Le dilemme chinois face à la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et Xi Jinping lors d'une visite officielle du dirigeant russe.
Vladimir Poutine et Xi Jinping lors d'une visite officielle du dirigeant russe.
©ALEXEY DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Rôle de Xi Jinping

L’invasion russe et ses conséquences placent la Chine dans une situation délicate. L’Europe pourrait profiter de la situation compliquée dans laquelle se trouve la Chine pour obtenir des concessions.

Marion Pariset

Marion Pariset

Secrétaire générale du think-tank Le Millénaire, spécialisée en politiques publiques et portant un projet gaulliste et réformateur au service de la grandeur de la France

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Le lancement de l’offensive russe sur l’Ukraine a soulevé chez certains commentateurs la crainte de voir se formaliser et monter en puissance une alliance orientale entre la Chine et la Russie contre l’Occident. Cette lecture fait toutefois fausse route en faisant l’impasse sur des enjeux majeurs de la politique de Xi Jinping : la prépondérance du commerce dans la politique étrangère chinoise, l’interdépendance et le risque de guerre commerciale qui guette le pays, le positionnement affiché par la Chine comme défenseuse du droit international ou encore les limites de la relation sino-russe.

Sur ces différents points, l’invasion russe et ses conséquences, y compris en termes de sanctions économiques, placent la Chine dans une situation délicate. Pour parvenir à ses fins, Xi Jinping a tout intérêt à adopter une approche tempérée et à jouer le temps long. Dans cette période d’incertitude, l’Europe ne devrait pas oublier de regarder au-delà de l’Ukraine, en profitant de la situation compliquée dans laquelle se trouve la Chine pour en obtenir des concessions.

Chine-Russie, une alliance de circonstance

Les sanctions économiques appliquées contre la Russie au lendemain de l’invasion de l’Ukraine ont mis en évidence la tentative bien engagée de la Russie de développer des relations commerciales vers l’Est. Déjà ciblée par les sanctions européennes suite à la dégradation de la situation en Ukraine en 2014, la Russie a depuis 8 ans eu le temps d’augmenter ses réserves de changes en favorisant les alternatives au dollar, notamment l’or et le renminbi, la monnaie chinoise. Aujourd’hui le commerce sino-russe se renforce avec l’augmentation des exportations de pétrole russe vers la China. Dans sa confrontation avec les Etats-Unis, l’ancienne puissance soviétique s’est naturellement tournée vers Pékin dans une alliance pragmatique.

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Pourtant, la relation russo-chinoise est loin d’être équilibrée et place la Russie dans une situation de dépendance vis-à-vis de son imposant voisin. En effet, si la Chine est le premier partenaire commercial de la Russie, la Russie tombe au 18e rang du palmarès chinois. Alors que le cœur de l’activité russe bat à l’Ouest du pays-continent avec une concentration des efforts d’influence tournée vers les pays issus du bloc soviétique, le pays ne constitue pas une menace pour Pékin. Au contraire, les deux pays se retrouvent régulièrement dans le même camp, notamment dans le cadre du conseil de sécurité des Nations unies où ils occupent un siège permanent aux côtés des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France.

Les deux pays partagent une volonté de s’extraire de l’influence hégémonique américaine mais leurs préoccupations sont sur d’autres plans très éloignées. La relativité de cet alignement s’illustre d’ailleurs dans le décalage entre leurs votes sur de nombreuses résolutions du conseil de sécurité. Mais la Chine, dans son projet de faire émerger un pôle concurrent des Etats-Unis, a besoin d’alliés, fussent-ils de circonstance.

L’embarrassante offensive en Ukraine

L’offensive russe en Ukraine a sonné la fin de l’affrontement à bas bruit entre la Russie et le bloc otanien et ouvre une période d’incertitude quant au retour des conflits de haute intensité. Bien avisé celui qui s’avancerait aujourd’hui à dessiner des scénarios à long terme.

Pour la Chine, cette attaque aurait pu représenter une opportunité de déstabiliser définitivement la puissance américaine en enterrant la crédibilité du bouclier américain en Europe. Pourtant, l’invasion russe (qu’autorités et médias chinois évitent de désigner ainsi) ne recueille pas un soutien franc et entier à Pékin comme en témoignent les prises de position nuancées des représentants chinois. Sur le plan interne comme dans ses relations internationales, la Chine est embarrassée.

