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"S’il vous plait, aidez-moi à redevenir moi, et pas juste une juive", écrit Sarah Barukh.
"S’il vous plait, aidez-moi à redevenir moi, et pas juste une juive", écrit Sarah Barukh.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Judéité

Depuis le 7 octobre, je suis reléguée à mon identité juive. Pour les autres. Et avant tout le reste.

Sarah Barukh

Sarah Barukh

Sarah Barukh est écrivaine. Elle a travaillé dans la production audiovisuelle, a écrit pour la télévision et la radio. Elle est l'auteur de "Elle voulait juste marcher tout droit" (prix Lions Club et MJLF 2017), "Le Cas zéro" (prix du Roman d'Entreprise et du travail 2019) et "Envole-moi"

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Vingt ans que j’écris, que je m’interroge sur le monde, que je travaille auprès de grands groupes internationaux autant que pour de petites associations humanitaires.

Mon rôle ? Les conseiller sur la manière de mieux considérer les relations humaines justement, l’impact de toute stratégie, toute action sur le monde que l’on va laisser à nos enfants.

J’ai travaillé dans le développement durable et la RSE en parallèle de mes romans, toujours bâtis sur une problématique sociale ou historique. Parce que rien ne compte plus pour moi que la transmission, le respect du vivant et la responsabilité face à nos élans.

J’ai voyagé en Australie, en Afrique, rejoint mon frère qui vivait en Chine, arpenté l’Europe.

J’ai suivi les cours de catéchisme de ma meilleure amie, enfant, découvert les traditions de mon entourage musulman, embrassé le bouddhisme.

J’ai vécu 10 ans de violences conjugales et j’ai décidé de faire de cette souffrance un terreau de réflexion pour que ça n’arrive plus aux autres. Je suis marraine de l’UNFF (Union nationale des familles de Féminicides), j’ai ma propre association d’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, car je sais comme il est difficile de fuir un foyer de terreur pour choisir l’espoir. Je le sais depuis que j’ai dû m’en échapper au milieu de la nuit avec mon bébé. J’interviens partout en France pour libérer la parole et déconstruire les stéréotypes de victimes et d’agresseur, mieux décrire ce qu’est la violence.

Pourtant depuis le 7 octobre, tout cela semble avoir été effacé.

Depuis le 7 octobre, je suis reléguée à mon identité juive. Pour les autres. Et avant tout le reste.

Pas tous les autres, bien sûr, mais celles et ceux que je côtoie par mon activité. Les féministes dites intersectionnelles, selon lesquelles la racialisation du féminisme prime sur son universalisme, selon lesquelles leur interprétation du colonialisme désigne les femmes à soutenir et celles à combattre selon l’endroit où elles sont nées.

J’ai beau avoir été violée dans ma jeunesse, violentée par mon conjoint, avoir écrit un livre qui a changé la vie de centaines proches de Féminicides, intervenir chaque jour envers n’importe quelle femme qui me sollicite, pour ces membres de Nous toutes et autres associations féministes subventionnées par l’État, je suis réduite à ma religion de naissance.

Pour elles, lorsqu’elles parlent de moi sur les réseaux sociaux, je suis une « suprémaciste blanche islamophobe » car je combats, aux côtés de Femme Azadi et de nombreux autres collectifs iraniens, afghans etc., les ravages de l’apartheid sexuel exigé par l’islam radical. Je suis « raciste » car je combats les traditions telles que l’excision en soutenant la Maison des femmes du 93 et le travail de réparation que réalise l’incroyable Ghada Hatem. Je suis une « colonialiste génocidaire » car, si je suis dévastée par la saleté de la guerre et les images d’enfants morts à Gaza, comme tout humain normalement constitué, je m’efforce de distinguer l’intention génocidaire envers les juifs et les mécréants occidentaux des islamistes radicaux d’Iran, qui financent le Hamas, affichant clairement dans leur manifeste leur projet d’éradication des insoumis à leur charia, et l’obligation pour une démocratie d’assurer militairement la sécurité de sa population quand elle est menacée.

