Le "féminisme", combien de divisions dans la France de 2023 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi.
Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Bonnes feuilles

Laura Lesueur publie « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé » aux éditions Le Cherche Midi. Des dérives du féminisme radical à la nécessité d'un féminisme éclairé, ouvert à la nuance, inclusif de toutes les femmes, mais aussi des hommes, Laura Lesueur s'interroge sur la façon dont on peut progresser sur la question en évitant les écueils qui divisent. Extrait 2/2.

Laura Lesueur

Laura Lesueur

Laura Lesueur est conférencière et cheffe d'entreprise. Elle est la créatrice du podcast "Legend Ladies" qui traite de l'ambition féminine au travers de parcours de femmes d'horizons divers. En 2022, elle a été distinguée pour son investissement en matière d'égalité femmes-hommes par le réseau social Linkedin et le magazine Forbes.

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Il est intéressant de mesurer, chiffres à l’appui, la part d’adhésion aujourd’hui dans la population française à la notion de féminisme. Selon une étude réalisée en 2020, à la question « Pensez-vous que le féminisme bénéficie d’une bonne image aujourd’hui ? », la réponse est sans équivoque. Le « non » l’emporte à 67,8 % chez les femmes, et à 72,1 % au global.

La conséquence logique de cette mauvaise image est que moins de la moitié des sondés (44,2 %) trouve qu’il est simple de se déclarer féministe auprès de ses proches (amis, famille) ; taux qui se réduit encore de moitié (26,9 %) lorsqu’il est question d’assumer cette même conviction au travail.

C’est un fait, en 2023 encore, la notion de « féminisme » remporte bien moins d’adhésion que l’on ne pourrait le penser et peine à véritablement rassembler.

Ces constats et réflexions m’ont évidemment amenée à questionner mes convictions personnelles : en tant que femme, « milléniale », mère d’un petit garçon de deux ans et cheffe d’entreprise, je me suis toujours considérée comme une personne concernée, préoccupée et engagée pour les droits des femmes.

Féministe, je peux affirmer que je le suis, sans détour. De la racine de mes cheveux jusqu’à la pointe de mes orteils. J’ai vu, aux générations précédentes, des femmes de ma famille souffrir ou être jugées pour leur conduite sociale, maritale, ou sexuelle, parce qu’elles étaient des femmes. Ma mère a connu la douleur de se faire avorter clandestinement. Mon arrière-grand-mère a connu l’opprobre du milieu de musiciens dans lequel elle évoluait, parce qu’elle fumait la pipe, portait des pantalons, et préférait composer des pièces pour violoncelle plutôt que de s’occuper de ses enfants. L’injustice et les inégalités, qui m’interpellent depuis mon plus jeune âge, m’ont amenée sur les bancs de la fac de droit au début de mes études ; j’ai rêvé, comme beaucoup, de faire du droit pénal pour défendre les opprimés.

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Pourtant, je ne me reconnais pas dans le discours féministe tel que les médias et les réseaux sociaux veulent faire croire qu’il est représenté aujourd’hui. Un combat contre le Mal(e) dominant, le patriarcat, trop souvent dépourvu de toute nuance.

Plus j’avance dans ma vie de femme, plus je crois à la nuance. À son existence en toute chose, son importance. Je crois aux paradoxes, aux contradictions, aux clairs-obscurs. Je crois aux zones grises.

Si j’ai des convictions, elles ne sont certainement pas des certitudes qui enferment dans un monde saturé d’idéologies, où, dès que l’on s’écarte un peu du dogme, on est excommuniée et on devient une traîtresse à la cause, une vilaine qui, si elle n’est pas « pour » à cent pour cent, est forcément « contre ».

Ce n’est pas parce qu’on a été une victime un jour qu’on doit être une victime toute sa vie. Voilà où le bât blesse  : l’expression du féminisme renvoie trop souvent à une idéologie qui souhaite désigner des victimes éternelles face à des bourreaux absolus.

