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Le chômage partiel est une réussite, les Français n’en ont guère conscience, sauf les râleurs et les voleurs. La fraude et les abus font tâche
©PASCAL GUYOT / AFP

Atlantico Business

Désolant et lamentable, la France, pays de râleurs, serait aussi un pays de voleurs. Un certain nombre de salariés et de chefs d’entreprises ont profité de la généralisation du chômage partiel pour s’enrichir aux frais des contribuables.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le gouvernement français a décidé de durcir et de raréfier le recours au chômage partiel, mais en même temps, il a ouvert la chasse aux abus et aux fraudes qui ont permis à des chefs d’entreprises et même à des salariés d’en profiter. Certains trouveront évidemment des excuses à ceux qui vont se faire prendre. Il en a toujours été ainsi. La fraude aux avantages fiscaux, aux prestations sociales et au travail au noir a toujours été un sport national. Mais, jusqu’alors, on pouvait l’interpréter comme une forme de réponse quasi naturelle à la complexité administrative, à la lourdeur de la pression fiscale et même à la fatalité d’une certaine pauvreté... Mais quand cette fraude explose dans des proportions importantes à la faveur de la crise sanitaire et des mesures compensatoires libérées par l’administration, on frôle le scandale national et moral.

Officiellement, les chiffres n’ont pas encore été établis, puisque le système exceptionnel n’a pas été complètement levé. Mais certains chiffres seront tenus secret-défense, tant ils pèsent lourd selon les premiers pointages.

Depuis le 11 mars, c’est plus de 12,5 millions de salariés qui ont pu bénéficier d’un chômage partiel. Plus d’un million d’entreprises petites ou grandes ont fait une demande d’accès au dispositif.

Ce dispositif est sans doute le plus généreux de tous ceux qui ont été mis en place au début de la pandémie dans les pays occidentaux. 

Une semaine après le début du confinement, le décret du 25 mars 2020 améliorait le montant financier de l’allocation, et simplifiait énormément la procédure de recours à l’activité partielle, en réduisant les délais de traitement. Ce dispositif s’est s’appliqué avec effet rétroactif, à compter du 1er mars 2020, 15 jours avant la mise en place du confinement.

Il avait pour but d’assurer au salarié placé au chômage technique, c’est à dire dans l’impossibilité d’assurer son travail, au moins 70% de la rémunération brute du salarié, avec une seule réserve, elle était plafonnée à 4,5 fois le smic pour les salaires plus élevés. L’entreprise payait son salarié, mais l’allocation d’activité partielle lui était versée par l’État. Avec ce nouveau dispositif, le reste à charge pour l’employeur est nul pour tous les salariés dont la rémunération est inférieure à 4,5 le SMIC.

Ce nouveau dispositif a concerné toutes les entreprises, quel que soit leur effectif, car l’enjeu était considérable. Il s’agissait pour l’Etat de permettre aux entreprises paralysées par le confinement de conserver leurs outils de travail et pour les salariés de ne pas voir leurs contrats cassés.

La France entière ou presque s’est mise au chômage partiel dont le coût financier s’avère considérable. Programme qui a couté en gros 9 milliards d’euros mais Bruno Le Maire laisse entendre que la facture sera beaucoup plus lourde.

D’où une certaine précipitation dans les mécanismes de déconfinement pour remettre la machine économique en route et fermer progressivement le robinet du chômage partiel, même si dans certains secteurs, comme le tourisme, le transport, il faudra prolonger le système jusqu'à la fin de l’année.

Mais fait très nouveau, le ministère du Travail s’est mobilisé pour chasser les abus et des fraudeurs parce qu‘on s’aperçoit qu’ils ont été légion et qu’ils continuent à frauder.

Le système de chômage partiel a été activé tellement vite (mais il le fallait) avec des procédures ultra rapides et ultra souples, que l’administration a fait très peu d’enquêtes avant de libérer les aides. Très peu d’enquêtes, très peu de contrôles pour vérifier que les entreprises étaient bien éligibles. Les abus et les fraudes sont multiples.

La fraude la plus fréquente concerne les salariés mis en télétravail. 4 millions environ. En théorie, les télétravailleurs n'ouvraient pas droit au chômage partiel pour l’entreprise. En réalité, nombre d’entreprises ont incité leurs salariés à se mettre au télétravail alors qu'ils les avaient déclarés en activité partielle. C’était alors tout bénéfice pour l'entreprise, qui était remboursée des salaires mais qui continuait une certaine activité. Dans beaucoup de cas, le salarié était complice. Dans certains cas, il n’avait pas le choix sinon il risquait d’être viré carrément.

L’un des abus les plus fréquents aussi commis par des chefs d’entreprises aura été de déclarer des réductions de temps de travail. Ils pouvaient alors demander des remboursements pour des salariés qui continuaient de travailler à temps partiel, soit dans l’entreprise soit en télétravail. Dans cette hypothèse, l’employeur doit définir clairement les plages travaillées et celles non travaillées, précise le ministère du Travail. Or, beaucoup de ces entreprises ont déposé des demandes de remboursement intentionnellement majorées par rapport aux plages effectivement non travaillées, ce qui leur a permis d’avoir des salaires remboursés par l’administration plus qu’ils n’auraient dû.

Enfin, beaucoup de fraudes ont été détectées au niveau des salariés qui, en chômage partiel, ont travaillé en ne le déclarant pas. Le travail au noir, payé au noir, s’ajoutait à l’indemnité de chômage partiel.

La période exceptionnelle, la souplesse des mesures d’Etat a souvent permis à beaucoup d’acteurs de cumuler « le beurre et l’argent du beurre ». Et tout le monde se débrouille au mieux de ses intérêts.

Si la demande du chef d’entreprise a été formulée officiellement, explicitement : le salarié qui refuse de travailler alors qu’il a été placé en chômage partiel ne pourra pas faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Il ne commet aucun manquement en refusant de se conformer à la demande illégale de son employeur.

Mais, comme il s’agit d’une fraude et que c’est assimilé à du travail illégal, l’employeur peu scrupuleux va plutôt user de toutes sortes de ruses pour solliciter ce cumul, de façon officieuse.

Certains vont jouer de l’ambiguïté du dispositif : chômage partiel total (le salarié n’est pas du tout censé travailler) ou réduction du temps de travail habituel (qui impliquerait que le salarié travaille quand même). Etant précisé que si l’employeur reste silencieux, on peut supposer qu’il s’agira d’un « chômage partiel total ».

D’autres vont volontairement entretenir le flou : comme l’employeur n’a jamais été obligé d’informer ses salariés par écrit de la mise en place du dispositif de chômage partiel dans son entreprise, cette carence encouragera à une communication orale floue et souvent imprécise.

Une communication qui peut aller jusqu’à la menace explicite de licenciement, plus « subtils » seront les appels, les suggestions lourdes et insistantes en invoquant « la solidarité » ou «la conscience professionnelle ».... D’autres continuent de recevoir des mails de leur hiérarchie, sollicitant des rapports ou des compte-rendu dans des délais requis.

L’abus assez fréquent prend parfois la forme d’un « chantage au salaire » : l’employeur promet un maintien de salaire à 100% si le salarié continue à travailler normalement, nonobstant le chômage partiel. Ce « maintien » pourra d’ailleurs dans certains cas prendre la forme d’une promesse de « prime » qui viendra plus tard compléter le manque à gagner pour les salariés.

Tous ces abus ont été souvent débusqués dans le monde des « gros salaires », ceux pour lesquels le chômage partiel - largement financé par l'Etat - permettra d'alléger la masse salariale.

La seule façon de savoir s’il y a eu fraude ou manipulation, est de déterminer si le salarié est au courant et participe en toute connaissance de cause à cette fraude et en ce cas, il est passible de complicité.

Si le salarié ne sait pas ce qu’il se passe, il pourra le découvrir en regardant son bulletin de salaire à la fin du mois, lequel précise le nombre d’heures chômées et indemnisées.

Ces abus frauduleux font l’objet de sanctions lourdes, civiles et pénales.

Pour le salarié, il peut être condamné au remboursement intégral des sommes perçues au titre du chômage partiel. Le chef d’entreprise qui a perçu des sommes indues, lui, se voit infliger l’interdiction de bénéficier pendant 5 ans, de toute aide publique en matière d’emploi ou de formation professionnelle. Il risque aussi 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Mais plus grave, si la Sécurité sociale vient à démontrer que la fraude a donné lieu à travail dissimulé, l’Urssaf pourra appliquer une majoration complémentaire de 25% sur le montant du redressement des cotisations et contributions sociales.

La colère de l’administration, via le ministère du Travail, est telle qu‘elle invite les salariés et les représentants du personnel à signaler les manquements à la règle. Le montant de la fraude atteindrait près de 20 % des salariés au chômage partiel et 20% des montants versés. L’Etat a commis beaucoup d’erreurs dans la gestion de cette crise, mais certainement pas celle d‘avoir hésité à amortir le choc social et économique. Le dispositif était ultra-généreux, mais si demain on apprenait que ce dispositif a été détourné au profit de quelques-uns, ces malversations seraient insupportables pour ceux qui ont vraiment souffert du Covid-19 : des malades aux personnels soignants en passant par tous les chefs d’entreprises qui se débattent pour sauver leur peau et les emplois.

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