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Contrairement à la relation de la Chine avec Taïwan, souvent invoquée en comparaison dans une lecture erronée, l’intrusion des forces armées russes en territoire ukrainien bouscule la doctrine internationale portée par Xi Jinping. Le dirigeant chinois tente depuis plusieurs années de transformer l’image de son pays pour en faire un défenseur de l’ordre mondial basé sur le droit international. Et pour cause, Taïwan comme Hong Kong ou le Tibet sont bien considérés par Pékin comme des territoires chinois dont il faut freiner les velléités sécessionnistes, et non comme des territoires à reconquérir. Dès lors, le président Xi s’est attaché à défendre le principe de respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale dans les instances internationales, dans l’optique de saper les soutiens aux mouvements démocratiques et indépendantistes internes.

Soutenir Poutine impliquerait pour la Chine de réviser profondément sa doctrine internationale patiemment construite, sans pour autant lui garantir des gains qu’une position ambigüe ne lui permettrait pas d’obtenir. Isolée, la Russie ne peut en effet plus faire l’impasse sur son partenaire asiatique si elle entend faire durer le conflit.

L’impossible équilibre vis-à-vis de l’Occident

D’un autre côté, une dénonciation de l’intervention russe par la Chine serait un coup dur pour le régime de Poutine mais il priverait surtout la Chine d’un de ses rares alliés de poids face aux Etats-Unis sur la scène internationale. Soutenir officiellement la Russie n’est pas non plus une option pour une Chine qui, bien que sortie gagnante de la crise du Covid, demeure fragilisée sur le plan politique par la crise sanitaire. La crise aux portes de l’Europe n’altère pas non plus la bascule stratégique profonde des Etats-Unis vers le Pacifique. La guerre commerciale entamée par Donald Trump et plus largement le consensus transpartisan désignant la Chine comme ennemi n°1 continuent de maintenir la pression sur le régime chinois. Les accusations récentes de Washington dénonçant un soutien militaire présumé de la Chine à la Russie montrent bien que la Maison blanche ne perd pas de vue ses objectifs et entend bien jouer la guerre de la communication face à Pékin.

Dans cette lutte pour l’émergence d’un pôle oriental capable de concurrencer l’hégémonie occidentale héritée du XXe siècle, un positionnement en faveur de Poutine risquerait également de dégrader significativement les relations de Pékin avec les nations européennes. En 2020, l’UE était le 2e partenaire commercial de la Chine derrière les Etats-Unis pour les exportations chinoises et l’ASEAN pour les importations. La même année, la Russie représentait 2% des exportations et 2,8% des importations chinoises. Un contraste d’autant plus marquant que la politique étrangère chinoise repose avant tout sur une logique de développement et de protection de ses relations économiques à travers le réseau des nouvelles Routes de la soie dont la plupart aboutissent… en Europe. Dans ce plan, la force militaire joue un rôle de soutien pour garantir la sécurité et la libre circulation des flux le long de ces axes.

Objet de toutes les convoitises, le vieux continent continue ainsi d’être le théâtre de la guerre d’influence entre la Chine et les Etats-Unis.

Une opportunité pour l’Europe ?

Bien qu’il soit encore trop tôt pour en mesurer l’impact exact, la crise ukrainienne fragilise la Chine comme rarement auparavant. Tentant de détourner l’attention des incohérences qui fragiliseraient son discours international, la Chine accuse les Etats-Unis d’avoir provoqué la Russie. Les Etats-Unis tentent en retour d’acculer la Chine face à ses contradictions pour saper le principe de non-ingérence dans les affaires internes qu’elle affiche auprès de ses partenaires.

Pris dans la tentative de mettre un terme à la fuite en avant de Vladimir Poutine, les Européens pourraient être tentés de chercher dans leurs échanges avec la Chine un engagement de cette dernière contre la Russie. Cette démarche est légitime, et même essentielle car il serait contraire à notre stratégie de ne pas essayer de limiter le soutien de Pékin à Moscou. Il faut cependant rester réaliste : nous ne parviendrons pas à monter les deux l’un contre l’autre. Ce réalisme est également indispensable car des demandes déraisonnables pourraient au contraire pousser la Chine vers la Russie.

Ni entièrement alignée avec les Etats-Unis malgré une proximité culturelle et historique réelle, ni pleinement affiliée à la Chine, la position de l’Europe est une faiblesse mais aussi une force dans le contexte actuel. Une faiblesse en temps normal car nous sommes le terrain de jeu d’un affrontement qui nous dépasse, mais une force en particulier aujourd’hui car nous sommes en mesure de laisser une porte ouverte à une Chine fragilisée dans son bras de fer avec les Etats-Unis.

Nous avons cette chance historique de pouvoir engager un dialogue plus équilibré avec la Chine, nous devons la saisir.

Marion Pariset, spécialiste des affaires étrangères et Secrétaire générale du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant spécialisé en politiques publiques

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