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La Terreur : l’époque où les têtes tombaient comme des ardoises
©dessin de Pierre Bouillon

Bonnes feuilles

Emmanuel Pierrat publie "Le Tribunal de la Terreur" chez Fayard. Entre 1792 et 1795, la salle des Libertés, au cœur du Palais de Justice de Paris, résonna du plus tragique des épisodes de la Révolution française. Sous l’autorité de l’Accusateur public, Fouquier-Tinville, le Tribunal révolutionnaire envoya à l’échafaud plus de 2.500 personnes. Emmanuel Pierrat livre le récit terrifiant de ces années de guerre civile. Extrait 1/2.

Emmanuel  Pierrat

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat est avocat au barreau de Paris et dirige un cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. Chroniqueur, romancier et auteur de nombreux essais et ouvrages juridiques, il est notamment l’auteur de La Justice pour les Nuls (First, 2007).

 
 
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Derrière la table des juges, contre le mur du fond, l’ancienne décoration est remplacée par une large toile marouflée. Plus haute qu’un homme adulte de grande taille, elle représente la Table des droits de l’homme peinte par Le Barbier. Bientôt la rejoindra la Constitution de l’An I – modèle utopique et jamais appliqué. 

Dans une petite pièce communiquant avec le tribunal au moyen d’un guichet, l’imprimeur se tient prêt à recevoir les jugements et à les reproduire toutes affaires cessantes. 

C’est pour ainsi dire dans des odeurs de peinture, le plâtre encore humide, que le 2 avril 1793 se tient la première séance, publique bien évidemment, du Tribunal révolutionnaire. 

Durant toute sa période de fonctionnement (il cessera d’exister le 31 mai 1795), l’engouement du public ne diminuera pas. La foule viendra en masse assister aux procès et aux condamnations, sans jamais se gêner pour manifester, souvent bruyamment, son enthousiasme ou sa désapprobation. De même, elle sera toujours nombreuse et passionnée à assister au spectacle quasi permanent de la guillotine.

Le personnel du Palais de Justice, plus habitué à une atmosphère solennelle et compassée, aura du mal à s’y faire. D’autant que la foule prend ses aises ! Ainsi, la galerie sera très vite envahie par une population nombreuse, y compris les jours où le tribunal ne siège pas. Rires, éclats de voix, odeurs de graisse et de nourriture répandue par les marchands ambulants, deviendront l’ordinaire de ce lieu qui n’avait jamais connu une telle agitation. De nombreux désordres s’y produiront, transformant l’endroit en une sorte de cour des miracles. Des prostituées y racoleront le client et parfois même lui feront son affaire, des voleurs y fouilleront les poches des imprudents, quelques vessies s’y soulageront « discrètement » derrière une colonne propice. La Bussière, officier de paix chargé de faire régner un semblant d’ordre dans cette foire, se plaindra d’ailleurs constamment « des abominations et du scandale » qui selon lui déshonorent le lieu. 

La première audience n’est pas consacrée à un procès, mais à une série de discours inaugurant le lieu et précisant les intentions de ceux qui vont y rendre la justice. 

« Nous attendons le moment de déployer toute la sévérité des lois contre les ennemis de la chose publique », affirme  Fouquier-Tinville de cette voix sévère qui deviendra vite célèbre dans toute la capitale. Il se tient à droite du président. À sa gauche se trouvent les trois juges. Tous portent autour du cou un ruban tricolore orné d’une médaille sur laquelle est gravé : « sûreté publique ». Plongeant leurs visages dans une ombre inquiétante, un grand chapeau à plumes leur donne un air autoritaire. Mais le tribunal a encore besoin d’obtenir les coudées franches pour agir enfin contre les traîtres et les contre-révolutionnaires. D’après le décret qui en précise le fonctionnement, les mises en accusation doivent être effectuées par une commission de six députés. Au bout de plusieurs jours, au grand dam de  Fouquier-Tinville et surtout des Parisiens, qui voient se rejouer la comédie du 17 août, ils n’ont encore envoyé personne devant les juges. Marat y met bon ordre et, le 5 avril, l’Accusateur public reçoit enfin les pleins pouvoirs. Il a désormais le droit de poursuivre de son propre chef tout citoyen à l’exception des députés, des ministres et des généraux pour lesquels l’aval de la commission reste nécessaire. Ce dernier verrou sautera bientôt.

Le fonctionnement du tribunal est simple. C’est une danse en huit temps, plutôt rapide, au cours de laquelle le prévenu relève du figurant. 

