La véritable raison pour laquelle les politiques monétaires accommodantes de la FED ou de la BCE ne parviennent pas à nous sauver d'une croissance molle (si vous aimez penser comme tout le monde, ne lisez surtout pas cet article) <!-- --> | Atlantico.fr
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Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale (Fed)
Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale (Fed)
©Reuters

Finalement, ça va durer

Alors que les effets persistants de la crise de 2007 ont longtemps été jugés responsables de la terne croissance outre-Atlantique par la Banque centrale américaine, ces derniers ne sont plus là désormais, tandis que la croissance reste molle. Une situation qui pourrait perdurer.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Alors que la Fed a longtemps pensé que la croissance molle de ces dernières années aux Etats-Unis était due aux effets persistants de la crise de 2007-2009 (ménages endettés, faible consommation...), ces derniers se sont peu à peu dissipés, tandis que la croissance américaine reste terne. Récemment, Janet Yellen a ainsi déclaré qu'une croissance lente et des taux d'intérêts bas pourraient ainsi être la nouvelle normalité outre-Atlantique. Comment interpréter ce constat ? Est-ce un aveu d'échec de la Fed ?

Mathieu Mucherie : Les chiffres de la croissance du PIB au 2e trimestre viennent de sortir, ils sont très médiocres, comme ceux du quatrième trimestre 2015 et du premier trimestre 2016 (révisés au passage à la baisse). Au total, l’Amérique carbure à peine à +1% en annualisé sur 9 mois glissants et en dessous de +1,5% sur un an, ce qui n’est guère glorieux après une séquence 2010-2015 autour de 2%/an. Sans compter que cette croissance est de faible qualité dans ses composants : certes très (trop…) riche en création d’emplois, mais pratiquement dépourvue d’investissements productifs (et les dernières commandes de biens durables ont encore déçu). Le graphique ci-dessous militerait certes pour une "dématérialisation" de l’investissement (du physique vers l’incorporel), sauf que là aussi, les dernières données marquent le pas, alors que les dépenses en Recherche & Développement de ces dernières années laissaient croire à une accélération continue. En fait, l’économie américaine est sur un sentier sous-optimal depuis 2008, qui se dégrade à mesure que l’on s’éloigne du QE3 de 2012-2014 ; et si elle fait encore des envieux, c’est un peu la fable du borgne dans un monde d’aveugles.

La Fed n’est pas pour peu dans cette nouvelle normalité poussive : avec sa politique soit-disant accommodante et ses prévisions over-optimistes, elle a renforcé l’illusion nominale, elle a ralentit le désendettement, elle a tout juste amortit les décisions déflationnistes des banques commerciale et du Trésor mais sans trop chercher à aller plus loin, et en acceptant même depuis trois ans une baisse inquiétante des anticipations d’inflation. On accuse Trump de chercher des boucs émissaires, ce qui n’est pas faux, mais que font les banquiers centraux depuis des années ? "Cette crise, c’est la faute aux Etats, aux marchés, au manque de réformes structurelles, à la démographie, aux traders fous, etc.". Maintenant, c’est le Brexit, en 2015 c’était le yuan des chinois, puis ce sera à nouveau la Grèce, et que sais-je. La diffraction du blâme n’est pas qu’une spécialité de la Bce, et tant que la Fed ne se verra pas imposer une "peur de Dieu" comme le dit Scott Sumner (une cible de PIB nominal, par exemple), elle tentera elle aussi régulièrement de jouer de la lyre et d’organiser des symposiums sur les "défis d’un monde qui change" pendant que Rome brûle et que sa cible s’éloigne. 

Au vu de ce début de changement d'opinion, doit-on s'attendre à voir les taux directeurs de la Fed rester à moyen, voire à long terme, tels qu'ils sont aujourd'hui ?

Primo, c’est le jugement récurrent du marché, et qui serais-je pour prétendre avoir raison contre des milliers d’opérateurs décentralisés (et plutôt avides d’argent) ? Je n’ai pas le niveau de culot et d’impunité d’un Denis Kessler, qui croit depuis 20 ans que les taux vont remonter. Si le marché croit aux taux bas pour longtemps (alors qu’il les déteste : souvent pour lui, c’est la mort lente), c’est qu’il a de bonnes raisons d’y croire ; et au passage depuis que la Fed publie ses "dots", ce sont ces derniers qui ont systématiquement capitulé vers les données de marché, et non l’inverse. Le vieux dicton de Wall-Street "never figh the Fed" est plus que jamais d’actualité, mais il ne s’applique qu’aux initiatives concrètes de la Fed, pas à ses intentions vagues et changeantes qui ne semblent être faites que pour un usage interne et très faux-cul (éviter un procès ultérieur en greenspanisation). Petite parenthèse : pour qui connait la chronologie de la baisse des taux longs américains, on voit bien que la thèse d’un "conundrum" (des non-résidents, publics ou privés, qui achèteraient en masse des titres du Trésor, expliquant ainsi le 10 ans à 1,5% qui semble incompatible avec les scénarios à l’eau des banques d’affaires à propos de l’économie américaine) n’est pas très probante : en net, les étrangers achètent moins qu’il y a quatre ans, quand les taux était deux fois plus hauts. 

