Le Covid a enclenché un cycle de… REDUCTION des inégalités qui ne se dément pas <!-- --> | Atlantico.fr
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La pandémie de Covid-19 a entrainé une réduction des inégalités.
La pandémie de Covid-19 a entrainé une réduction des inégalités.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Effets insoupçonnés

La possibilité pour les travailleurs à bas salaires d'accéder à des emplois mieux rémunérés a permis de réduire d'un quart l'inégalité salariale entre les hauts et les bas revenus qui s'était creusée au cours des quatre décennies précédant la pandémie, d'après les travaux menés par des économistes.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Dans quelle mesure le Covid a-t-il entrainé une réduction des inégalités via un recul des riches et une progression des plus pauvres ?

Alexandre Delaigue : En fait, ce qui s'est passé, c'est qu'au moment de la pandémie, un certain nombre de choses se sont produites. On a voulu soutenir l'activité et préserver les revenus pour beaucoup de personnes. Le résultat, c'est qu'un certain nombre de personnes ont amélioré leur situation financière. Depuis lors, les circonstances et les politiques du gouvernement ont fait que les marchés de l'emploi se portent assez bien, ce qui bénéficie aux personnes qui se trouvent dans la même tranche de revenus.

Il y a de nombreux secteurs d'activité qui, auparavant, employaient beaucoup de personnel à des niveaux de rémunération assez bas, et qui ont du mal à trouver du personnel maintenant. Cela témoigne de la pression exercée sur les salaires, en particulier les bas salaires, dans les activités de service, et ainsi de suite. Cela profite aux personnes à bas salaires. Fondamentalement, étant donné que nous sommes dans une période d'inflation, l'outil utilisé pour lutter contre celle-ci est la hausse des taux d'intérêt. Cependant, la hausse des taux d'intérêt réduit mécaniquement la valeur des actifs, ce qui signifie que les personnes qui détiennent beaucoup d'actifs sont un peu perdantes dans cette situation.

Lorsque vous combinez cela avec la mise en place de mesures visant à soutenir les revenus les plus bas d'un côté, et la période d'inflation de l'autre côté, cela crée une situation paradoxale où cela a été la manière la plus efficace de réduire les inégalités dans les pays riches. Nous n'avons jamais observé une telle réduction des inégalités dans les pays riches que au cours des dernières années, avec le COVID.

A quel point peut-on la quantifier ?

Le problème réside dans le fait que nous disposons d'indicateurs qui sont plutôt indirects pour mesurer les inégalités. Nous pouvons les examiner du côté des revenus, des patrimoines et des inégalités de revenus. Tous les indicateurs que nous avons, montrent que les bas salaires, ont tendance à augmenter, ce qui fait que le coefficient de Gini a tendance à se réduire.

Ensuite, il y a d'autres éléments plus difficiles à mesurer, mais lorsque la valeur globale des actifs diminue, cela pénalise effectivement les plus riches. Donc, nous disposons tout de même d'une série d'indicateurs qui vont dans le sens où les inégalités à l'intérieur des pays riches ont tendance à diminuer. Il est vrai que cela diminue le plus aux États-Unis, mais il s'agit également du pays où les inégalités sont les plus importantes au sein des pays riches.

Source Banque mondiale https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SI.POV.GINI?locations=US

Qu’en est-il spécifiquement de la France ?

La situation en France est paradoxale par rapport à ce qui se passe à l'extérieur, car malgré les discussions constantes sur les inégalités, la France a été relativement épargnée par l'augmentation des inégalités qui s'est produite ailleurs depuis les années 80 jusqu'à la période actuelle. Les niveaux d'inégalités en France n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions. La société française a plutôt conservé une certaine cohésion grâce à l'effet de la fiscalité et à un système social développé. Des facteurs tels que le salaire minimum qui a augmenté ont contribué à cette situation.  L’indice de Gini était de 0,284 en 2020, sa valeur la plus basse depuis 2004 selon l’INSEE.

Actuellement, on observe une amélioration sur le marché de l'emploi en France, ce qui contribue également à une diminution des inégalités. Dans le cas français, la situation est un peu différente car le niveau d'augmentation des inégalités observé a été moindre que dans d'autres pays. Par conséquent, la France reste un pays où les inégalités ont moins augmenté et actuellement, elles restent relativement stables. C’est ce que montraient des données de l’INSEE fin 2022.

En comparaison avec d'autres pays riches similaires, tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, la France est donc moins inégalitaire mais avec une situation plus stable.

Au Royaume-Uni, il y a eu une forte augmentation des inégalités dans les années 90 et 2000, tandis qu'en Allemagne, cela s'est produit depuis les années 2000. En France, nous n'avons pas connu le même phénomène initial, donc nous n'avons pas le même retour de bâton. La situation en France diffère donc des autres pays en termes d'évolution des inégalités.

Que se passe-t-il au Royaume Uni et en Allemagne ? Et plus largement en Europe ?

En Allemagne, il est un peu difficile de mesurer la situation actuelle en raison de la récession en cours, ce qui n'est pas très favorable. Cependant, on peut remarquer que l'Allemagne est un peu disjointe de la situation actuelle. Des mesures avaient déjà été prises pour réduire la pauvreté et les aspects négatifs des inégalités depuis le début des années 2000, notamment la mise en place d'un salaire minimum et d'autres initiatives en Allemagne. De plus, l'Allemagne a mis en place diverses mesures de soutien aux revenus pendant la période du COVID. Donc, oui, cela se reflète dans la situation en Allemagne.

En ce qui concerne le Royaume-Uni, on constate que la situation des riches se dégrade plutôt que celle des bas revenus qui s'améliore véritablement. Néanmoins, on observe également une tendance à la stagnation des inégalités, mais cela n'est pas nécessairement favorable. Cela s'explique en partie par la situation économique qui n'est pas optimale au Royaume-Uni. Il y a une vraie tendance globale.

Source : https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tessi190/settings_1/table?lang=en

Certains parlent d’une « richcession » à quel point est-ce le cas ?

Il convient cependant de ne pas exagérer. Il y a encore quelques entreprises dont les valorisations augmentent considérablement. Je pense que le phénomène principal est tout de même la hausse des taux d'intérêt, ce qui mécaniquement diminue la valeur des gros actionnaires. C'est un aspect à prendre en compte. De plus, dans la période précédente, avec des taux d'intérêt très bas, nous avons observé des bulles d'actifs dans tous les domaines, ce qui a automatiquement entraîné une augmentation de la richesse, bien que celle-ci soit souvent plus virtuelle que réelle. Maintenant, les circonstances sont différentes, les taux d'intérêt sont plus élevés, et seules quelques entreprises parviennent à tirer leur épingle du jeu dans ces circonstances. 

Il est vrai que dans les pays riches, la période précédente, avec des taux d'intérêt très bas qui favorisaient l'investissement et la valorisation des actifs, touche à sa fin. Ainsi, la période très favorable pour les patrimoines des plus riches s'achève. Cependant, il est également important de souligner que la période précédente était une période exceptionnelle.

Les économistes David Autor, Arindrajit Dube et Annie McGrew estiment que la possibilité pour les travailleurs à bas salaires d'accéder à des emplois mieux rémunérés a permis de réduire d'un quart l'inégalité salariale entre les hauts et les bas salaires qui s'était creusée au cours des quatre décennies précédant la pandémie. On a l'impression que c'est particulièrement important. Est-ce l’ampleur du mouvement ?

Aux États-Unis, oui, mais on revient de loin. Le salaire minimum n'avait que très peu augmenté pendant une période très longue, depuis les années 90 jusqu'aux années 2010. Tout à coup, nous avons vu le salaire minimum remonter dans de nombreux États, tandis que certaines entreprises qui employaient des travailleurs à bas salaires ont constaté qu'elles devaient augmenter les salaires pour attirer les candidats. Ainsi, aux États-Unis, il y a une véritable pression exercée sur le marché du travail, ce qui profite énormément aux travailleurs à bas salaires. Cependant, je tiens à souligner que cette situation est vraiment spécifique aux États-Unis. Si l'on compare l'évolution du salaire minimum en France depuis les années 90, elle n'a rien à voir avec ce qui s'est passé aux États-Unis.

Ce particularisme diminue et dans l'ensemble, cela s'explique par le fait qu'un grand nombre de personnes n'ont plus besoin de cumuler plusieurs emplois à bas salaires et peuvent bénéficier d'un pouvoir de négociation plus fort, en particulier dans des secteurs tels que la restauration. Ils peuvent obtenir un meilleur salaire d'un côté et bénéficier de compléments de revenus, comme les pourboires, qui sont plus importants de l'autre côté. Dans l'ensemble, cela contribue à une amélioration des salaires et réduit les inégalités. Cependant, il est important de noter que cela concerne un pays, les États-Unis, qui a connu une trajectoire assez différente de celle des autres pays riches.

Peut-on penser que la tendance est amenée à se maintenir ?

Nous n'en avons aucune idée. Cependant, il est tout à fait possible d'envisager que les circonstances évoluent et que nous revenions à une situation antérieure, bien que cela ne soit pas forcément le scénario le plus probable. Les gains obtenus jusqu'à présent sont susceptibles de se maintenir, même si nous ne connaissons pas exactement l'avenir. Nous constatons néanmoins qu'il n'y a pas de raison particulière de revenir dans la même direction que par le passé. Ainsi, nous pouvons penser que les acquis réalisés jusqu'à présent auront une certaine inertie et persisteront. Cependant, affirmer que nous serons dans une période de réduction des inégalités similaire aux Trente Glorieuses est prématuré, car il est encore trop tôt pour le dire.

Cela dit, parmi les différents éléments, il y a un facteur important à considérer aux États-Unis : la transition énergétique est financée exclusivement par des subventions publiques. Lorsque nous observons comment cela se passe en Europe, nous constatons que la transition énergétique implique des coûts importants pour la classe moyenne et les ménages à revenus modestes. C'est un aspect déterminant à prendre en compte. La manière dont la transition énergétique sera financée aura un impact considérable dans les prochaines périodes. Nous pouvons nous attendre à de nombreuses discussions et débats à ce sujet. Contrairement à ce qui se passe en Europe, aux États-Unis, l'idée est de faire en sorte que « personne » ne fournisse d'efforts financiers pour la transition énergétique, et que ce soit le budget de l'État qui joue le rôle d'amortisseur. Nous constatons que cela crée des tensions en Europe. Ainsi, si nous devions chercher quelque chose qui aura un impact sur les tendances à venir, il s'agira de la manière dont nous financerons et répartirons les coûts de la transition énergétique. Rien que cela aura un impact considérable dans les dix prochaines années.

Quelles sont les conséquences de cette situation actuelle ?

Au-delà de ces conséquences, il est important de souligner que les équilibres politiques restent globalement les mêmes et que les dynamiques politiques évoluent peu. Il est difficile de prévoir avec certitude où cela nous mènera. Il est essentiel d'adopter une grande prudence dans l'interprétation de la période actuelle. Honnêtement, il y a trois ans, personne n'aurait pu prévoir la situation actuelle. Tout le monde pensait que ce sont les bas revenus et les plus pauvres qui paieraient le prix de la pandémie et que la situation deviendrait encore plus difficile. Personne n'aurait pu anticiper la diminution des inégalités à l'ampleur actuelle, de la même manière que personne n'avait prévu l'inflation. Nous ne savons pas exactement pourquoi ni combien de temps durera l'inflation actuelle. Par conséquent, il est essentiel d'être prudent.

Nous avons tendance à rechercher rapidement des tendances sur des phénomènes incertains. Dans ce contexte, il est préférable d'adopter une attitude modeste et de reconnaître que nous ne savons pas exactement ce qui se passera. Si nous cherchons à établir des équilibres politiques ou économiques pour l'avenir, cela devient encore plus spéculatif que de simplement se demander comment les dynamiques des revenus évolueront. Il est donc primordial d'être extrêmement prudent, car il est actuellement très difficile de dégager des tendances à très long terme.

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