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Le Bitcoin se respectabilise en ouvrant sa "maison" à Paris mais où en est vraiment la monnaie virtuelle ?
©Reuters

Etat des lieux

Après le scandale de Mt. Gox, la désormais célèbre monnaie virtuelle tente de peaufiner son image. Dernière preuve en date : l'ouverture d'une "Maison du Bitcoin" à Paris où l'on apprend notamment aux détenteurs de Bitcoin à sécuriser leur monnaie. L'opération marketing, aussi séduisante soit-elle, révèle néanmoins des failles.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Au-delà de l'opération de communication que représente l'ouverture d'une "Maison du Bitcoin" à Paris, quelle est la solidité d'une monnaie présentée il y a peu comme révolutionnaire ?

Jean-Michel Rocchi : Le « Bitcoin » est une monnaie virtuelle et il est en terme marketing très habile de créer une « Maison du Bitcoin » en dur, cela ne confère néanmoins aucune garantie réelle aux investisseurs. La faillite de MtGox en février 2014 a été présentée comme un simple risque technologique tout viendrait de hackers malveillants qui auraient dérobé une partie des Bitcoin. Cette thèse n’est pas démontrée et les clients de la plateforme font perdre la quasi-totalité de leurs avoirs. Qu’ils soient fortement lésés est à peu près la seule chose certaine de cette affaire toujours très ténébreuse.

Il faut souligner la pertinence des analyses de la Banque de France qui dans une étude lumineuse (Focus N°12, 5 décembre 2013) opérait une mise en garde dès son titre : « Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin ». 

La banque centrale avait très bien perçu aussi les risques inhérents aux plateformes d’échange : « Des platesformes internet proposent, sans aucune garantie de prix ni de liquidité, l’achat/vente de bitcoins contre des devises ayant cours légal. La garantie d’anonymat offert par les transactions en bitcoins sur internet – aucune information personnelle n’étant nécessaire pour réaliser des échanges – et des coûts de transactions réputés faibles ont suscité l’intérêt d’un nombre croissant d’internautes…La valeur des bitcoins sur ces platesformes d’échange n’est pas garantie et résulte exclusivement de la confrontation de l’offre et la demande ».

Le statut légal du Bitcoin reste encore vierge en Europe comme aux Etats-Unis. Quels avantages et inconvénients ce statut particulier permet-il ?

Les avantages sont surtout pour les inventeurs qui se protègent en choisissant des environnements ou les risques juridiques sont faibles et les poursuites futures éventuelles à leurs égards complexes. Pour leurs détenteurs c’est l’inverse : comme le note la banque de France « contrairement à la monnaie électronique, le bitcoin n’est pas assorti d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale. » On le perçoit il y a deux risques très différents :

  • Un risque qui porte sur la valeur
  • Un risque de non-remboursement

Le risque qui porte sur la valeur d’une monnaie classique peut aussi exister en cas de thésaurisation (inflation voire hyperinflation, dévaluation), ce qui frappe néanmoins dans le cas du Bitcoin c’est la très forte volatilité de sa valeur couplée avec une très grande opacité des raisons de celle-ci.

Le risque de non remboursement est caractéristique d’une monnaie sans garantie. Il n’y a aucun prêteur en dernier ressort vers qui se retourner. N’oublions pas qu’en France en 1720 la Banque Royale fit faillite (« effondrement du système de Law »), de nombreux épargnant pensaient que derrière la banque il y avait le régent Philippe d’Orléans c'est-à-dire une garantie implicite de l’Etat alors qu’il n’en était rien.

Comme le note la Banque de France par construction le Bitcoin a organisé sa propre pénurie ce qui garanti sa hausse (principe de la bulle spéculative bien connu sur les marchés) : « En limitant la quantité maximale de bitcoins pouvant être créée et en faisant fluctuer le rythme de création au cours du temps, les concepteurs ont « organisé » la pénurie de cette monnaie virtuelle et lui ont ainsi conféré son caractère hautement spéculatif ».

Les performances de cette monnaie électronique ont pourtant été bonnes sur les derniers mois, la devise ayant gagné 200 dollars sur les 30 derniers jours. Qu'en penser ?

Avant de déposer son bilan en 1720 la valeur des actions de la Banque Royale était passée de 500 à 20 000 livres, lorsque des porteurs ont demandé de convertir ces titres papier en pièces d’or ou d’argent la chute de la banque c’est précipitée. La non possibilité de conversion est au cœur des risques difficiles à évaluer pour le Bitcoin, mais ils sont très élevés. On joue sur le caractère de la technologie mais on en oublie les attributs que doit posséder une vraie monnaie et le Bitcoin ne les remplit que très imparfaitement :

  • numéraire : ce moyen de paiement pour acheter d’autres biens n’est pas universellement accepté
  • réserve de valeur : la principale faiblesse réside ici, c’est une opinion mais je pense qu’elle très faible et sur-estimée par les investisseurs (son fondement semble exclusivement spéculatif)
  • unité de compte : la encore c’est une monnaie très imparfaite.

