la Ruhr et la Bavière. Dans la mesure où le mix électrique allemand ne contient aujourd’hui que 27% de renouvelables intermittents (auxquels il faut rajouter 14% de biomasse et d’hydroélectricité), que le réseau devient instable au-delà de 35% de renouvelables intermittents et que le remplacement des équipements thermiques (voitures thermiques interdites en 2035, chauffage au gaz et au fioul en 2040) par des équipements électriques (véhicules électriques, pompes à chaleur) augmentera significativement la demande électrique, cette stratégie relève de l’utopie. D’autant que l’Allemagne est pratiquement sortie du nucléaire et ne compte pas y revenir. Enfin, cerise sur le gâteau, elle souhaite arrêter la génération électrique au gaz d'ici 2040.
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Le résultat est connu d’avance. Comme la Belgique qui sortira du nucléaire d’ici 2025, l’Allemagne devra au cours des quinze prochaines années accroitre massivement sa consommation de gaz naturel (+ 15% entre 2015 et 2019) pour pallier les intermittences de ses renouvelables. S’ensuivra une flambée supplémentaire des prix du gaz à la grande satisfaction des principaux fournisseurs, Russie en tête. Les prix de l’électricité suivront ceux du gaz, non seulement pour les allemands mais aussi pour l’ensemble des européens qui subiront l’inexorable indexation des prix de l’électricité sur la dernière source mise en œuvre. L’excès de renouvelables dans le mix allemand pourrait aussi induire des instabilités dans le réseau pénalisant non seulement le citoyen allemand mais aussi ses voisins. La stratégie suicidaire allemande s’avère donc perdante sur tous les plans : augmentation des prix, perte d’indépendance énergétique et perte de fiabilité du réseau. Et ce pour un résultat qui, en termes de gaz à effet de serre, s’avère aujourd’hui plus que décevant.
La transition énergétique reposant pour l’essentiel sur l’électricité et le gaz eux-mêmes liés au territoire européen par des réseaux fortement connectés entre nations voisines, des décisions non concertés ne peuvent conduire qu’à des désastres. Tandis que l’Allemagne continue de foncer tête baissée dans son utopique Energiewende et que la Belgique délire en confirmant sa sortie du nucléaire pour le remplacer par le gaz, la France semble revenir à la raison en décidant de lancer la construction de six EPR et de potentiels SMR.
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La coopération énergétique européenne n’est pas pour l’instant inscrite à l’agenda européen.
IMPACT ECONOMIQUE DES PROJETS DE LA COALITION ALLEMANDE POUR L'EUROPE ET POUR LA FRANCE
Michel Ruimy : Au moment où les Vingt-Sept affrontent une nouvelle crise majeure avec l’afflux de milliers de Syriens et d’Irakiens à la frontière avec la Pologne, un nouvel accord de gouvernement a été conclu, après 16 années de gouvernance Merkel, entre les sociaux-démocrates, le parti libéral, qui va hériter du ministère des Finances, et les « Verts », qui dirigeront un super ministère du climat ainsi que la diplomatie. Fruit d’un compromis, ce partage témoigne d’un savant dosage pour combiner des priorités parfois divergentes.
L’alliance du SPD, des libéraux et des Verts entend accélérer l’intégration européenne dans tous les domaines : défense, sécurité, social, migrations, industries… Le futur chancelier Olaf Scholz a même déclaré que la coalition souhaitait défendre la nécessité d’une souveraineté stratégique pour l’Union européenne - UE - (capacité d’action dans des domaines comme l’approvisionnement en énergie, la santé, les importations de matières premières, la technologie digitale…). A tous ceux qui avaient été déçus par la tiédeur de la politique européenne d’Angela Merkel, cette initiative apportera du baume au cœur, en particulier à Emmanuel Macron, qui aurait vraisemblablement apprécié si une telle coalition proeuropéenne était arrivée au pouvoir en Allemagne en 2017…
Outre la protection de l’environnement, avec notamment une sortie du charbon anticipée à 2030 (contre 2038 auparavant) et la légalisation du cannabis, ce contrat envisage le retour à la rigueur financière. Après que l’Allemagne se soit affranchie du « frein à la dette » pendant 3 ans en raison de la pandémie de Covid-19, la nouvelle coalition gouvernementale entend revenir à une certaine austérité budgétaire (équilibre des comptes publics en 2023). Concernant le Pacte de stabilité et de croissance, qui préconise des critères de gestion de finances publiques et dont la réforme sera tranchée en 2022, elle affirme qu’il a fait preuve de sa flexibilité dans le passé mais qu’il doit toutefois devenir plus simple et plus transparent d’une part, pour renforcer son application et d’autre part, pour faciliter les « investissements climat » rendus nécessaires par la transition énergétique. Bruno Le Maire n’aurait pas demandé mieux, lui, qui aura pour homologue le libéral Christian Lindner, défenseur d’une orthodoxie budgétaire.
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Le chapitre sur l’Europe sociale, en revanche, ne mentionne pas de salaire minimum européen, dossier que la France souhaite pousser en 2022, mais met en valeur l’autonomie des partenaires sociaux. Cependant, comme l’avait promis Olaf Scholz durant sa campagne, le salaire minimum passera à 12 euros brut de l’heure (contre 9,60 euros actuellement) dès l’année prochaine.
Il convient de garder à l’esprit que l’inscription d’un projet / réforme dans un tel accord ne garantit pas sa mise en œuvre prochaine et ne peut préjuger des futurs développements de l’UE. En effet, sous la dernière grande coalition de la chancelière Merkel, près de 20% des objectifs inscrits en 2018 dans le contrat liant la CDU-CSU au SPD n’ont pas été réalisés. Il n’est donc absolument pas certain que l’ensemble des objectifs répertoriés dans ce contrat soient atteints d’autant que celui-ci ne s’appuie sur aucun fondement constitutionnel et qu’il n’est pas un contrat qui peut être porté en justice.
Attendons toutefois encore quelques jours avant d’élucubrer car, avant d’être mis en œuvre, il doit être validé par les parties prenantes de la coalition.
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