Premier temps : grâce à une lettre de dénonciation, à un soupçon né de sa propre conviction, ou à un rapport d’enquête qui lui est transmis, l’Accusateur public est mis sur la piste d’un suspect. 

Deuxième temps : il émet un mandat d’arrêt. 

Troisième temps : il interroge le prévenu (son substitut peut le remplacer). C’est l’instruction. À ce stade, le suspect peut se défendre seul ou se faire assister par un avocat. Dans le premier cas, il participe à l’instruction, apportant  lui-même pièces et témoins qui lui semblent nécessaires. 

Quatrième temps : si l’interrogatoire confirme les soupçons que nourrissait  Fouquier-Tinville à son égard, le suspect est écroué. 

Cinquième temps : l’Accusateur public rédige un acte d’accusation. 

Sixième temps : le suspect comparaît les mains libres (c’est-à-dire sans fers) devant le tribunal. Les charges retenues lui sont signifiées ; les témoins se succèdent ; l’Accusateur public présente le résultat de son instruction et enfin l’accusé peut s’exprimer pour sa défense, assisté ou non d’un avocat (la présence de ce dernier n’est pas obligatoire et finira d’ailleurs par être supprimée). 

Septième temps : le président résume les divers arguments échangés au cours de l’audience ; l’accusé est évacué ; le jury se retire pour délibérer et répondre aux questions posées par l’accusation. 

Dernier temps : les jurés prononcent leur décision en présence de l’accusé ; l’Accusateur public présente ses conclusions ; le président du tribunal confirme la sentence. Le premier procès a lieu le 6 avril 1793. L’honneur en revient à Louis Guyot des Maulans, accusé d’avoir détenu deux passeports, des armes, une cocarde blanche symbole de la monarchie et d’avoir émigré. Il a été arrêté en décembre dernier et son jugement ajourné plusieurs fois pour raisons de santé. Désormais, il risque sa tête. 

Le procès n’est guère prestigieux, mais fournit à Fouquier-Tinville l’occasion de lire son premier réquisitoire et de se roder, tester ses effets, construire les bases de son style, tout en vigueur et précision, sourcil haut, regard impitoyable. Guère d’éloquence ou de rhétorique. À la place : netteté et clarté, à quoi s’ajoute le sentiment communicatif d’accomplir un devoir impérieux et essentiel.

« Cette loi […] est terrible sans doute, mais elle fut nécessaire pour sauver la République et de son exécution dépend le salut public. »

Son réquisitoire séduit tout le monde. H. G. Dulac, membre du Comité de salut public, en fera l’éloge dans son Glaive vengeur de la République française : « Il a prononcé un discours plein de force, plein d’énergie, où respirait à chaque mot le feu brûlant, le feu électrique, du plus pur patriotisme. » 

L’accusé, lui, se défend efficacement. Il ne fait pas mauvaise impression, en dépit d’une incarcération de plusieurs mois et d’une santé défaillante. Sa position est difficile, perché dans le « pot » et comme isolé, séparé des autres acteurs du procès. 

La délibération du jury n’est pas très longue et dans la salle le public se livre à toutes les spéculations, à tous les pronostics. Quand les jurés regagnent leur place, l’attention est à son comble. Le silence s’installe. Tout le monde est suspendu à leurs lèvres. Chacun à son tour se lève et s’avance et répond à voix haute aux questions. Oui, oui, oui ; oui à tout. Louis Guyot des Maulans, dont le visage se décompose sans doute au fur et à mesure de ces affirmations qui se succèdent sans fausse note, est coupable.

Fouquier-Tinville demande la tête de l’accusé ; le juge Montané la lui donne. Tandis qu’il annonce la sentence, un début de sanglot brouille sa voix et fait briller ses yeux. Dans le public, certains pleurent franchement. Mais, les semaines passant, les gorges ne tarderont pas à s’affermir. Et très vite les yeux resteront secs à l’annonce des condamnations. 

Il est quinze heures. À vingt heures, l’accusé est mené place de la Révolution, où l’attendent la guillotine et une foule immense. Quelques minutes après, sa tête roule dans le panier. Premier condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire. Mesquin privilège pour un piètre coupable. 

Le deuxième le suivra de quelques jours à peine. Et à la fin du mois de mai, six semaines plus tard, on en sera déjà à soixante comparutions, dont  dix-huit condamnations à mort. La machine est lancée. Elle ne faiblira pas.

Extrait du livre d’Emmanuel Pierrat, "Le tribunal de la Terreur" , publié aux éditions Fayard.

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