Les féministes qui occupent le devant de l’espace social et médiatique ont un mode d’expression de combat « contre », elles souhaitent « déconstruire ». Posture qui, inévitablement, divise au lieu de rassembler. Il est intéressant pour illustrer ce fait de s’attarder sur certains concepts érigés depuis peu. Par leur simple nom, ils montrent combien l’idéologie qu’ils représentent vise à démolir ou à exclure : de « l’homme déconstruit » (Sandrine Rousseau) au « génie lesbien » (Alice Coffin). Pour moi, cette déconstruction n’a rien d’inclusif. Un combat « contre » est une réponse qui me semble être extrêmement court-termiste là où nous aurions besoin d’une vision globale, ambitieuse et positive, apte à poser des fondations nouvelles, solides et inclusives pour l’avenir. Si l’intention première est de détruire, de démanteler, quelle place cela laisse-t-il à la cocréation, à l’intelligence collective ?

Dénoncer la polarisation du débat n’invalide en rien l’importance majeure des luttes pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Pointer du doigt la radicalité des modes d’expression et d’action du féminisme ne remet pas en cause la nécessité de continuer à s’engager et à soutenir l’avancée de ces combats, à éradiquer la tragédie des féminicides, à condamner avec la plus grande fermeté les violences sexuelles et sexistes, ou à viser une augmentation de la parité dans les sphères de pouvoir encore trop peu féminisées (la finance, le numérique, les sciences ou encore la production audiovisuelle, pour n’en citer que quelques-unes).

C’est même précisément parce que je souhaite que les avancées récentes en la matière (index Egapro, féminisation progressive de certaines instances, allongement du congé paternité…) se poursuivent et s’accélèrent qu’il me semble nécessaire de proposer une autre voix/e au féminisme.

Je réfute l’instrumentalisation qui est trop souvent faite de cette cause majeure au profit d’un mouvement qui semble souhaiter tout détruire de manière systématique, sans discernement. L’expression de ce type de féminisme est devenue une nouvelle forme d’extrémisme (parfois même utilisé de manière opportuniste).

Prétendre détenir « La Vérité », classer mécaniquement toute personne qui n’est pas en accord total avec cette idéologie dans le camp du mal – celui des sexistes et des réactionnaires – correspondent à une obsession identitaire.

En effet, en observant et en essayant de comprendre la véhémence qui caractérise l’immense majorité des propos des féministes radicales et de leurs indignations, il me semble que la manière dont elles se jettent à corps perdu, de façon inconditionnelle, dans ce combat relève d’une quête identitaire qui dépasse largement la question du féminisme. Ce besoin d’afficher sur des tee-shirts, des mugs, les réseaux sociaux, les fonds d’écran : « JE SUIS FÉMINISTE ».

En ce qui me concerne, j’ai besoin de ne pas me définir. Dans la même journée, j’ai quatre ans, j’ai trente-trois ans, je suis ambitieuse, je suis humble, je me sens femme, puis comme une enfant, puis comme un mec bien viril prêt à en découdre, je sais, puis je ne sais plus, et c’est tant mieux. Je conçois qu’entre crise sanitaire, violence sociale, montée des extrêmes, guerre à nos portes, éco-anxiété, il y a de quoi se sentir si fragile, si attaquée de tous côtés que s’abandonner à l’instant en refusant toute assignation identitaire est un vertige que l’on ne peut se permettre, à moins d’y laisser quelques plumes…

À travers cette lettre, je n’ai d’autre ambition que de poser des questions, de proposer un sens critique, d’engager un débat plus ouvert et, je l’espère plus propice à l’évolution d’une société, une nouvelle voie pour le féminisme, dans laquelle femmes et hommes peuvent coexister de manière libre et apaisée. Un monde que je souhaite aussi bien pour moi que pour mon fils, pour les filles de mes amies que pour toutes les personnes qui se définissent comme non-binaires.

Extrait du livre de Laura Lesueur, « Manifeste contre le féminisme radical et pour un féminisme éclairé », publié aux éditions Le Cherche Midi

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