Entendons-nous bien, je suis incapable d’écraser un moustique, inutile donc d’expliquer à quel point toute guerre me dévaste et à quel point je déplore la tristesse qui se dégage des images sur nos écrans de télévision. A quel point je souhaite que tout cela s’arrête, que les feux cessent, que les otages rentrent chez eux et que le Hamas se rende. Je souhaite tant aussi qu’une telle horreur ne se reproduise pas et pour cela, pour établir l’apaisement qui permettra un jour de construire la paix, il me semble essentiel d’en identifier les ennemis et leurs motivations. Autrement, on se condamne à la répétition.

Le 8 mars 2024, vers 16h, une bénévole de mon association laïque et apolitique, m’a appelée en pleurs, traumatisée par ce dont elle venait d’être témoin dans la manifestation parisienne pour les Droits des Femmes. Elle marchait aux côtés d’une amie qui tenait entre ses mains la photo d’une otage israélienne du Hamas, dont l’ONU a enfin certifié les sévices sexuels subis.

Elle m’a décrit ce nième chaos antisémite français. Les drapeaux palestiniens relevés de slogans inspirés du BDS, épinglés sur les pancartes de la CGT censée être apolitique, les insultes « sionistes fascistes » des personnes autour, se revendiquant du clan de la justice, de la politique du côté des « opprimés ». Elle m’a envoyé des vidéos en direct où j’ai constaté ces horreurs, ainsi que les jets de projectiles, le gaz lacrymogène, la foule violente qui encercle mes amies et la police qui les exfiltre.

Cette femme vient de fuir un homme violent. Elle a 56 ans. Comme la plupart des membres de ce cortège venu apporter son soutien aux israéliennes. Parmi les haineux de ces mères et grands-mères marchant dans les rues parisiennes, je reconnais entre autres, sur les photos que je reçois, Omar Al Soumi qui, avant de devenir « féministe » contre les juives le 8 mars 2024, soutenait le collectif Cheikh Yassine dont le président a accusé Samuel Paty d’être raciste à l’égard des musulmans dans deux vidéos effroyables, largement diffusées sur les réseaux sociaux et qui ont conduit à sa décapitation.

Au même moment, l’écrivaine engagée dans la défense des droits humanitaires Émilie Frèche m’explique au téléphone, la manière effroyable avec laquelle Amnesty International l’a invitée à parler lors d’une soirée pour la cause des civils face à la guerre, les gazaouis ET les israéliens, puis désinvitée dans un mail d’une violence éthique sidérante. Sylvie Brigot, la directrice d’AI y précise que plusieurs artistes engagés menaçaient d’annuler leur venue si Émilie était présente. Autrement dit, si une juive tentait de donner à considérer la réalité humaine de part et d’autre de la frontière. « J’assume ma décision », conclue-t-elle, avant d’annuler la soirée après que des journalistes l’ont contactée pour plus d’explications. Annulation qu’AI reproche bien sûr à Émilie. Une logique à la « sioniste fasciste », accuser les juifs d’être des nazis, accuser une femme qu’on attaque de chercher à en comprendre la raison…

Depuis le 7 octobre, c’est notre quotidien. Des acteurs virés de séries, des accusations, des demandes incessantes de justifications, des insultes, des menaces et parfois pire.

Alors à vous pour qui la religion ne définit pas quelqu’un, vous qui d’ailleurs avez des amis de toute confession car ce n’est pas un critère, vous qui tenez à la démocratie, à la laïcité, s’il vous plait, dites-le, dénoncez sans relâche ce qui menace les valeurs garantes de notre sécurité à tous. Pas uniquement celle des juifs.

Prôner la laïcité, combattre l’essentialisation, l’obscurantisme, devrait être notre boussole, défendre les minorités, une évidence. On ne remédie pas au patriarcat en reproduisant ce qu’on lui reproche. On ne défend pas un opprimé en opprimant à son tour. On ne construit pas la paix au Proche-Orient en menant une guerre contre des citoyens français.

S’il vous plait, parlez, n’ayez pas peur. Il n’y a que la solitude qui conduit à la mort.

Aidez-nous, car c’est vous que vous aidez.

Aidez-nous à être nous pour ce que nous faisons, ne laissez plus des prôneurs de haine nous détruire pour ce que nous sommes.

S’il vous plait, aidez-moi à redevenir moi, et pas juste une juive.

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