Le macronisme, un moule d’homogénéité sociale avant toute autre chose ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le nouveau ministre de l'Éducation Gabriel Attal et le nouveau ministre de la Santé Aurélien Rousseau quittent l'Elyée après le Conseil des ministres, le 21 juillet 2023.
Le nouveau ministre de l'Éducation Gabriel Attal et le nouveau ministre de la Santé Aurélien Rousseau quittent l'Elyée après le Conseil des ministres, le 21 juillet 2023.
©Bertrand GUAY / AFP

Remaniement

Les personnalités politiques nommées lors du récent remaniement ministériel comme Gabriel Attal, Aurélien Rousseau ou Sabrina Agresti-Roubache partagent le même socle d’homogénéité sociale. Quelles peuvent être les conséquences de cette réalité sur l’action du gouvernement ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : À l’issue du remaniement, au regard des profils des personnalités nommées et des principales figures du gouvernement, si l’on se penche sur la famille d’Aurélien Rousseau, le parcours de Gabriel Attal ou sur les personnalités atypiques représentatives d’un certain milieu comme Sabrina Agresti Roubache, le macronisme n’est-il pas un moule d’homogénéité sociale avant toute autre chose ? Quels sont les exemples marquants et en quoi est vraiment différent des pouvoirs précédents ?

Christophe Boutin : Le remaniement n’a pas changé grand-chose en termes de base sociale du gouvernement d’Élisabeth Borne, mais est-ce vraiment surprenant, et cette relative homogénéité n’est-elle pas le cas finalement de tous les gouvernements ? Lorsque vous avez à composer un gouvernement, vous avez en effet un certain nombre d’éléments qui réduisent vos choix. Vous devez par exemple tenir compte de vos soutiens politiques pour nommer des membres issus de ces diverses formations, comme faire la part belle, au sein de votre parti, à tel ou tel courant. Vous devez aussi tenir compte maintenant de la parité, et même essayer de choisir des profils en relative adéquation avec les postes - même s’il ne s’agit pas de nommer comme ministres des spécialistes du sujet. Vient ensuite, et surtout, la question de la fiabilité des personnes que vous allez nommer, c’est-à-dire la manière dont ils vont se comporter par rapport à vous, mais aussi, comme le rappelait d’ailleurs Emmanuel Macron devant le dernier conseil des ministres, par rapport aux autres membres du gouvernement – c’est toute la question de la collégialité. Finalement, si l’on ajoute la façon dont tel ou tel est vu dans l’opinion, dont il « passe » dans les médias, si l’on évoque les casseroles des uns et les conflits d’intérêt des autres, votre choix est finalement limité, et donc très logiquement à un cadre effectivement socialement homogène à de rares exceptions près – nous allons y revenir -, mais c’est la logique même du système qui vous l’impose, que vous soyez Élisabeth Borne ou Georges Pompidou, Lionel Jospin ou Pierre Mauroy.

Cela conduit effectivement aux situations que nous nous connaissons, mais qui sont bien plus fréquentes qu’on ne le croit, dans lesquelles mari, femme et beau-père sont ou peuvent être à des postes-clefs. Entre l’éventail des possibles réduit et la nécessité de devoir faire confiance, on va naturellement au plus proche, comme aussi à ces amis que l’on a fait entrer en politique, ou à ceux qui ont eu le même parcours que nous et que nous avons fréquenté pendant nos années supposées studieuses. Rappelons-nous les débats sur ces promotions d’énarques qui trusteraient les places, la chose étant quasiment présentée parfois comme le résultat d’un complot balzacien, quand ne jouent que ces liens de proximité que nous faisons tous jouer dans notre vie personnelle. 