Deusio, pourquoi rester sur une vision de garçon coiffeur avec un taux court coincé à 0,7% ? On pourrait raisonner en termes réels, plutôt que de rester sur l’illusion nominale : les taux étaient bas dans les années 1970, moins de nos jours. Et si l’économie va mal, et que l’inflation n’est pas même au début du commencement du pipeline, alors pourquoi ne bas baisser les taux, y compris en dessous de 0% ? Et, comme la politique monétaire n’est que marginalement une affaire de taux et véritablement une affaire de base monétaire, pourquoi par un QE 4 ? Et comme la Fed est obnubilée par Wall Street, pourquoi n’achèterait-elle pas des actions dans ce QE ? Et si les choses s’aggravent et que la zone euro implose vers 2018, pourquoi ne pas tenter une salutaire et préventive « monnaie hélicoptère » ; après tout, les obstacles juridiques et politiques sont moins nombreux qu’ailleurs, et venant des Etats-Unis, ce lâché de billets sur la foule aurait un puissant effet d’entrainement. Tout est possible tant qu’on s’en tient à une logique utilitariste, conséquentialiste et cohérente avec la cible du banquier central fixée par le Congrès du peuple souverain des Etats-Unis ; hélas j’ai bien peur que certains à la FED ne soient plus guère utilitaristes et se considèrent comme les nouveaux souverains, jusqu’à confondre la cible avec leurs caprices et les planchers avec les plafonds (Kashkari, juillet 2016 : “Before I came to the Fed in January, I interpreted 2% as a ceiling and not a target, despite the formal pronouncements to the contrary. So I understand why a lot of people in the market interpret it as a ceiling rather than a target”). Amis des sirènes de l’inaction, les banquiers centraux n’aiment jamais se lier les mains. 

Comment peut-on évaluer l'action de la Fed depuis le déclenchement de la crise, tant sous la présidence de Ben Bernanke que sous celle de Janet Yellen ?

On écrira encore dans 50 ans des tonnes de livres sur le bilan de Bernanke, les uns pour noter une responsabilité écrasante dans la plus grave crise depuis les années 1930 (divers reniements de ses travaux académiques antérieurs, "trop peu et trop tard" dans l’action, focalisation excessive sur les difficultés bancaires alors que la crise n’était pas celle du crédit mais de la monnaie, "forward guidance" insuffisante sur les taux et trop de stop&go avec les 3 QE trop vite retirés, etc.), et les autres pour un plaidoyer qui ne manquera pas non plus d’arguments (que se serait-il passé avec un autre que Bernanke aux commandes ? regardez la zone euro de J-C Trichet… et puis Bernanke devait convaincre son comité plein de faucons, et un écosystème pour le moins réservé à propos du QE…). A mon avis, Bernanke n’aurait pu aller beaucoup plus loin sans rencontrer de gros obstacles politiques ; ce qui ne signifie pas qu’il n’a pas été très décevant à certains moments. Les transcripts des comités de la Fed, dévoilés avec un délai de 5 ans, relèvent qu’au plus fort de la crise, quand le monde s’écroulait et qu’une Bce nihiliste montait ses taux,  il était avec Mishkin l’un des rares à garder une ligne claire et sensée (nous n’aurons les transcripts de la Bce que dans 50 ans, pour les fans de Garcimore) ; il s’en tirera donc peut-être, je l’espère, avec l’argument contre-factuel et comparatiste, ou avec le bénéfice du doute, ou hélas en raison du procès de Moscou fait au seul Alan Greenspan.

Le bilan de Yellen est sans doute plus facile à établir dès à présent, malgré un manque de recul encore plus évident et l’absence de tout transcript avant 2019 : que dalle. Une communication parkinsonienne délivrée avec un charisme digne d’un poisson rouge sous Tranxen 200, un manque complet de référence aux concepts innovants (alors que Bernanke ne semblait plus très loin d’une cible de PIB nominal vers 2012…), circulez ya rien à voir. Janet se contente de coordonner molement un comité plus faible qu’elle sur les questions économiques et très divisé (le décevant Stanley Fisher, la catastrophique Ester L. George, l’excellent Narayana Kocherlatoka qui, hélas, n’est plus là et nous manque, et bientôt l’affreux Kashkari qui pourra voter en 2017). Elle a donné aux faucons une hausse de taux minuscule et dieu merci très vite abandonnée en décembre 2015, aux pseudo-pragmatiques des salles de marché une politique soit disant "data driven" de girouette, aux structuralistes des gages sur la nouvelle normalité grise (quand elle s’exprime à la mode japonaise sur l’économie), aux gens à Washington (qui ne savent pas ce qu’ils disent ou ne disent pas ce qu’ils savent) des conférences équilibrées et des mots centristes ; tout va bien. Elle a eu la chance jusqu’ici d’évoluer dans une conjoncture assez calme, on va voir ce qu’elle vaut par mer agitée, si le ralentissement du moteur de l’économie se confirme. Jusqu’ici, il y avait bien des vents contraires (Chine, Europe…), mais la demande domestique était assez dynamique pour lui permettre de rester dans un entre-deux assez douillet et un prêchi-prêcha à géométrie variable (en gros, depuis 2 ans et demi : le SP500 gagne 10%, je fronce les sourcils, il perd 10%, je fais un sourire, une politique monétaire néo-post-Q-de-Tobin - si vous croyez que j’exagère, regardez les données, et souvenez vous qu’elle et son prix Nobel de mari sont les élèves d’un économiste qui insistait sur les liens entre la bourse et l’investissement). Au fond Yellen, comme Merkel et Obama, assure un minimum syndical tout en donnant des leçons aux autres et en priant pour que tout reste bien place. Si tout saute, il faudra des Cortes, des Churchill, des Friedman, et j’ai bien peur que ces caractères ne soient pas plus nombreux dans les Banques centrales et les gouvernements qu’en 2008.   

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