Le bras de fer sur le gaz ressemble à une partie de poker menteur. Et donc tout le monde ment<!-- --> | Atlantico.fr
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Un employé travaillant sur le pipeline Nord Stream.
Un employé travaillant sur le pipeline Nord Stream.
©OLGA MALTSEVA / AFP

Chantage

En imposant le paiement en rouble, Vladimir Poutine pense avoir trouvé la riposte miracle aux sanctions économiques. En fait, il va obliger ses clients à changer de fournisseurs beaucoup plus vite que prévu, mais pas que.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Il y a deux lectures possibles du bras de fer qui oppose l’Europe à la Russie.

A très court terme, c’est vrai, les sanctions économiques très brutales prises par les Occidentaux commencent à perturber la vie économique des Russes. Les oligarques, dont beaucoup se sont mis à l’abri en Israël, commencent à grogner, le peuple russe se prépare à affronter la pénurie de certains biens de consommation et d’équipement et les lignes de production russe, coupées des approvisionnements du monde occidental, s’arrêtent. Ne parlons pas des cargaisons de céréales qui pourrissent dans les cargos d’Odessa, à l‘heure des semences pour la prochaine récolte.

Le seul secteur épargné par les sanctions est celui des hydrocarbures, tout simplement parce que les Occidentaux en ont besoin. Mais de l’autre côté, Moscou a absolument besoin des revenus que lui procurent la vente du gaz et du pétrole (plus de 800 millions d’euros par jour).

D‘où le bras de fer, d’où les pressions exercées sur les gouvernements européens pour qu’ils arrêtent leurs achats. D’où les menaces de Vladimir Poutine de fermer les robinets.

Donc, à très court terme, les Occidentaux espèrent que les menaces seront prises au sérieux et que Poutine, pour éviter l’asphyxie financière, baissera les armes très rapidement. Du côté russe, Vladimir Poutine ne peut pas envisager un tel aveu de faiblesse.

Donc, le bras de fer se durcit par l’obligation infligée aux Occidentaux de payer le gaz en rouble. Pour Poutine, le paiement en rouble permet de soutenir le cours de change de sa monnaie parce que les acheteurs vont acheter du rouble avec des euros ou des dollars. Ça ne modifie strictement rien sur le prix de cession du gaz à court terme (ça devrait même faire baisser la facture) mais ça leur fait courir un risque à moyen terme puisqu’ils doivent supporter le risque de change. Il faut rappeler que les contrats ont été signés à très long terme (jusqu’à 30 ans) et libellés en euros pour éviter justement le risque de change avec le rouble.

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Les Occidentaux n’ont aucune raison d’accepter. Bruno Le Maire et le chancelier allemand ont très vite expliqué que les contrats ont été signés en euros, et que les contrats doivent être respectés, sinon c’est la fin de tout commerce international. Ce ne sont pas des vœux pieux. Mais personne n’imagine que les pays européens iraient assigner Vladimir Poutine dans une cour de justice internationale.

Dans ces conditions, que peut-il se passer ? Pas grand-chose, sauf de la com.

D’abord, les Russes ne peuvent pas fermer les robinets du gaz très rapidement, il leur faut techniquement plusieurs mois. Il faut dire que Gazprom, qui gère l’extraction et l’exploitation, a besoin de TotalEnergies pour ses équipements et ses technologies.

Ensuite, les Occidentaux vont refaire leur stock qui ont été vidés par la consommation hivernale (d’ailleurs, c’est l’intérêt de Gazprom qui possède des équipements de stockage en Europe et qui risque de les perdre si les rapports se détériorent vraiment).

Sur le financement en rouble, on passera par des chambres de compensation très connues dans toutes les capitales du monde, il y en a dans les banques russes. Les clients vont continuer de verser des euros ou des dollars à la chambre de compensation, laquelle transformera tout cela en rouble. Les financiers de Gazprom pourront dire à leur président que ses ordres ont bien été respectés.

Donc personne n’a intérêt à sortir du statu quo, pas même les Ukrainiens qui sont chauffés au gaz russe (12 millions de foyers) et qui, en plus, reçoivent un droit de passage du gaz qui transite par l’Ukraine via des gazoducs et qui approvisionnent l’Europe. Ce qui est d’ailleurs assez paradoxal. Non seulement la guerre n’a pas endommagé les équipements, mais la Russie continue de payer l’Ukraine.

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Alors, à plus long terme, beaucoup de choses peuvent changer. A priori, il n’existe pas de risque de rupture d’approvisionnement d’ici l’hiver prochain. Les Européens vont donc reconstituer leurs stocks avant l’hiver. Mais surtout, ils vont chercher des solutions alternatives. Le gaz russe représente 40% de la consommation moyenne en Europe. Mais les 27 pays de l’Union ne sont pas logés à la même enseigne. L’Allemagne consomme du gaz russe à hauteur de 55% de ses besoins. C’est de loin la plus grosse consommatrice en dehors des pays proches de la Russie comme la Pologne (100 %).

Mais l’Union européenne cherche ardemment actuellement des sources différentes (le Qatar, la Norvège, l’Algérie, les USA et le Canada). L’Union européenne travaille sur l’évolution du mix énergétique pour faire baisser la part du gaz au profit du biogaz, et du bio-carburant, du nucléaire surtout et des énergies naturelles.

Cette mutation-là va nécessiter des investissements importants, notamment la construction de terminaux et d’usines de liquéfaction du gaz qui va arriver par voie maritime sous forme liquide. Bref, le remplacement total du gaz russe pourrait demander 5 années d’effort.

Alors, Poutine joue gros aussi, parce que, dès que l’Europe sera engagée dans une évolution notable de son mix énergétique, il lui faudra trouver des clients de remplacement. Et ça ne sera pas simple pour lui. La Chine oui, mais la Chine n’est pas prête. Ce qui est pervers dans cette partie de poker menteur, c’est que Poutine ne croit pas à cette mutation, il croit plutôt que cette affaire du gaz va fragiliser la cohésion des Européens. Certains pays peuvent essayer de jouer solo.

Possible. Mais pour l’instant, il se trompe. La guerre en Ukraine a renforcé l’identité ukrainienne alors qu’il pensait qu‘elle était fragile. L’invasion de l’Ukraine a réveillé l‘Otan qui était structurellement affaiblie, et a renforcé la solidarité des 27 pays de l’Union européenne. Donc le poker que Vladimir Poutine ne semble pas gagnant.

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