Laurent Wauquiez : "J’ai voulu secouer les nains politiques incapables de proposer une vision de l’Europe"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Laurent Wauquiez
Laurent Wauquiez
©

Prise de position

"Europe : il faut tout changer" : dans son nouveau livre, le député de la Haute-Loire et vice-président de l'UMP propose, parmi plusieurs mesures, de revenir à une Union à six Etats, sans le Luxembourg. Ce qui n'a pas manqué de lui attirer les foudres des ténors politiques, tant au niveau européen qu'à celui de de son parti. Interview.

Laurent Wauquiez

Laurent Wauquiez

Laurent Wauquiez est un homme politique français, membre de l'UMP. Député de la Haute-Loire, il est également vice-président de l'UMP depuis janvier 2013.

 

Voir la bio »

Atlantico : Dans votre livre "Europe : il faut tout changer", paru le 11 avril chez Odile Jacob, vous prônez un retour à une Europe à 6 (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie, Espagne), protectionniste et débarrassée de l'espace Schengen. Quels seraient les avantages d'une configuration réduite ?

Laurent Wauquiez : L'élargissement de l'Union européenne est une erreur majeure. A la fin des années 1980, nous avions le choix entre deux voies, soit l'élargissement, soit l'approfondissement de l'Europe. Nous avons fait le choix de l'élargissement en faisant entrer dans un même ensemble des pays beaucoup trop différents. La France et la Roumanie connaissent des écarts de salaires allant de 1 à 6, le problème posé par les Roms n'est pas surprenant. La liberté de circulation et d'installation est responsable de la présence de 200 000 travailleurs polonais détachés en France. A 28 il y a trop de différences entre les pays. Le Luxembourg est encore opposé aujourd’hui à l’harmonisation fiscale, l'Irlande continue de pratiquer un impôt sur les sociétés anormalement bas. Le Royaume-Uni est un pays qui n'a pas l'intention d'avoir des politiques communautaires fortes.

En élargissant l'Europe, nous l'avons affaiblie. Nous l'avons affaiblie par cet ensemble qui est trop disparate et dans lequel il n'y a plus suffisamment d'envie de construire des choses en commun. Nous ne sommes pas condamnés à poursuivre sur la même voie. Accepter l'impossibilité de changer de cap est un manque d'ambition politique. Nous avons connu des géants comme le général De Gaulle, Pierre Mendès France, Robert Schumann. Aujourd'hui nos hommes politiques sont des nains incapables de proposer une vision de l’Europe, de revenir sur le nombre d'Etat-membres ou sur l'espace Schengen. Avec la publication de ce livre, j'ai voulu secouer cet immobilisme.

Comment faudrait-il procéder pour revenir à six Etats membres ? Que faites-vous des 22 autres et des traités existants ?

Concrètement, le principe que je propose serait de garder un premier ensemble à 28 destiné à favoriser les échanges économiques. Le deuxième ensemble serait celui de la zone euro car je ne souhaite pas que la France sorte de l'euro. Sortir de l'euro représenterait un choc majeur pour les Français. Sortir de l'euro nous condamnerait à une monnaie plus faible. Et avec une monnaie plus faible, 20 % de l'épargne des Français partiraient en fumée. Et avec les six pays du noyau dur, nous pourrions enclencher une marche en avant. Nous adopterions le même niveau d'imposition, les mêmes règles sociales, le même droit du travail, une vraie politique industrielle.

Sur Schengen, vous avez estimé que "L'Europe nous interdit de fixer des quotas en matière de regroupement familial." Pourtant, ce n'est pas tout à fait vrai : le traité de Lisbonne reconnaît (article 63 bis) "le droit des Etats membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire, dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié"…

Si nous changions la loi française sur ce point, la Cour européenne des droits de l'homme nous condamnerait. Nous pouvons prendre d'autres exemples, Schengen aujourd'hui fixé des règles du regroupement familial qui sont extrêmement contraignantes. Par ailleurs tout refus de visa de courte durée doit être motivé, alors qu'il s'agit là d'un acte de souveraineté. On ouvre potentiellement la voie à ce que chaque refus de visa de courte durée puisse être contesté devant un juge. Nous marchons sur la tête.

Mais vous apparteniez bien au gouvernement qui a voté l'interdiction des quotas sur le regroupement familial ?

Je fais partie de ceux qui disent que nous avons fait des erreurs et je n'ai aucun problème pour le dire. J'ai plaidé pour un droit d'inventaire collectif et je reconnais que nous possédons notre part de responsabilité. La question est de savoir si nous persistons dans l'erreur ou si nous sommes capables de changer.  L'erreur a été de laisser se communautariser l'espace Schengen et de laisser la commission mettre son nez là-dedans. L'erreur c'est, au moment de la crise de Lampedusa, de ne pas être sorti de l'espace. Schengen ne peut ni pour réguler l'immigration légale, ni réguler l'immigration illégale. Schengen représente pour moi l'archétype d'une politique communautaire qui ne fonctionne pas. Néanmoins, d'autres sujets nécessitent une politique communautaire plus forte, notamment pour Erasmus.

