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Le Covid a modifié notre rapport à la religion et à nos familles. Mais moins en France que dans d'autres pays
©JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Evolution majeure

Une étude du Pew Research Center a étudié l’évolution du rapport à la religion et à la famille lors de la pandémie de coronavirus. Ainsi, aux États-Unis, la crise sanitaire a renforcé la foi de 3 Américains sur 10.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une étude du Pew Research Center a étudié l’évolution du rapport à la religion et à la famille lors de la pandémie de coronavirus. Quels sont les principaux constats de cette étude ?

Bertrand Vergely : L’étude proposée par Pew Research concerne la relation entre pandémie, foi et famille et donne toute une série de statistiques à propos de : 1) la foi en général, 2) la relation entre foi et pandémie, 3) La perception de la relation entre foi et pandémie, 4) la relation entre famille et pandémie, 5) la perception de cette relation.

1) S’agissant de la foi proprement dite, l’étude de Pew rappelle qu’aux États-Unis, 49% des Américains déclarent que la religion est importante pour eux. En Italie, ce chiffre tombe à 25%, en Australie à 20%, aux Pays-Bas à 17%, en Corée du Sud à 17%, en Suède à 9 % et au Japon à 9 % . D’une façon générale, les femmes sont plus religieuses que les hommes.

2) S’agissant de la relation entre la foi et la pandémie, majoritairement, les populations interrogées déclarent avoir vu peu de changements.

- Plus spécifiquement, aux États-Unis, selon Pew, la pandémie a renforcé la foi de 3 Américains sur 10 soit 30%. Au Royaume Uni seuls 14 % des Britanniques déclarent avoir renforcé leur foi tandis qu’au Japon ce pourcentage tombe à 5%. À l’inverse, 3% des personnes interrogées disent avoir vu leur foi baisser, aux Etats-Unis 4%, en Corée du Sud 9%.

- 3) S’agissant de la perception du rapport foi-pandémie, 66% des personnes interrogées pensent que la pandémie n’a rien changé à la foi dans leur pays. 15% pensent qu’elle s’est renforcée, 8% qu’elle s’est affaiblie. Aux Etats-Unis, 47 % des personnes interrogées pensent que la pandémie n’a rien changé à la foi, tandis que 14% pensent que la foi s’est affaiblie. Aux Pays Bas, tandis que 17 % des personnes interrogées pensent que la foi s’est renforcée, 7%pensent qu’elle s’est affaiblie. En Suède, 15% des personnes interrogées pensent que la foi s’est renforcée.

- Aux Etats-Unis, 5% des Américains qui n’ont aucune attache religieuse pensent que la foi s’est renforcée. La moitié des Évangélistes blancs disent que leur foi s’est renforcée.

- 4) S’agissant de la relation entre la famille et la pandémie, Pour 4 Américains sur 10, soit 40%, la pandémie a renforcé les liens familiaux.

- En Espagne, pour 42% d’Espagnols, la pandémie a renforcé les liens familiaux. Au Royaume Uni 41% de Britanniques ont vu leurs liens familiaux renforcés, aux États Unis 41% des Américains.

- 32 % des personnes interrogées pensent que les relations humaines se sont renforcées, tandis que 8% pensent le contraire.

- En Espagne, en Italie, aux Etats-Unis et au Royaume Uni 4 personnes sur 10 pensent que les liens familiaux se sont renforcés. La moitié des personnes interrogées âgées entre 18 et 29 ans pense que les liens familiaux se ont renforcés, tandis que 38% des personnes âgées de plus de 50 ans pensent le contraire

Faisons un bilan de ce tour d’horizon : 60 % des personnes interrogées n’ont visiblement aucune opinion concernant la relation à la foi et à la famille. Sur les 40% qui restent, l’opinion pense majoritairement que la foi ne s’est pas renforcée, en revanche une majorité se dessine pour dire que les liens familiaux se sont renforcée.

On voit que c'est aux Etats-Unis que l’affirmation religieuse a été la plus forte, qu’est ce qui peut l’expliquer ?

Les États Unis se sont fondés sur le mythe hébraïque de la Terre Promise, revisité par le mythe chrétien de la Jérusalem céleste, lui-même réactualisé par les Protestants dissidents fuyant l’Ancien Monde qu’est l’Europe afin d’aller créer Outre Atlantique en Amérique un Nouveau Monde faisant la synthèse de tout cet héritage. Résultat : on ne trouve pas aux États-Unis la dichotomie que nous trouvons en Europe et spécialement en France entre religion et laïcité, laïcité et religion. La religion voulant la Terre Promise et par extension le Nouveau Monde, on ne voit pas pourquoi le Nouveau Monde ne voudrait pas la religion, vouloir la religion revenant à vouloir le Nouveau Monde lui-même. Aussi étrange que cela puise paraître, les Etats-Unis sont un pays laïque parce qu’ils sont un pays religieux. En France, c’est l’inverse. La France est un pays laïque parce qu’elle est résolument antireligieuse. Avec Robespierre puis avec Auguste Comte et le positivisme, elle a bien tenté de bâtir une religion laïque. Elle n’y est jamais parvenue. La religion bâtie sur Dieu a une énergie transcendanr que la religion bâtie sur l’homme et le progrès n’a pas. Aux États-Unis le président nouvellement élu prête serment sur la Bible et personne ne pense que c’est une atteinte à la démocratie. En France, Emmanuel Macron est sur le point de bénir le cercueil de Johnny Hallyday à l’église de la Madeleine avec le goupillon. Il se retient in extremis pour ne pas provoquer un tollé médiatico-politique. Pour le protestantisme fabriquer des richesses et être vertueux aux yeux de Dieu vont de pair. Pour le protestantisme américain le Dollar et Dieu sont inséparables, la devise « In God we trust » « Nous croyons en Dieu » étant inscrite sur le dollar. En France, l’argent n’est pas divin. Il est suspect. Et la France se reconnaît dans Marianne coiffée du bonnet phrygien des Sans-Culottes, pilleurs et destructeurs d’églises.

En France le renforcement du sentiment religieux est moindre par rapport à d’autres pays, pourquoi ? Est-ce dû à la sécularisation du pays ? Le fait de fermer les lieux de cultes a-t-il pu avoir un effet contraire ?

La France est aussi antireligieuse que l’Amérique peut être religieuse. Cela tient à son passé révolutionnaire. Autrefois fille aînée de l’Église, la France est aujourd’hui le centre mondial de l’athéisme avec la Chine et l'ex Tchécoslovaquie. Pendant longtemps, certains éléments du christianisme ont été conservés par la morale républicaine, des éléments rituels sous la forme d’un baptême républicain ou bien encore des éléments spirituels sous la forme d’une sainteté laïque. Avec l’effondrement de la religion républicaine lors de Mai 68, la France a perdu tout lien avec le christianisme en général et la religion en particulier en gommant ceux-ci non seulement de ses croyances mais de sa mémoire. Les Français ne savent plus non seulement ce qu’est le christianisme, mais ils ignorent qu’ils ont été chrétiens. Rien de plus normal : il est devenu interdit de le dire, rappeler que l’Europe a entre autres des racines chrétiennes étant considéré comme contraire aux règles de la laïcité. Ce rejet véhément de la religion a des racines intellectuelles. Depuis le 18ème siècle on a vu apparaître l’idée qu’il est impossible d’être intelligent, savant et scientifique si on croit en Dieu. Pour être intelligent, philosophique et scientifiquement respectable, ne pas croire en Dieu est une condition indispensable. Résultat : la foi dans l’athéisme devenant la condition de l’esprit, l’esprit n’est possible que si on entreprend de faire la guerre au sentiment religieux. Dans ce contexte, la fermeture des lieux de culte n’a pas simplement été ressentie douloureusement par les chrétiens pratiquants. Elle adonné lieu à des doutes parfois complotistes. La pandémie n’est-elle pas un prétexte pour éliminer le religieux ?

La religion et la famille sont-elles les refuges les plus évidents pour des individus en temps de crise ?

Manifestement non. N’oublions pas que quand on pose la question de savoir si le monde connaît aujourd’hui un regain d’engouement pour la religion et la famille, seuls quarante pour cents des personnes interrogées répondent. Si celles-ci étaient des valeurs refuges, elles mobiliseraient bien plus d’intérêt. Cela tient grandement à la façon dont la question est posée. La religion, plus personne ne sait ce que cela veut dire. On le sait d’autant moins que, confondue avec la figure du mal à cause de l’extrémisme musulman, celle-ci fait peur. Quant à la famille, à l’heure où plus de cinquante pour cents des couples divorcent, la notion de famille ne correspond plus bien à ce que vit la société à ce sujet. Il importe toutefois de relativiser ces statistiques pour le moins sombres. Si quantitativement, la religion et la famille en tant que grands concepts ne passionnent plus les foules postmodernes, qualitativement, il se vit des choses extrêmement intéressantes. Quand le religieux se présente sous la forme d’une aventure intérieure rythmée par la prière et la méditation, il se révèle être d’une surprenante vitalité. Ce qui donne à penser qu’il a de beaux jours devant lui. Par ailleurs, il existe des familles heureuses avec beaucoup d’amour, beaucoup d’intelligence, beaucoup de gaieté et de joie. La sociologie qui a une vision quantitative des choses ignore les phénomènes qualitatifs. Ce n’est pas parce que l’on est quantitativement majoritaire que l’on a moralement raison. Pour parler de regain à propos d’une réalité morale, le nombre d’adhésions ne suffit pas. La qualité des adhésions est aussi essentielle. Elle est tellement essentielle qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot.

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