Les choses sont rendues plus visibles ici en raison d’abord des modalités d’arrivée au pouvoir du macronisme, qui ont donné l’impression de voir s’imposer une nouvelle caste. Il faut rappeler qu’il est arrivé sur la scène politique dans le cadre d’un bouleversement total et s’est établi sur les ruines des deux « partis de gouvernement », LR et PS, qui, d’alternance en alternance, se partageaient un pouvoir qui, aux yeux des Français, était devenu factice. Lassés, ils ont voulu cette Révolution, qu’annonçait le titre du livre-programme d’Emmanuel Macron. Cela a conduit à un appel d’air dans laquelle se sont engouffrés, comme toujours - et pas plus, pas moins, qu’avec d’autres formations à d’autres époques -, un tiers de militants politiques convaincus qu’ils allaient changer le monde, un tiers d’arrivistes bloqués dans les formations existantes et qui espéraient toucher plus vite au but, et un troisième tiers mêlant des gens plus déçus par les autres formations que vraiment convaincus à d’autres, sollicités pour faire nombre. Ce qui les fédérait, pour des raisons donc diverses, et qui leur a valu le soutien des électeurs, c’est cette idée de changer une classe politique sclérosée, très nette aux législatives de 2017. 

La visibilité accrue de la caste au pouvoir vient donc de ce qu’elle remplacé d’un coup l’ancienne, ce à quoi s’ajoute un élément générationnel plus marqué. Elle serait formatée, arrogante,  autiste ? Oui, sans nul doute pour nombre de ses membres, mais pas plus et pas moins qu’ailleurs : même si les éléments de langage sont différents, Gabriel Attal est-il vraiment différent de Sandrine Rousseau dans son attitude ? Y avait-il moins d’influence des divers réseaux, y compris familiaux, dans le « monde d’avant », quand Jean-Louis Debré décrivait avec des trémolos dans la voix l’œuvre des « dynasties républicaines » qui ont colonisé la République de la même manière que quelques grandes familles nobiliaires avaient pu coloniser le pouvoir sous l’Ancien régime. Moins d’« héritiers », quand mairies et circonscriptions passaient d’une génération à l’autre dans la même famille ? Moins de fraternelles pressions lors des élections locales et sénatoriales ? 

L’autre différence majeure est que, dans cet « entre soi » d’alors, les portes restaient cependant entrouvertes : c’était le rôle de ce que l’on appelait la méritocratie républicaine, système d’examens et de concours qui faisait que, quel que soit son milieu social d’origine - même si les difficultés étaient de fait différentes -, un élève brillant pouvait accéder à un poste de très haut niveau - Georges Pompidou étant ici un exemple évident. Mais, peu à peu, cet élitisme républicain a disparu, et sans vouloir rendre un hommage excessif à Bourdieu, on ne peut que constater la part croissante « d’héritiers » dans les résultats des concours. La destruction méthodique de l’enseignement public - primaire secondaire et universitaire – a rendu quasiment impossible la réussite de quelqu’un qui ne peut disposer, soit, d’une filière spécialisée – école privée ou publique au recrutement élitiste et aux enseignements de qualité, prépas, grandes écoles –, soit, mais cela va généralement de pair, chez soi, d’un apprentissage de règles culturelles et comportementales. Cet entre soi trop évident est tempéré de manière ultra marginale par une discrimination positive – positive pour ses bénéficiaires, mais négative pour les autres si le nombre total de places ne change pas – dans laquelle la France, au moment même où le juge constitutionnel américain la déconstruit, se jette un peu plus à chaque nouvelle réforme.

De tout cela, de la logique même du fonctionnement d’une classe politique comme du remplacement de la méritocratie par le confortable entre soi de la caste, ou de la lassitude des Français devant les jeux des fausses alternances, la macronie n’est pas responsable : elle en bénéficie c’est certain, et elle est en quelque sorte l’aboutissement de la destruction du système républicain – ou, diront certains, celui de la logique même de ce système. 

En quoi cela se voit il aussi niveau électoral ? Cette homogénéité sociale des personnalités du macronisme se traduit-elle aussi par une homogénéité sociale au sein de l’électorat macroniste ?

Oui, il y a effectivement une homogénéité sociale au sein de l’électorat macroniste : ce sont ce qu’on peut appeler le club des « gagnants de la mondialisation » : d’une part une classe de jeunes urbains CSP+ travaillant dans les métropoles, qui évite de justesse le déclassement qui frappe l’ensemble des autres catégories sociales, d’autre part un nombre respectable de retraités obsédés par la crainte du changement et celle de perdre leurs pensions. C’est très clair vote après vote : ce qu’on appelle à la suite de Christophe Guilluy la « France périphérique » n’est pas véritablement convaincue par Emmanuel Macron et ne se sent pas d’affinités particulières avec les discours de ses différents ministres lorsqu’ils viennent sur le terrain. 

En quoi cette homogénéité impacte la vision du monde que ces figures et personnalités du macronisme ont ? Quel en est l’impact idéologique ?

Il ne faut pas oublier le poids de l’idéologie à laquelle participent le groupe politique en question et ses électeurs, ici celui de cette idéologie progressiste dont Emmanuel Macron est l’un des plus efficaces représentants. Un poids idéologique renforcé à partir du moment où l’on fonctionne en circuit fermé et où l’on n’écoute jamais les autres. C’est d’ailleurs typique d’un Emmanuel Macron qui ne débat jamais, ce qui supposerait de prendre parfois en compte des éléments de ses contradicteurs, mais explique simplement aux gens pourquoi il a raison de faire telle réforme. Il le fait d’ailleurs de manière assez pédagogique, étant souvent clair, et sait se montrer très convaincant, mais il n’y a pas eu plus de véritable dialogue dans son Grand débat qu’il y en aura dans ce Conseil National de la Refondation qu’il veut remettre à la mode avec le nouveau gouvernement, tous deux étant simplement les instruments de légitimation pseudo démocratiques de sa pensée profonde. 

Quelles conséquences et quels sont les impacts concrets de cette homogénéité sociale des figures du macronisme, notamment dans leurs actes et leurs actions politiques ? Ça ne conduit-il pas à ne connaître qu’une certaine partie de la France ou uniquement certaines trajectoires ?

Leur monde est essentiellement celui de la fluidité, du mouvement, un monde dans lequel l’immobilité est nécessairement synonyme d’échec. Autrement dit, un monde à rebours de ce qui a longtemps été une valeur essentielle de nos sociétés, la permanence, le fait de pouvoir durer, de pouvoir persévérer dans son être. C’est cette leçon de fluidité que donne régulièrement Emmanuel Macron aux chômeurs quand il leur conseille, un jour de traverser la rue, le lendemain de traverser le port, pour trouver du travail.

Il oublie au passage que ce n’est pas nécessairement ce travail là qu’ils voulaient faire, et que ceux qu’ils vont trouver traduiront surtout leur déclassement en termes de revenus ou de statut, bien loin de la palette offerte aux membres de la caste au pouvoir – dont on rappellera au passage, pour éviter d’entendre cette explication, qu’ils n’ont pas été « meilleurs », mais juste mieux placés par papa et maman pour pouvoir bénéficier de ce choix, et qu’ils ne forment donc pas une « élite », comme ils aiment à s’en gargariser, mais une oligarchie népotique. C’est d’ailleurs pour ce rejet de travaux sans revenus ni statuts qu’il y a ces « métiers en tension » justifiant, selon la caste, de favoriser encore un peu plus l’immigration, ce qui lui permet de bénéficier à bas prix de services en faisant financer la réalité du coût par les contribuables. 

Emmanuel Macron est-il capable de penser en dehors de ce moule ? Qui dans son entourage l’est ou le serait ?

La question n’est pas de savoir si l’on peut penser en dehors d’un moule, mais si l’on veut penser en dehors. N’importe qui pourrait, en interrogent les passants ou en lisant les sondages, se rendre compte du décalage gigantesque qui existe entre les attentes des Français et les buts de cette nouvelle société qu’on leur impose à marche forcée. Mais on n’a pas attendu Emmanuel Macron, là encore, pour voir une classe politique se considérer déliée de toute obligation de répondre à ces attentes. Pourquoi même y penser ? Quand on fait partie d’une caste, on travaille à son profit – et donc au sien propre en même temps ; ici, c’est en mettant en œuvre la feuille de route de la nouvelle société ; point final. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !