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Le coût mondial de la mauvaise coordination des politiques budgétaires de la zone euro en 2012
©Reuters

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La zone euro, collectivement, a poussé trop loin la consolidation budgétaire, selon la Banque de France.

Brad W. Setser

Brad W. Setser

Brad W. Setser est membre du Council on Foreign Relations, un think tank non-partisan américain. Son expertise comprend la macroéconomie, les flux de capitaux mondiaux, l'analyse de la vulnérabilité financière, la restructuration de la dette souveraine et la gestion des crises financières. Il écrit régulièrement sur le blog Follow the Money

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« La Banque de France a publié un intéressant article dans son rapport d’été. Elle affirme que la zone euro, collectivement, a poussé trop loin la consolidation budgétaire (par exemple, trop d’austérité, c’est-à-dire trop de réductions de dépenses publiques et de hausses d’impôts) entre 2011 et 2013. Surtout en 2012 : "La consolidation constatée, sur la base de la variation cumulée du solde structurel primaire des administrations publiques entre 2011 et 2013 est à présent estimée par la Commission européenne à près de 2,9 % du PIB potentiel (...). En particulier, l’effort budgétaire a été de 1,5 point de PIB en 2012". 

En effet, la consolidation n’a pas seulement été mise en œuvre par les pays "fragiles" pour regagner en marge de manœuvre budgétaire (Il n’est pas certain qu’ils y parvinrent, dans la mesure où un "excès de consolidation" réduit le PIB et donc n’aide pas vraiment pour réduire le ratio dette publique sur PIB, comme l’ont notamment montré Auberbach et Gorodnichenko). Les "pays robustes", disposant manifestement de marge de manœuvre budgétaire, notamment l’Allemagne, optèrent aussi pour la consolidation : "Les efforts sur ces deux années ont été très importants en Espagne et en Italie (respectivement 3 et 2 points de PIB) et notables en Allemagne (1 point) et en France (0,8 point). La consolidation budgétaire de 2012 a probablement provoqué un affaiblissement de la demande au moment où l’écart de PIB (output gap) était notable: – 2,2% en 2012.". 

En d’autres mots, la somme des politiques budgétaires nationales a produit bien trop de resserrement budgétaire pour la zone euro dans son ensemble, bien plus de resserrement que la BCE ne pouvait compenser (et il n’est pas certain que la BCE ait fait tout ce qu’elle pouvait faire pour tenter de le compenser, dans la mesure où elle n’a réussi à vaincre les obstacles internes pour mettre en œuvre son assouplissement quantitatif qu’en 2014). 

La Banque de France identifie aussi un scénario alternatif plausible, qui aurait réduit l’ampleur de la consolidation. Elle propose, pour 2012 : "Une consolidation avec une variation du solde structurel de 0,8 point en France, en Italie et en Espagne ainsi qu’une modeste expansion budgétaire de 0,5 point en Allemagne. Ces hypothèses conduisent à une moindre consolidation agrégée des quatre grands pays, de 1,1 point de PIB". Un ralentissement de la consolidation budgétaire en France, en Espagne et en Italie et une expansion budgétaire compensatrice en Allemagne auraient réduit la consolidation budgétaire globale en 2012, puisque celle-ci serait passée de 1,5 point de pourcentage du PIB de la zone euro à 0,4 points de pourcentage du PIB de la zone euro, ce qui se traduirait par un moindre poids sur la demande domestique. Et la Banque de France suggère également une consolidation plus modeste en 2013, une consolidation plus limitée à 0,2 % du PIB de la zone euro. 

Je pense personnellement que le scénario alternatif de la Banque de France est toujours (budgétairement) trop conservateur. La France aurait pu également retarder sa consolidation budgétaire, même si la Banque de France ne veut pas le dire (1). Mais le point clé est que l’Allemagne a entrepris une consolidation lorsqu’elle n’avait clairement pas la nécessité de faire. Cette consolidation a poussé la production allemande sous son potentiel et elle a compliqué la vie de ses voisins immédiats. Et à un moment où le reste de la zone euro générait un choc négatif sur la demande mondiale. 

Martin Sandbu, dans le Financial Times a noté (correctement) que l’excédent commercial de l’Allemagne avec le monde n’a pas beaucoup changé depuis environ 2013. Il affirme en outre qu’un excédent allemand large, mais constant, n’a pas été un frein sur le reste du monde au cours de cette période. Je n’en suis pas sûr : un excédent commercial signifie que les autres pays ont continuellement à générer de la demande en excès de leur production (et à plus importer qu’ils exportent) (…). Par conséquent, cela serait une bonne chose si l’excédent allemand chutait, car cela fournirait un choc positif à la demande mondiale. 

Mais la défense de Sandbu (…) ne s’applique pas pour l’année 2012. Cole Frank et moi avons désagrégé la contribution que les exportations nettes ont représenté pour la croissance globale de la zone euro par pays ; et l’Allemagne s’appuyait alors sur les exportations nettes pour la croissance. 

GRAPHIQUE Les contributions des exportations nettes à la croissance de la zone euro



Mathématiquement, une contribution de la part des exportations nettes peut venir soit d’une chute des importations (le reste du monde partage les souffrances, donc la production chute moins que la demande domestique), soit d’une hausse des exportations. Pour l’essentiel du reste de la zone euro, la contribution de la part des exportations nettes est venue d’une chute des importations. Mais pour l’Allemagne, elle est venue d’une hausse des exportations, comme l’Allemagne a compensé la chute de la demande interne de la zone euro en exportant davantage au reste du monde. 

En d’autres mots, une consolidation inutile en Allemagne (et une consolidation excessive dans la zone euro) n’a pas seulement poussé la zone euro dans une récession plus profonde ; elle a aussi freiné l’économie mondiale. Le reste du monde était alors contraint en termes de demande ; l’accroissement des excédents en Allemagne signifiait moins de croissance ailleurs. 

Il y a un second point ici, un point qui est aussi pertinent pour aujourd’hui que pour le passé. En ce qui concerne aujourd’hui, comme Sandbu l’a souligné, la politique budgétaire de la zone euro est la somme des politiques budgétaires de ses principaux Etats-membres. Cela peut changer, avec un gros budget pour la zone euro et un ministre des Finances de la zone euro qui ait de réelles capacités d’emprunt. Mais c’est peu probable (comme le pense notamment Martin Wolf). Par conséquent, il est essentiel de coordonner les différentes politiques budgétaires nationales pour obtenir les bonnes politiques budgétaires au niveau de la zone euro et s’assurer que la somme des politiques budgétaires nationales fasse sens pour une région qui partage une même monnaie, donc une même politique monétaire. 

(1) Je pense aussi que le multiplicateur que la Banque de France applique pour calculer l’impact de son scénario alternatif est probablement trop faible ; elle a utilisé un multiplicateur compris entre 1 et 1,2. L’administration Obama, pour l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009, a utilisé un multiplicateur de 1,5, ce qui semble un bon chiffre. La Banque de France : "Au total, une politique budgétaire ciblant l’investissement public pourrait se voir appliquer un multiplicateur de 1 à 1,2. Combiné à un moindre effort de consolidation, de 0,8 à 1,6 point de PIB entre 2012 et 2013, résultant d’une orientation budgétaire coordonnée plus souple comme décrit ci-dessus, le coût d’opportunité en croissance des carences de la coordination des politiques budgétaires en 2011-2013 se situerait ainsi entre 0,8 et 1,9 point de PIB. » 

Ce texte est paru initialement sur le site Follow the Money, a été traduit par Martin Anota, professeur de SES et blogueur, et publié sur son site "Annotations".

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