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Le Brexit, une victoire des altermondialistes ? Pourquoi le Royaume-Uni pourrait bien avoir tué la mondialisation telle que nous la connaissions
©Pixabay

Fin de la mondialisation ?

Pour l'économiste Branko Milanovic, le Brexit signe la victoire d'un altermondialisme populaire et la fin de la mondialisation telle que nous la connaissons. Selon lui, ce constat appelle à plus de politiques de redistribution au sein des pays développés en vue d'augmenter les revenus des perdants de la mondialisation et de réduire l'écart entre les classes moyennes et les élites.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Atlantico : Si les perdants de la mondialisation sont minoritaires au niveau mondial, ils peuvent former une majorité au sein des pays occidentaux, et seraient donc en mesure de bloquer le processus. Avec le Brexit, peut-on parler de première victoire d'un altermondialisme populaire s'opposant à une certaine forme de libéralisme ? Le Brexit signe-t-il la fin de la mondialisation telle que nous la connaissons ?

Branko Milanovic : Oui, le Brexit signe la victoire d'un altermondialisme populaire pour deux raisons : d'une part, c'est une réaction aux gains de revenus des classes moyennes plus faibles que ce qui avait été promis par la mondialisation (combiné aux forts gains de revenus des 1% les plus riches) ; d'autre part, c'est une réaction contre l'immigration qui est aussi logiquement contenue dans l'idée de mondialisation. Il est selon moi faux de minimiser la portée anti-mondialisation du vote pour le Brexit. En effet, ce vote était en grande partie un vote contre la mondialisation telle que nous la connaissons. 

Mais je ne pense pas que le Brexit seul représente la fin de la mondialisation. En réalité, il est possible que l'article 50 ne soit jamais invoqué et que le Royaume-Uni reste un état membre de l'UE. Si tel est le cas, alors cela mettra en évidence un autre conflit, dont je parle dans mon livre Inégalités mondiales – poursuite de la mondialisation VS volonté populaire (ou démocratie). Nous pourrions donc avoir une mondialisation avec une démocratie limitée où ceux qui sont contre la mondialisation ne seront pas autorisés à gagner des élections (ou des référendums). 

Dans une interview donnée au Washington Post au mois de juin dernier, Hillary Clinton reconnaissait que la mondialisation avait fait des perdants et que ceux-ci se tournaient dès lors vers les populistes comme Donald Trump. La "solution" n'est-elle pas, enfin, que les partis de gouvernements prennent en compte les dégâts qui ont été effectivement causés par la mondialisation ? En quoi le déni alimente-t-il la poussée populiste ?

Il me semble contre-productif de nier l'évidence. Il est encourageant de voir qu'Hillary Clinton en a pris conscience et qu'elle reconnaisse - au moins verbalement - la réalité (bien qu'on puisse douter qu'elle fasse quoi que ce soit contre ce phénomène dans la mesure où sa campagne est fortement financée par les milieux d'affaires). Pour accroître leur viabilité, les principaux partis politiques pourraient reconnaitre qu'un groupe significatif d'individus connaît très peu d'augmentation réelle de revenus et lancer des politiques de redistribution (augmentation de la taxation des héritages, subventions à ceux qui possèdent un petit capital, facilitation de l'accès à l'éducation) qui permettraient à la fois d'augmenter les revenus des "perdants" et de réduire l'écart séparant les classes moyennes des élites.  La réduction du coût exorbitant de l'éducation est particulièrement importante aux Etats-Unis (mais aussi en Europe). En effet, payer pour l'éducation des enfants devient de plus en plus hors de portée même dans les familles où les deux parents sont des travailleurs de la classe moyenne. Rien n'a été fait à ce sujet. Mais il est très difficile de prendre des mesures dans ce sens quand les élites contrôlent les partis politiques dans pratiquement tous les pays au travers des financements et de ce que Gramsci appelait l'hégémonie (l'emprise idéologique).  

La question de immigration était la seconde motivation des partisans du Leave : le principe de libre circulation des personnes est-il encore viable après le Brexit ? L'Europe peut-elle encore soutenir qu'il est obligatoirement bénéfique ?

Votre question fait référence à la liberté de mouvement à l'intérieur de l'UE. Le Royaume-Uni fait figure d'exception car dans aucun autre pays européen (y compris la France) le problème ne vient de la liberté de circulation à l'intérieur de l'UE. Le problème (et la peur) sont liés aux arrivées massives de réfugiés et de migrants économiques du Moyen-Orient, d'Asie (Afghanistan, Pakistan, Bangladesh) et d'Afrique. Donc il me semble que la deuxième motivation du vote en faveur du Brexit n'invalidera pas l'idée d'un marché unique européen.  

Au regard de l'expérience, des résistances de la population, quel pourrait être un chemin "raisonnable" permettant de concilier la mondialisation avec les aspirations des classes moyennes occidentales ?

J'ai en partie répondu dans la question 2. Pour que la mondialisation soit compatible avec les intérêts des classes moyennes, ou du moins pour que les classes moyennes (ou ouvrières) occidentales soient moins activement opposées à la mondialisation, des politiques nationales de redistribution doivent être mises en place. Cela ne signifie pas uniquement plus d'impôts pour les riches et plus de redistribution, mais le recours à des politiques de long terme en faveur d'un élargissement de la propriété du capital (après tout, c'est bien Margaret Thatcher qui a parlé de "capitalisme populaire" au début de la mondialisation). Ces politiques devraient également viser à égaliser les niveaux d'éducation, et probablement à introduire des revenus de base garantis par la citoyenneté. Ce dernier point requiert néanmoins une nouvelle approche des politiques migratoires car garantir un revenu significatif (en termes universels) à tous les résidents d'un pays riche pourrait davantage exacerber la migration extra-européenne. C'est pourquoi je suis favorable à l'introduction de plusieurs catégories de résidents (une "citoyenneté graduelle") et au fait d'avoir des migrants qui seraient des travailleurs temporaires tenus de rentrer dans leurs pays d'origine après une période donnée.

Propos recueillis par Emilia Capitaine 

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