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La thérapie venue des Etats-Unis qui prétend soigner les névroses par la lecture
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Nouvelle médecine

Peu répandue en France, cette pratique aide les personnes qui souffrent notamment de dépression. Grâce aux livres, elles sont amenées à se prendre en main elles-mêmes ou avec le soutien d'un thérapeute.

Pierre André Bonnet

Pierre André Bonnet

Pierre André Bonnet est médecin généraliste et chef de clinique de médecine générale au département universitaire de médecine générale de la faculté de Marseille. Il est l'auteur de La bibliothérapie en médecine générale (Sauramps Médical).

 

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Atlantico : La Reading Therapy, tendance venue des pays anglo-saxons et encore peu connue en France permettrait de soigner certaines névroses grâce à la lecture. Comment fonctionne cette méthode ?

Pierre André Bonnet : Les psychologues et certaines équipes de psychiatres (très peu en France) ont étudié différentes manières d’utiliser les livres pour soigner. La méthode scientifique requiert une reproductibilité de l’intervention pour pouvoir comparer et mesurer les effets observés.

On distingue 3 niveaux d’utilisation : la bibliothérapie seule (pas de contact avec le thérapeute), la bibliothérapie avec contact minimal (le livre est le principal vecteur mais un soutien en consultation vient ponctuer le travail effectué par le patient) et enfin la bibliothérapie dirigée (le livre vient souligner et renforcer une thérapie présentielle). On comprend bien que les deux premières situations s’adressent à n’importe quel praticien. Seule la bibliothérapie dirigée requiert des compétences particulières en psychothérapie.

Les ouvrages utilisés peuvent être puisés dans les lectures personnelles du praticien, qui en fonction de sa connaissance du patient et de son environnement fera de bons conseil. Mais seuls les ouvrages dits « self-help book » ou « livres de thérapie auto-administrée » sont évaluables et ont fait la preuve de leur bénéfice. Ils permettent d’entamer un vrai travail de fond centré sur le problème. Ce sont des guides pour apprendre à gérer ses émotions. Le Baromètre Santé (INPES) indique que 15 à 20% de la population générale souffre d’un problème de santé mentale, on voit donc l’intérêt de cette méthode facilement accessible et efficace pour le médecin généraliste de premier recours.

A-t-on observé des résultats concrets avec cette méthode originale ? Quels sont les ouvrages et auteurs les plus préconisés ?

Les publications scientifiques sur le sujet foisonnent depuis environ cinq ans. Les résultats sont particulièrement favorables dans les troubles suivants : troubles de l’humeur (dépression), troubles anxieux (phobies spécifiques comme la peur de conduire, phobie sociale, attaques de panique), certains troubles du sommeil (car souvent liés à de l’anxiété), les difficultés au travail (harcèlement, stress), certains troubles de l’érection d’origine psychogène. Utilisée en soins primaires (médecine de ville) ou en établissements comme les maisons de retraite, la bibliothérapie montre toujours une efficacité. Toutefois pour les troubles les plus sévères (dépression grave), elle reste moins efficace que la prise en charge dite « classique » en consultation.

Cette efficacité n’est démontrée que pour des livres dont le contenu est inspiré des thérapies cognitives et comportementales. Il ne s’agit pas d’un déni des autres approches, mais c’est la seule thérapie dont la méthode est reproductible, donc délivrable par la lecture et comparable d’un patient à l’autre. On citera comme auteur Charly Cungi, thérapeute et auteur de nombreux livres (par exemple Faire face à la dépression). Ou encore Christophe André, qui dans un registre plus général et moins technique, offre de nombreux outils pour gérer ses problèmes (Les Etats d’âme, par exemple).

La bibliothérapie peut-elle remplacer une véritable psychothérapie ?

Dans certains troubles, la bibliothérapie est aussi efficace que la thérapie classique, notamment en ce qui concerne les phobies, et les troubles non graves de l’humeur. Toutefois un problème trop envahissant nécessitera toujours au minimum le soutien d’un soignant.

Ne reste-t-elle pas avant tout accessible aux catégories sociales élevées, qui peuvent se permettre de payer des séances et de prendre le temps de lire ?

Cette question peut aussi s’envisager à l’envers : une consultation chez le généraliste, c’est 23€, remboursé. Un livre, c’est autant de consultation « à la maison », pour le même prix. Ce n’est pas remboursé, mais le rapport « qualité/prix » ne se mesure pas. Pour ce qui est des thérapies, il est clair que le patient qui peut déjà se payer une thérapie peut aussi acheter un livre. Mais le livre permet surtout de rendre accessible les outils et le savoir qui permettent de se soigner en déboursant l’équivalent d’une demi-séance de thérapie… Donc la bibliothérapie n’exclut pas les plus modestes, au contraire, elle est l’instrument d’une plus large diffusion d’outils de soins jusque là réservé aux plus aisés.

La limite n’est pas liée à l’argent, mais aux habitudes de consommation de la culture. Dans les milieux les plus modestes, on est effectivement plus enclin à faire face, à prendre sur soi, à ne pas se « regarder le nombril » et à donner la priorité aux difficultés de la vie quotidienne.

Le livre ne change pas le monde, mais il peut changer l’idée qu’on s’en fait. C’est là le secret de la bibliothérapie, et de la recherche du « bonheur » en général.

Prescrire un livre, c’est avant tout s’appuyer sur la personne souffrante, lui redonner la confiance et la mettre au cœur de la démarche de soin. Le patient n’est alors plus l’être « soumis » et docile qui reçoit le traitement et attend le changement, mais il se soigne lui-même dans l’action de lire. Pour paraphraser Gandhi, le patient-lecteur est amené à « devenir » le changement.

Peut-on s'attendre à ce que cette méthode rencontre du succès en France, nous qui avons tendance à privilégier les médicaments ?

La France privilégie les médicaments car les prescripteurs n’ont souvent pas d’autre option, et les habitudes sont longues à changer. Les gens recherchent une solution « court-termiste » à des problèmes de fond. La souffrance sociale fait échouer les sujets dans les cabinets médicaux. Les médecins de leur coté voient leurs pratiques de plus en plus contrôlées et imposées par les tutelles (sanctions en cas d’écarts de prescription, rémunération sur objectifs…), sacrifiant les principes humanistes de la relation médecin-malade sur l’autel de la démarche-qualité.

La bibliothérapie sortira de l’empirisme lorsque nous aurons montré aux tutelles qu’elles économiseront de l’argent en remboursant certains livres… Mais pourquoi pas ? Mais je pense surtout qu’il faut que la bibliothérapie sorte du seul champ de la santé. On peut imaginer l’ouverture de librairies orientées, ou la création de structures associatives dédiées à l’accompagnement par la lecture.

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