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Le gaullisme, cette religion devenue en quelques décennies l’opium du peuple français et le bromure de l’imagination politique
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Bonnes feuilles

Le gaullisme est devenu un passe-partout. La référence à de Gaulle assure au député de gauche un brevet de réalisme et elle tempère l’image réactionnaire de l’élu de droite. Une figure de l’extrême droite veut adoucir son profil ? Elle revendiquera sa de Gaulle attitude. Au fil des années, ces nouveaux adorateurs de la croix de Lorraine ont institué un véritable fétichisme gaulliste. Et gare à ceux qui contreviennent au culte du Général. Extrait de L'obsession gaulliste" d'Eric Brunet (Albin Michel) 1/2.

Eric Brunet

Eric Brunet

Eric Brunet est l'auteur de l'Obsession gaulliste aux éditions Albin Michel (2017). Il présente Radio Brunet tous les jours sur RMC de 13 heures à 15 heures

Il a par ailleurs publié Etre de droite, un tabou français (Albin Michel, 2006) et Dans la tête d’un réac (Nil, 2010).

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Le gaullisme est devenu un passe-partout, un sésame qui permet à n’importe quel politique de tenir en respect les critiques. La référence à de Gaulle assure au député de gauche un brevet de réalisme (il se dira alors « gaulliste social ») et elle tempère l’image trop réactionnaire de l’élu de droite. Une figure de l’extrême droite veut adoucir son profil ?

Elle revendiquera sa de Gaulle attitude. Un ténor de l’extrême gauche veut gommer son image d’idéologue dogmatique ? Il clamera sa fidélité aux valeurs du gaullisme. Au fil des années, ces nouveaux adorateurs de la Croix de Lorraine ont institué un véritable fétichisme gaulliste. Et gare à ceux qui contreviennent au culte du Général.

Ce jeu, souvent puéril, s’ornemente d’une mythologie bien connue : le Général payait lui-même ses timbres pour sa correspondance privée ; il réglait l’essence de sa DS pour se rendre en week-end à Colombey-les-Deux-Églises… De Gaulle est sans doute le plus grand Français du xxe siècle, mais fallait-il en faire notre Petit Père du peuple français ?

Combien de fois avez-vous entendu le vieux refrain : « Les Français ont guillotiné leur roi, mais ils ont la nostalgie de la monarchie » ? Ou bien : « Bonaparte, Clemenceau, de Gaulle : la France n’est grande que si elle rencontre l’homme providentiel. »

Le fameux « homme providentiel », sorte de prince éclairé, d’idéal fantasmé…

Comment imaginer sérieusement que la France des Lumières ne puisse prospérer qu’à l’ombre d’un chef autoritaire ? Ainsi, sans patriarche, notre peuple, qui inventa la liberté et la démocratie, serait perdu ? Nous aurions besoin d’épaules galonnées et de coups de cravache pour renouer avec la croissance ? Allons…

Le drame, c’est que beaucoup ont fini par croire à cette métaphore du peuple français, simpliste et infantilisante. Et ça nous tue à petit feu. Près d’un demi-siècle après la mort de De Gaulle, nous n’osons toujours pas toucher aux grands totems institués après-guerre.

Nous craignons de remettre en cause l’échafaudage gaullien. Nous refusons de réformer l’État-providence, de peur de choquer les Français en faisant table rase des mesures « sacrées » votées après la guerre. Cette peur a un nom : la lâcheté politique. Ces réformes, les Allemands, les Britan niques (et tant d’autres) les ont faites. Et l’Histoire leur a donné raison.

Le mythe gaulliste a son Petit Livre rouge : le programme du Conseil national de la Résistance. Certes, ce consensus « gaullo-communiste » établi en 1944 sous la pression du Parti communiste français (PCF) a été bénéfique aux Français dans la période de la reconstruction. Il a permis de mettre en place la Sécurité sociale et le système de retraite par répartition.

De Gaulle créa l’ENA et sacralisa l’interventionnisme d’État en instituant le Commissariat général au plan…

Mais tout cela date de soixante-dix ans… Importantes au moment de leur établissement, ces mesures doivent être discutées aujourd’hui, au regard des évolutions qu’a connues et que connaît notre monde. Et c’est précisément ce à quoi se refusent nos politiques depuis des décennies : revoir complètement la copie gaulliste.

Chacun a ses raisons : à droite, on est gaulliste par principe et on ne touche pas à l’oeuvre du Général.

Le résultat est terrifiant : en soixante-dix ans, la droite française est la seule en Europe à ne pas avoir « fait le job » : réformer ! Comme si l’héritage gaulliste, trop lourd, lui avait coupé les ailes. À gauche, on est bien obligé d’admettre que la politique économique de De Gaulle était plutôt de gauche, en tout cas antilibérale.

Il est urgent que nos dirigeants cessent de considérer le gaullo-résistancialisme de 1944 comme intouchable, non négociable. Ne nous laissons pas berner : les réformes de la Libération n’ont rien à voir avec les « valeurs de la République » (cet argument pratique ne sert qu’à excuser les petites lâchetés de nos gouvernants). Elles ne doivent plus être rangées comme des trophées derrière une vitrine. Tous les débats doivent être permis.

Aujourd’hui, la seule question que nous devons nous poser est la suivante : le gaullisme est-il encore bon pour la France de 2017 ?

La réponse est non. Le gaullisme est devenu une religion.

Il est l’opium du peuple français et le bromure de l’imagination politique.

Extrait de "L'obsession gaulliste" d'Eric Brunet, aux Editions Albin Michel

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