Rappelons la décision du général de Gaulle (bien conseillé par Jacques Rueff) qui après avoir constaté l’effondrement de la valeur dollar comme inéluctable du fait du déficit de la balance des paiements américaine grêvée par la guerre du Vietnam a progressivement demandé la conversion des réserves de dollars en or. Décision au combien judicieuse entre 1958 et 1966 les réserves d’or de la Banque de France passèrent de 511 tonnes à 4 600 tonnes. Le 15 août 1971 Nixon abandonne l’étalon-or et le système de Bretton Woods posé en 1944 (l’once d’or valait alors 35 dollars … le 1er janvier 1980 elle en vaudra 612 … les français avaient eu raison).  

La question du Bitcoin ne semble pas séduire de nombreux économistes, Paul Krugman y voyant un nouvel étalon-or tandis que Warren Buffet en parle comme d'un "mirage". Le professeur d'Harvard Kenneth Rogoff s'inquiète de son côté des conséquences des disparitions de la "monnaie réelle". Comment expliquer cette frilosité ?

Ne pas croire au Bitcoin (« devisecryptographique ») ce n’est pas refuser le progrès comme veulent le laisser entendre ses promoteurs, c’est plutôt en percevoir les risques très élevés. Notons au contraire que des voix de plus en plus fortes se posent en faveur d’un retour probablement souhaitable à l’étalon-or. C’est probablement la meilleure solution pour éviter la création monétaire excessive sans contrepartie réelle. Néanmoins il existe un problème de fonds à réinstaurer l’étalon-or, c’est qu’il n’existe pas une grande corrélation entre les plus grandes économies et les plus gros détenteurs de stocks d’or, en particulier la Chine serait défavorisée en l’absence de réserves d’or significatives.

Certes on pourra toujours objecter que certains économistes libéraux (Friedrich Von Hayek, David Friedman...) se sont prononcés en faveur de la monnaie privée car cela évite de laisser l’opportunité aux Etats de manipuler la valeur de la monnaie à leur seul profit. C’est partiellement vrai mais les Etats offrent aussi hors cas extrêmes (hyperinflations, sévères dévaluations) des garanties relatives sur la valeur de la monnaie et quant à son  caractère universel.

Outre le risque de blanchiment via les plateformes d’échanges anonymes (le FBI a procédé à des arrestations aux Etats-Unis en 2013), la Banque de France a identifié trois risques principaux à ce « support d’investissement » :

  • "La valeur du bitcoin n’est adossée à aucune activité réelle et n’est représentative d’aucun actif sous‑jacent"
  • La volatilité particulièrement forte du cours du bitcoin, relativement peu corrélé à la plupart des actifs traditionnels … et qui repose notamment sur la confiance de ses utilisateurs dans la sécurité du système 
  • Des délais de transactions importants et l’absence à ce jour de support d’investissement libellé en bitcoins (il existe cependant quelques initiatives, à ce stade limitées, pour proposer des produits d’investissement indexés sur le cours du bitcoin, par exemple le fonds d’investissement Winklevoss bitcoin Trust qui a fait l’objet d’une demande d’introduction en bourse aux ÉtatsUnis auprès de la Securities and Exchange Commission 
  • Un risque juridique important lié à son statut de monnaie non régulée ».


Ce constat assez factuel de la Banque de France ne peut qu’inciter à la prudence.Rappelons aussi que même si les marchés monétaires et financiers ont la mémoire courte, il existe des précédents de catastrophes pour les investisseurs liés à ces monnaies virtuelles. J’ai eu l’occasion d’analyser dans un ouvrage (pour plus de détail voir MBA Finance, Eyrolles, pages 775 et 776) l’affaire Kasutsugi Nami – L&G survenue en février 2009 et qui avait couté environ 2 milliards d’euros aux investisseurs.

Il s’agissait d’une pyramide de Ponzi assise sur une monnaie virtuelle privée que son inventeur Monsieur Nami avait baptisée l’enten (littéralement « argent divin ») : « L’enten servait à la fois à acheter dans des magasins L&G et partenaires (hôtels et divers magasins) et lorsqu’il n’était pas utilisé il était placé dans un fonds d’investissement géré par Nami et rapportant 36 % par an, au-delà de cela Nami assurait que de toute façon l’enten allait devenir la monnaie planétaire. Pour entrer dans le système, il suffisait de verser en espèces 100 000 yens (867 euros) placés pour un an. Les soupçons ont commencé à naître lorsque le fonds d’investissement a versé les 36 % d’intérêts en enten et non en yens. Pourtant, entre-temps, 37 000 personnes dont de nombreuses personnes âgées avaient été attirées par le placement proposé. En février 2007, la société arrête de racheter les enten aux commerçants partenaires et en septembre 2007 le personnel est licencié ». Monsieur Nagi est depuis lors parti méditer en prison sur l’enten.

Mon point n’est pas de comparer le Bitcoin à la fraude de l’enten, mais simplement de souligner aux investisseurs qu’il existe des exemples de monnaies privées, y compris récents,  qui ont très mal tourné. Et d’ailleurs, n’oublions pas non que les monnaies publiques ont-elles aussi (plus rarement) posé problème comme le mark de la République de Weimar en 1923 lorsque le « Goldmark » valait des centaines de milliards de « Papiermark ». Notons en guise de conclusion, qu’à l’aune de l’histoire économique, il n’est pas contestable que les monnaies privées (virtuelles ou non) sont plus dangereuses que les monnaies traditionnelles. 

A LIRE : La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires : une solution pour échapper au système bancaire et à l'euro ?de Philippe Herlin

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