La Syrie, un théâtre de guerre occulté<!-- --> | Atlantico.fr
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Des combattants syriens soutenus par la Turquie se rassemblent le long des lignes de front face aux forces kurdes près de la ville de Dadat, au nord de la Syrie, le 5 juillet 2022.
Des combattants syriens soutenus par la Turquie se rassemblent le long des lignes de front face aux forces kurdes près de la ville de Dadat, au nord de la Syrie, le 5 juillet 2022.
©BAKR ALKASEM / AFP

Situation tendue

La situation en Ukraine polarise toute l’attention des médias. Mais elle cache d’autres théâtres d’opérations où Moscou et Washington s’affrontent par l’intermédiaire de « proxies » dont les intérêts sont locaux ou régionaux. La Syrie en est un bon exemple.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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La « garnison Al-Tanf (ALG) »

Depuis 2016, les Américains maintiennent la « garnison Al-Tanf (ALG) » située à la frontière avec la Jordanie et l’Irak. La tension est brusquement montée le 15 juin lorsque des chasseurs bombardiers russes ont attaqué une position de l’« Armée des commandos de la révolution », un groupe de l’opposition syrienne qui se trouvait dans le périmètre des installations tenues par les forces spéciales US. Ce bombardement ciblé aurait constitué une riposte à une attaque lancée précédemment par ce groupe sur un véhicule de l’armée russe (sans plus de précisions). Les Américains auraient été avertis de la frappe par l’état-major russe une demi-heure avant son déclenchement de manière à ce qu’ils aient le temps de se mettre à l’abri.

Le général d’armée Michael Erik Kurilla, le nouveau commandant de l’U.S Central Command (depuis le 1er avril 2022) s’est rendu sur les lieux pour apporter son soutien aux 300 membres des forces spéciales US et aux « combattants étrangers » présents sur place.

Cette base avait été établie en 2016 lorsque Washington avait à son initiative décidé d’intervenir en Syrie pour combattre Daech. Ce camp excentré par rapport à la majorité des forces de la coalition engagées à l’époque au Kurdistan syrien (le Rojava) est sécurisé par une « zone de déconflixion » d’une cinquantaine de kilomètres de profondeur négociée à l’époque avec les Russes. 

Dans un premier temps, sa mission était d’empêcher les mouvements transfrontaliers pour Daech. Pour cela, Washington avait formé et équipé le groupe rebelle syrien, la « Nouvelle Armée Syrienne - NAS - ». Les forces spéciales US ont occupé la position avec la NAS en 2016. Cette dernière a été dissoute en 2016 pour réapparaitre sous l’appellation d’« Armée des commandos de la révolution ».

Le proto-État Islamique ayant disparu en 2018-19, la mission de cette base a évolué. Les Américains ont privilégié la résistance au régime de Bachar el-Assad avec ses alliés syriens formés en Jordanie. Il s’agissait aussi d’entraver autant que possible le déploiement progressif des milices chiites patronnées par l’Iran. Rien n’a vraiment bougé jusqu’en octobre 2021 lorsque la garnison a subi le tir de drones vraisemblablement dirigés par des milices chiites. Les Américains n’ont pas riposté avec les deux lance-roquettes Himars qui arment le camp. Mais en juin 2022, ils ont dénoncé la multiplication d’incidents « dangereux et non-professionnels » de la part des forces russes et iraniennes. Ainsi des appareils russes auraient effectué des manœuvres agressives vis-à-vis d’appareils américains. De plus, la Russie n’appliquerait plus les accords de déconflixion qui stipulaient que les deux parties devaient se mettre d’accord avant le lancement de toute opération offensive en Syrie.

En ce qui concerne l’Iran, le nombre d’incidents anti-américains qui se sont déroulés depuis octobre 2021 de par le monde de son fait est estimé à 29. À noter que les provocations de la composante navale des pasdarans contre l’US Navy dans le Golfe persique sont monnaie courante depuis des années. L’administration Biden durcit progressivement ses positions à l’égard de Téhéran ce qui n’augure rien de bon pour les négociations sur le nucléaire iranien (JCPOA). Il est vrai que depuis que les conservateurs sont au pouvoir à Téhéran, eux-mêmes ne paraissent plus y croire vraiment.

Mouvements de troupes syriennes au Kurdistan syrien 

Au début juillet, des mouvements de troupes régulières syriennes auraient été détectées vers le nord du Kurdistan syrien (le Rojava), particulièrement dans les régions de Kobane, Ayn Issa et Qamichli. Les Forces démocratiques syriennes (FDS) créées par les Américains en 2015 pour combattre Daech, accompagneraient ces déploiements très vraisemblablement sans l’assentiment de leur mentor.

Ce sont les FDS qui, se sentant « sacrifiées » sur l’hôtel de la guerre en Ukraine qui a conduit à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN en échange ce concessions faites à Ankara. Ce déploiement aurait pour but de dissuader la Turquie de conquérir une zone tampon d’une trentaine de kilomètres à l’intérieur du territoire syrien. 

