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Le gouvernement veut doubler l’épargne des Français investie dans les PME mais pourquoi les Français devraient-ils le faire quand les fonds d’investissement ne le font pas et les banques peu ?
©Reuters

Entre mythe et volontarisme

Dans une interview donnée à la Tribune, la députée Amélie de Montchalin a indiqué vouloir accélérer la transformation des entreprises en injectant 10 milliards d'euros issus de l'épargne des Français.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Dans une interview donnée à la Tribune, la députée Amélie de Montchalin a indiqué vouloir accélérer la transformation des entreprises en injectant 10 milliards d'euros issus de l'épargne des Français : " On ne rêve pas de big bang, nous cherchons à doubler le montant de l'épargne des Français injectée dans les PME, en passant de 5 à 10 milliards d'euros par an, avec des outils à la main de ces acteurs ". Le soutien à l'investissement des PME par l'épargne des Français n'est-il pas un mythe politique à mettre en perspective avec les logiques de marché dans ce secteur ?

Philippe Crevel : En 1978, René Monory, Ministre de l’Economie de Valéry Giscard d’Estaing, avait déjà la volonté de réorienter l’épargne des Français vers les entreprises. Il a ainsi créé le fameuses "Sicav Monory", véhicules d'investissement populaire assorti d’un avantage fiscal. Ces SICAV avaient alors rencontré un vif succès en attirant en deux ans, près d'un million d'épargnants. Depuis cette date, tous les gouvernements ou presque tentèrent de réorienter l’épargne des ménages. Ainsi, une kirielle de produits furent imaginés, FCPI, FIP, contrats DSK, contrats NSK, Plan d’épargne retraite, PEA, PEA PME, CODEVI devenu LDDS, etc. Si l’imagination est au pouvoir, il en manqua point pour faciliter le financement des PME via des incitations diverses et variées. Mais, bien souvent, ces produits, ces formules visaient à redonner d’une main ce que l’Etat avait pris d’une autre à travers l’impôt sur le revenu ou à l’époque à travers l’ISF.

Ce volontarisme politique se heurte à des règles de financement des entreprises assez stables dans le temps. Les PME se financent, en France, comme dans la grande majorité des pays d’Europe continentale, par le crédit bancaire. Cela est lié à la force du réseau bancaire, à la volonté des dirigeants à rester autant que possible maître chez eux et à la complexité liée au passage d’un financement par les marchés. En outre, l’ISF freinait fortement la dilution du capital. Si les Français rechignent à prendre des risques sur les marchés « actions », le nombre d’entreprises disposées à ouvrir leur capital est, par ailleurs faible. Le problème concerne donc l’offre et la demande. Le 2 avril 2013, le rapport Berger / Lefebvre remis aux Ministres de l’Economie et des Comptes Publics Prés, la député Karine Berger avait déjà comme objectif de réorienter et mobiliser à hauteur de 15 à 25 milliards d’euros par an et 100 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat l’épargne financière des ménages en faveur des entreprises et plus spécifiquement des PME et des ETI. Le bilan est édifiant. La création d’un nouveau fonds dans l’assurance vie, le fonds eurocroissance, l’instauration de contrat vie – générations ainsi que la mise en place du PEA – PME n’a pas fait bouger les lignes. Ainsi, en 2017, l’encours du PEA -PME était d’un milliard d’euros et celui de l’eurocroissance ne dépassait pas 2 milliards d’euros donc bien loin des objectifs du début du quinquennat. Ce n’est pas en répétant la nécessaire réorientation de l’épargne que celle -ci interviendra. L’épargnant n’est pas fou et moins stupide qu’il n’y paraît. Il ne veut pas prendre des risques inconsidérés. Il veut de la sécurité et de la liquidité. Pour changer les comportements, il faut faire de la pédagogie et offrir des produits simples et attractifs.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les PME pour leur financement ? N'existe-t-il pas une problématique française liée à une fracture entre les conditions d'exercice d'une activité par de grands acteurs et des entreprises de petites ou moyennes tailles, qui pourrait avoir une conséquence sur l'attrait que peuvent avoir ces PME pour des investisseurs ?

A la lecture des statistiques de la Banque de France, il n’y a pas de problème de financement des PME. Aujourd’hui, elles sont censées à accéder facilement à des prêts à des taux extrêmement bas. Ce n’est pas faux mais cela concerne évidemment les PME en bonne santé, ayant un développement maitrisé et pouvant s’asseoir sur des fonds propres conséquents. Les banques sont, en revanche, plus frileuses vis-à-vis des PME en difficulté et celles à très forte croissance qui peuvent rapidement connaître une sortie de route. En la matière, il ne faut pas accuser les banques qui sont soumises à des ratios prudentiels de plus en plus stricts depuis, en particulier, la crise de 2008. De ce fait, les PME qui font appel à des fonds extérieurs et donc à l’épargne publique sont plutôt à risques. Il en résulte que les fonds demandent des taux de rendement élevé de 8 à 15 % afin de pouvoir compenser les défaillances éventuelles. Les dirigeants des entreprises concernées ont, en règle générale, des relations compliquées avec les gestionnaires de fonds. Par ailleurs, l’entrée au capital de tel fonds suppose une transparence forte des comptes ce qui peut déplaire aux dirigeants.

Les PME éprouvent traditionnellement des difficultés à accéder au financement. Leurs dirigeants par méconnaissance ou faute de temps, ne vont pas monter les dossiers complexes. C’est pourquoi d’un côté la Banque de France ne constate pas de réels problèmes de financement, quand dans le même temps, les chefs d’entreprise n’ont pas le même ressenti.

Quels sont encore les efforts à fournir pour permettre un financement optimal des petites et moyennes entreprises en France ?

La structure financière du pays a été réalisée au profit de grosses entités. A la différence de l’Allemagne, la France est un pays de très grandes banques, BNPPARIBAS, Société générale, Crédit Agricole, BPCE dont les fondamentaux sont définis au niveau national. Ces grandes structures bancaires ont une bonne connaissance des entreprises de taille nationale ou mondiale mais sont moins adaptées au suivi de TPE, de PME ou d’ETI. Ces grandes banques qui ont été nationalisées en 1945 ou en 1982 avant d’être privatisées à partir de 1986 ont une culture assez étatique. L’autre problème provient de la faiblesse des structures pouvant jouer le rôle d’intermédiaire entre les PME et les épargnants. A la différence des Etats-Unis, les structures d’intermédiation sont en nombre limité. Certes, il y a les gestionnaires des Fonds d’Investissement de Proximité, des Fonds de Commun de Placement Innovation mais il s’agit de micro-marchés. La création de trois ou quatre places de marché en plus de Paris permettrait de redonner du corps au financement régional. En Allemagne, les PME peuvent compter sur les caisses d’épargne régionale que ce soit en tant que banquier ou que ce soit en tant qu’investisseur.

Pour attirer le grand public, il convient de créer le Livret A du 21e siècle qui prendrait la forme d’un compte titres pour les moins de 18 ans permettant de gérer 10 000 euros d’actions en franchise fiscale. Toujours dans un souci de pédagogie, des notions de comptabilité et de financement des entreprises devraient enseignées au lycée de manière très concrète.

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