Le défi Manif pour tous : 31% des Français – et 45% des sympathisants de droite – se sentent proches de ses valeurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Les opposants au mariage homosexuel manifestent ce dimanche.
Les opposants au mariage homosexuel manifestent ce dimanche.
©Reuters

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EXCLUSIF – Selon un sondage Ifop pour Atlantico, près d'un tiers des Français et près de la moitié des sympathisants de l'UMP et du FN se sentent proches des valeurs et des idées défendues par la Manif pour tous.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : D'après un sondage Ifop exclusif pour Atlantico, 31% des Français et 45 % des électeurs UMP se sentent proches des valeurs et des idées défendues par la Manif pour tous. Or, bien que le mariage pour tous soit un sujet important aux yeux de nombreux militants de droite, comme en attestent ces chiffres, la plupart des candidats UMP donnent le sentiment de ne pas vouloir trop s'attarder dessus. Mais qu'ils le veuillent ou non, sont-ils condamnés à s'emparer de ce sujet ?

Jean Petaux : La « mise à l’agenda politique » (c’est l’expression consacrée en matière d’analyse des « politiques publiques ») échappe souvent à la volonté des acteurs politiques qui aimeraient bien différer, ignorer, repousser, telle ou telle demande exprimée par le système politique. David Easton, pionner de l’analyse systémique en science politique, a ainsi nommé les « inputs » qui doivent être digérés par la boite noire propre à tout système politique organisé. En l’espèce il est clair que les principaux candidats UMP, à la présidence du parti ou déjà déclarés pour les primaires préludes à la présidentielle de 2017, n’ont sans doute pas très envie de remettre la question générale du « mariage pour tous » sur le devant de la scène. Pour une raison simple : ils ont pratiquement l’assurance, s’ils font cela, de remobiliser automatiquement toutes celles et tous ceux qui ont été favorables à la loi adoptée en 2013. Ces « pro-mariage homosexuel » seront, certainement, bien plus nombreux dans la rue que celles et ceux qui manifestent aujourd’hui leur hostilité à la loi et à ses « déclinaisons » comme la légalisation éventuelle de la GPA et de la PMA pour les couples homosexuels.

Une des particularités de ce que l’on appelle les « mobilisations non-conventionnelles » (autrement dit les « manifestations ») c’est qu’elles fonctionnent surtout pour s’opposer et très peu souvent pour soutenir. En ce moment, la « Manif pour tous » bénéficie d’un vent très favorable puisque la quasi-totalité de ses sympathisants est, aussi, hostile à la politique gouvernementale. En conséquence, manifester contre le mariage pour tous c’est évidemment manifester contre le président de la République et la politique gouvernementale en général.

Si, en 2017, n’importe lequel des leaders de la droite éventuellement de retour au pouvoir, s’avise de remettre en cause la loi adoptée sur le mariage pour personnes du même sexe il a la certitude de voir se lever d’une part une bonne partie de ses opposants en général et ceux qui défendront le principe d’un mariage homosexuel en particulier. Les premiers (pas forcément concernés par la question, pas forcément d’ailleurs passionnés par le sujet) viendront, sur le motif d’une hostilité globale, renforcer les rangs des seconds. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui pour les deux manifestations de  Paris et de Bordeaux. On peut comprendre, à partir de ce constat-prévision, que tout acteur politique n’ait pas envie d’entamer son mandat en 2017 avec un tel point de mobilisation d’opposants. Pour autant, la pression risque d’être telle que les leaders de droite auront peut-être du mal à éviter ce « chausse-trappe » politique, au risque, s’ils essaient de ne pas tomber dedans, de paraître se dérober aux yeux de ceux qui les auront ramenés au pouvoir.

A lire aussi : L’UMP face à la question de l'abrogation de la loi Taubira : Thierry Solère et Philippe Gosselin, deux sensibilités mais une même volonté de clarification

Jérôme Fourquet : En ce jour de mobilisation de la Manif pour Tous, les résultats à cette question montrent et expliquent le succès important de cette mobilisation de rue dans la mesure où aujourd'hui, un tiers des concitoyens se disent proches des idées et des valeurs défendues dans ce cadre. Cela montre que le "réservoir" de mobilisation est important, et qu'il assure la durabilité de ce mouvement. C'est à ma connaissance la première fois que l'on dispose d'une indication objective du poids de la Manif pour tous dans l'opinion. On comprend pourquoi le mouvement a pu mobiliser des centaines de milliers de personnes.

Dans un périmètre plus strict et restrictif, c'est-à-dire celui des personnes qui se disent très proches et qui sont prêtes à se mobiliser, les volumes sont encore très importants : 15% de la population, soit une personne sur sept.

Ces chiffres peuvent aussi être mis en perspective avec les débats qui agitent actuellement la droite : que faut-il promettre relativement à la loi Taubira dans le cas où la droite reviendrait au pouvoir ? Alain Juppé a annoncé sur France 2 que ce qui est fait est fait, et que l'on ne va pas détricoter la loi, mais des gens comme Hervé Mariton entretiennent la flamme, espérant s'appuyer sur un courant important pour peser sur les orientations prises par la droite.

A côté de cela, Nicolas Sarkozy, qui jusqu'ici a botté en touche, mettant en avant sa volonté de rassembler et d'écouter les avis des uns et des autres pour trancher. Tout se passe comme si il était urgent d'attendre, et de voir quelle est la ligne majoritaire. La mobilisation de ce dimanche et les enquêtes d'opinion qui suivront celle-ci constitueront une bonne jauge. Pour l'instant on voit que le courant de la Manif pour Tous est non négligeable.

Presque un électeur UMP sur deux se dit proche du courant de la Manif pour Tous. La difficulté pour les représentants réside dans cette proportion : 45%, c'est beaucoup, mais  il ne faut pas oublier les 29 % "éloignés" et les 26 % "indifférents". Une majorité absolue de 55 % au sein de l'UMP ne se dit donc pas proche des valeurs de la Manif pour tous. On pourrait donc penser que la messe est dite. Sauf que 45%, c'est loin d'être négligeable. Et 23% de très proches, cela fait tout de même un électeur de droite sur quatre.

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Comment les principaux dirigeants de la droite, au sens large, se positionnent-ils par rapport aux revendications de la Manif pour tous ? Quel panorama peut-on faire des prises, ou "non-prises" de décision quant aux suites à donner à la loi Taubira en cas d'élection de la droite en 2017 ?

Jean Petaux : On touche-là une des dimensions les plus évidentes du décalage entre ce que l’on appelle d’ailleurs improprement les « élites » et la base militante ou les sympathisants des partis de droite qui se reconnaissent dans la Manif pour tous. Le sondage de l’Ifop, passionnant à plus d’un titre, montre bien les différences sensibles dans les réponses entre générations d’une part (près de 10 points entre les tranches d’âge les plus éloignées pour ceux qui se disent favorables à la « Manif »). Les leaders de l’UMP doivent composer avec cette différence d’appréciation générationnelle mais aussi avec une majorité relative de militants UMP hostiles au « mariage pour tous ». Je pense que c’est un vrai problème pour eux. Du fait de leurs responsabilités, de leur « culture », de leurs réseaux affinitaires et relationnels ils comptent certainement une proportion d’amis homosexuels dont ils ne peuvent que partager l’aspiration individuelle à voir leur désir de fonder un couple stable et reconnu autorisé par la loi. Certains de ces cadres (NKM, Lemaire, voire Juppé) s’en sont sortis en disant qu’il aurait sans doute fallu explorer l’idée d’une « union civile » distincte du « mariage napoléonien » au sens de « Code civil ».

Mais au final, la loi Taubira  n’a pas choqué la plupart d’entre eux, Sarkozy compris d’ailleurs. En dehors de quelques figures en pointe dans le combat anti-mariage pour tous comme Hervé Mariton qui a occupé le devant de la scène parlementaire pendant les débats sur la loi (comme Christine Boutin avait été, en quelque sorte, « révélée » au grand public lors des débats sur le PACS en 1999), la quasi-totalité des leaders politiques de l’UMP me semble coupée de la base militante sur cette question puisque le sondage IFOP-Atlantico indique que 45% des sympathisants UMP s’estiment proches ou très proches de la « Manif pour tous » (23% de « très proches ») contre 29% qui se déclarent éloignés des valeurs de la « Manif » (dont 18% « très éloignés »). On voit ainsi combien cette histoire de mariage pour tous clive en fractions d’inégales importances les formations politiques et leurs sympathisants.

Mais, dans le même temps, on comprend mieux aussi l’impasse dans laquelle se trouvent les responsables politiques de la droite qui hésitent manifestement entre deux postures : donner des gages aux plus conservateurs de leurs soutiens politiques au risque de s’attirer les reproches des plus « ouverts » ou bien considérer qu’il est préférable d’attendre et de ne rien faire, le temps que le mariage pour tous entre dans les mœurs (comme le PACS en quelque sorte) au risque de s’aliéner tous ceux qui sont hostiles à la « disparition de la famille traditionnelle » et qui leur reprocheront leur laxisme et leur lâcheté… C’est ce que l’on peut appeler la quadrature du cercle…

Jérôme Fourquet : Tout le monde est d'accord à droite pour dire non à la PMA et à la GPA. Après, une partie des leaders, à l'instar d'Hervé Mariton, disent qu'il faut casser la loi autorisant le mariage pour tous, d'autres affirment qu'il faut transformer le mariage homosexuel en une union civile n'ouvrant pas droit à l'adoption, et d'autres qui affirment qu'il est mensonger et fallacieux de faire croire que la loi sera changée une fois la droite élue. Face à ces trois choix, comprenne qui pourra ce que pense aujourd'hui Nicolas Sarkozy. Comme je disais, il a sans doute estimé qu'il était urgent d'attendre en disant vouloir réunir tout le monde et en faire la synthèse.

Avec 26 % à l'UMP, 27 au FN, et une moyenne nationale de 27 % également, l'indifférence vis-à-vis de la Manif pour tous est-elle la donnée la plus compliquée à appréhender pour les représentants de droite ? Quelles déductions en tirer sur la meilleure marche à suivre dans une perspective électorale ?

Jean Petaux : Les chiffres que vous citez vont dans le sens de ce que je viens de dire. Si vous ajoutez à ceux qui y sont favorables, tous ceux qui n’en ont rien à faire (un gros quart des personnes interrogées) vous compliquez encore davantage la capacité d’appréciation des responsables politiques de la droite. A tout le moins vous comprenez que devant un vrai éclatement des positions à l’égard de cette loi, la quasi-totalité des cadres dirigeants de l’UMP regardent ailleurs quand on leur parle « Manif pour tous » ou « Mariage pour tous ». En fait cette histoire, pour dire clairement les choses, les ennuie profondément. Il n’y a que des coups à prendre dans ce dossier. C’est bien ce qu’a compris Marine Le Pen que l’on n’entend pratiquement jamais dans cette affaire.  Les responsables de la droite républicaine éprouvent le même sentiment que la présidente du Front national. Leur posture à eux tous (Marine Le Pen comprise) n’est pas « courage fuyons » mais plutôt « mariage homo, planquons-nous ».

Quels sont les différents profils de personnes qui se sentent proches des valeurs et des idées de  la Manif pour Tous ?

Jérôme Fourquet : Si nos chiffres confirment un certain nombre d'intuitions, à savoir qu'il s'agit en grande partie d'un public de droite catholique qui s'est mobilisé, ils montrent aussi que la réalité est un peu plus complexe :

1 - C'est au sein de l'UMP qu'on trouve la plus forte proportion de soutiens, certes, mais 29 % se disent éloignés. C'est donc un sujet clivant au sein même de la droite. 

2 - On avait constaté à l'automne dernier que Marine le Pen était très en retrait, et qu'elle n'avait pas pris part aux manifestations, contrairement à sa nièce et à Gilbert Collard. Or on observe quasiment les mêmes scores au sein des électorats UMP et FN : 47% proches au FN contre 45 % à l'UMP, 27 contre 26 d'indifférents, 26 contre 29 d'éloignés. Le courant de la Manif pour Tous ratisse large, donc, et pas seulement dans l'électorat catholique de droite traditionnel.

3 - 66% des électeurs de gauche se disent éloignés des valeurs de la Manif pour Tous,  dont 52 % très éloignés, mais 20 % se disent proches, dont 10 % très proches. Même si les proportions ne sont pas les mêmes, l'idée selon laquelle la Manif pour Tous ne mobilisait que l'électorat de droite était fausse. La question se superpose donc aux clivages traditionnels entre la gauche et la droite.

Pour ce qui est de la pratique religieuse, le taux de proximité est deux fois plus élevé chez les catholiques pratiquants  que dans la moyenne des Français, à raison de 59 % contre 31 %. Sauf que là aussi, on constate qu'une proportion importante de catholiques pratiquants ne se reconnaît pas dans ce combat-là : 18 % sont indifférents, 23 % sont éloignés. Cela donne 40 %, tout de même. A l'automne dernier on avait déjà vu qu'environ 30 % des catholiques pratiquants soutenaient le projet de mariage pour tous et de droit à l'adoption pour les couples homosexuels. On en conclut que tous les manifestants ne sont pas des catholiques pratiquants, et que parmi ces derniers, tous ne soutiennent pas le mouvement. Ajoutons à ce propose que 21 % des gens qui se revendiquent sans religion se disent proches ou très proches de la Manif pour Tous.

51 % des électeurs UDI se sentent proches des valeurs du mouvement. Les centristes seraient plus conservateurs que les électeurs UMP ? En quoi ces éléments remettent-ils en cause ce que certains à droite entendent par recentrage ? Peut-on parler d'un malentendu sur les attentes de l'électorat centriste ?

Jérôme Fourquet : L'échantillon d'électeurs UDI étant limité, il faut se montrer prudent dans l'interprétation de ce chiffre. Ce qu'on peut dire, c'est qu'ils sont à l'unisson de l'UMP. Leurs cousins du Modem, en revanche, sont très dissonants, avec seulement 25 % de personnes qui se sentent proches des valeurs et des idées de la Manif pour Tous. La ligne de partage est donc nette dans la famille centriste. Aujourd'hui le Modem est surtout le réceptacle de l'électorat de centre gauche,  quand l'UDI est celui du centre droit issu de la démocratie chrétienne. 

Jean Petaux : Je ne me permettrai pas d’ajouter un commentaire à ce que dit Jérôme Fourquet bien plus apte que moi à analyser son propre sondage et je partage tout à fait ses réserves pour ce qui concerne l’UDI (la note technique du sondage d’ailleurs signale l’étroitesse de l’échantillon UDI). Mais à l’appui de ce que dit Jérôme Fourquet, je voudrais souligner les différences de réponses entre les origines géographiques des « sondés ». Là où dans le sud-ouest il n’y a que 4 points de différence entre ceux qui se disent « éloignés » de la « Manif pour tous » (37%) et ceux qui s’en estiment proches (33%) dans le nord-ouest (partie de la France pourtant traditionnellement marqué par l’influence du catholicisme  - Bretagne, Normandie, Pays-de-la-Loire -) on compte un écart de 17% entre les « éloignés » (44%) et les « proches » (27%) des valeurs de la « Manif pour tous ». Sans doute faut-il voir-là une vraie dichotomie au sein de la famille centriste comme le dit Jérôme Fourquet mais j’aurais tendance à inverser les termes de sa réponse : les « sondés » proches du MODEM, donc de la sensibilité démocrate-chrétienne, plus tolérants, plus ouverts, ne sont pas hostiles au « mariage pour tous » alors que les « sondés » se déclarant proches de l’UDI (tradition « radical-socialiste », comme on la connaît dans le sud-ouest de la France) sont plus rigoristes et traditionnalistes dans leur appréciation de l’évolution des mœurs tout comme les « laïcards » d’ailleurs, assez peu enclins aux nouvelles « configurations familiales ».

En tout état de cause, je retiens aussi du sondage que si 47% des personnes interrogées se déclarant sympathisants du FN se disent « proches » (21%) ou « très proches » (27%) des thèmes de la « Manif pour tous », 53% se disent soit « indifférentes » (27%) soit « éloignées » (26%) (dont 16% « très éloignées ») de cette même « Manif pour tous ». Ceci montre parfaitement que le mariage pour tous bénéficie désormais d’une vraie acceptation dans toutes les franges de la société, que cet accord soit explicite ou seulement par défaut, avec une partie de la société française qui ne s’intéresse tout simplement pas au problème. J’y vois la marque d’une « dépolitisation » de la question prélude à une « banalisation » à venir au point qu’en 2017, la seule question du « mariage pour tous » (je n’y inclue pas encore la PMA et la GPA), ne sera plus un enjeu politique, tout simplement parce que cette pratique sera totalement entrée dans les mœurs, comme elle commence vraiment à l’être aujourd’hui. « Manif pour tous » ou pas.

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