Les FDS composées majoritairement de Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD), et minoritairement de tribus arabes locales, ont annoncé que 550 militaires syriens étaient arrivés à Ain Issa et à Kobane. D’autres forces devraient être déployées dans la région de Manbij (plus à l’ouest) et dans d’autres zones non désignées.

Selon les réseaux sociaux citant des observateurs sur place, un convoi de l’armée syrienne guidé par des véhicules des SDF comportait des véhicules blindés et des pièces d’artillerie. Il se dirigeait vers Ain Issa et Kobané. D’autres avancent que ces militaires dépendraient des 4ème , 7ème et 28ème  divisions syriennes. Si cette information se confirme, cela voudrait dire que des membres de la Garde républicaine, des forces spéciales et d’infanterie seraient engagées dans cette manœuvre.

Au même moment, la presse russe a fait état de l’arrivée de 500 parachutistes à l’aéroport de Qamichli plus à l’est à la frontière turque. Selon la même source, ils devraient s’opposer aux « gangsters soutenus par la Turquie », sous-entendu aux miliciens turkmènes syriens qui sont toujours mis en avant par Ankara lors de leurs interventions sur le territoire syrien. En réalité, ces hommes sont encadrés par des membres des services secrets (MIT) et des forces spéciales turques sans compter la société militaire privée SEDAT(1).

Les Kurdes ont raison d’être inquiets car la dernière menace du président turc Recep Tayyip Erdoğan de lancer une opération au Rojava date du 26 mai. Le document transmis aux médias  dit : « les opérations existantes et nouvelles à mener visent à débarrasser nos frontières sud de la menace terroriste [représentée par le PKK et assimilés dont le YPG cité plus avant] ».

La Turquie est engagée de manière quasi-permanente depuis mai 2019 dans le nord de l'Irak pour faire la chasse au PKK sans que la communauté internationale ne semble réagir, à l’exception de Bagdad qui dénonce cette violation de son territoire national. 

À l’ouest de l’Euphrate, la Turquie contrôle en grande partie la région frontalière syrienne jusqu’à la province d’Idlib où la situation reste confuse entre les zones de déconfliction tenues par les Russes au sud, les Turcs au nord et les rebelles syriens - en réalité très proches des Turcs - au centre. 

Depuis le début de la révolution syrienne en 2011, Ankara s’est livré à un jeu trouble avec comme seul objectif la chasse aux « séparatistes kurdes » en les poursuivant au nord de la Syrie et de l’Irak.

Ses relations avec les puissances intervenantes, États-Unis, Russie et Iran, sont ambivalentes. Depuis 2020, en plus de la zone de déconfliction d’Idlib citée plus avant, elle participe avec la Russie à des patrouilles le long de la frontière à l’est de l’Euphrate (du côté syrien) et occupe déjà une « zone de sécurité » d’une trentaine de kilomètres de profondeur entre Tal Abyad et Sere Kanye. Mais discrètement, les forces légalistes de Damas se sont réinstallées ponctuellement sur zone. Cela dit, Damas a toujours maintenu deux îlots sous son contrôle : les villes de Hassaké et de Qamichli.

Lorsque le proto-État islamique a été déclaré défait en 2019, les forces spéciales américaines déployées sur place depuis 2016 pour encadrer les FDS se sont redéployées autour des champs pétroliers autour de Deir ez-Zor au sud-est du Rojava sous prétexte de poursuivre la lutte contre Daech (qui est effectivement toujours présent dans la clandestinité). En réalité, Washington veut en interdire l’accès au régime de Damas afin que ce dernier n’en touche pas les dividendes.

Des militaires syriens étaient donc déjà présents en petit nombre au Rojava depuis 2019, mais le millier d’hommes signalé qui sont positionnés à l’ouest et à l’est de la zone de sécurité occupée par les Turcs formeraient l’avant garde d’unités beaucoup plus importantes. Il semble évident que Damas n’a pu déclencher ces opérations qu’avec l’aval de Moscou dont l’intérêt est de s’opposer aux Américains et de faire pression sur Ankara.

La Turquie s’est fait tirer l’oreille pour accepter l’adhésion de la Suède et de la Finlande au sein de l’OTAN, et l’affaire n’est pas terminée puisque des extraditions de « terroristes » depuis ces pays est attendue par Ankara. Les premiers concernés sont les Kurdes dont le sort n’est pas sans rappeler celui des Palestiniens. 

(1). Également présente en Libye où elle s’oppose à des homologues du groupe WAGNER. Localement, Ankara soutient les autorités basées à Tripoli, Moscou celles de Tobrouk. Pour info, le plus grand désordre règne aujourd’hui dans le pays et des émeutes éclatent tant la population semble être à bout.

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