En juin 2011, vous dénonciez la "crispation égoïste d'une Europe forteresse" pour défendre l'entrée de la Croatie dans l'UE. Qu'est ce qui a changé depuis pour que vous opériez un tel revirement dans votre vision de l'Europe ?

Mes positions sont très constantes sur le sujet du protectionnisme européen. Je me suis battu contre l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'espace Schengen. Déjà à l'époque, j'estimais qu'il n'était pas acceptable que ces deux pays profitent de la libre circulation pour chasser leurs populations de leur territoire.

Pour ce qui est de l'entrée de la Croatie dans l'UE, je ne considère pas que ce soit un problème à condition de reconstituer le noyau dur. Je ne suis pas contre l'Europe, je revendique la possibilité de dire que l'Europe ne marche pas. Partant de là, il faut d'urgence la faire changer. Les eurosceptiques sont ceux qui regardent passivement l'Europe s'enfermer dans une impasse.

De ce projet d'Europe à 6, vous excluez le Luxembourg au motif que c'est un pays "très artificiel" doublé d'un "paradis fiscal". L'ex-premier ministre luxembourgeois et actuel candidat du PPE pour la présidence de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a qualifié de "pathétique" et "d'inacceptable" votre prise de position. Quelle est votre réponse ? 

J'assume de mettre des positions sur la table qui poussent au débat, et tant mieux. Ces élections européennes étaient parties pour être un concours de casting dans lesquelles nous n'allions pas parler des vrais problèmes européens. Le problème du Luxembourg est qu'il s'agit d'un pays où 40% du PIB dépend de la finance. C'est un paradis fiscal, un pays dans lequel les taux d'imposition sur les dividendes sont proches de zéro. Le Luxembourg bloque depuis des années les directives d'harmonisation fiscale. Bien sûr, ils ont fait des progrès sur le secret bancaire et c'est tout à leur honneur. S'ils changent leur position sur l'harmonisation fiscale, je ne vois aucun inconvénient à ce qu'ils fassent partie de cette Europe-noyau dur.  

D'aucuns ont estimé que vous surfiez sur une vague "d'Europe bashing"....

Il faudrait se taire et construire l'Europe à mots couverts, à visage caché, et surtout en cachant la réalité de ce qu'est devenue l'Europe aux Français et aux Européens. C'est aux antipodes de ma conception de la politique. On ne fait pas de la politique au mépris de ce que ressentent les gens, en leur cachant les projets que l'on a.

Vous avez raison, cela peut diviser l'Europe. L'Europe est devenue un aimable club de thé dans lequel il ne faut surtout rien dire pour ne fâcher personne. Je pense que l'Europe a besoin d'un électrochoc pour se réveiller. Oui, je suis Européen. Non, je refuse de continuer à être silencieux sur ses dérives.

Les critiques ont été nombreuses chez les ténors de votre propre parti, comme Copé, Juppé ou Raffarin et parallèlement le président de "Debout la République" Nicolas Dupont-Aignant vous a même proposé un partenariat au travers d'un communiqué. Est-ce le signe qu'il vous faut revoir votre appartenance politique ?

Les critiques ont été diverses, il y a à l'intérieur de mon parti des gens qui ne sont pas favorables à mes propositions sur l'Europe, mais ma volonté était de faire naître le débat, de faire des propositions de fond sur le sujet. Sur un sujet comme celui-ci, j'aurais aimé une vraie consultation, recueillir l’avis des Français et des militants de l’UMP, mais je suis dans mon parti, dans ma famille politique. A l’époque où j'avais lancé le débat sur la nécessité de sortir de l'assistanat, il a fallu un peu de temps avant que cela devienne la position du parti.  Je crois que l'on peut faire bouger les lignes. Je refuse une droite et un centre faibles, timorés qui n'ont pas le courage de leurs opinions, qui mettent un voile sur le sujet et qui préfèrent se dire qu'ils vont réformer Schengen par manque de courage politique.

Une partie de la droite et du centre n'auraient donc pas le courage de réformer l'Europe ?

Il s'agit d'une grande discussion à l'intérieur de notre famille politique et effectivement nous sommes traversés par deux tendances. J'ai ainsi eu le soutien notamment d'Henri Guaino et de Xavier Bertrand. Nous avons une différence de sensibilités qui n'est pas neuve. Je crois résolument qu'il faut assumer les débats.

Certains sont pour une approche prudente, je ne fais pas partie de ceux-là.

Jusqu'alors en France pour exercer des hautes responsabilités, il valait mieux être pro-européen. Le climat est-il en train de changer ?

Je connais cet argument consistant à dire qu'en critiquant l'Europe on prend de grands risques pour sa carrière politique. Je crois que les politiques qui raisonnent comme cela sont condamnés à l'arrivée. Car les Français attendent des politiques qu'ils expriment des convictions. Les Français condamnent aujourd'hui ces gestions prudentes qui aboutissent à une politique coupée de ce que ressent le peuple.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !