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La stratégie Bayrou face à ses limites : mais quels sont les électeurs qu’il compte attirer en ne disant rien ?
©Reuters

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François Bayrou, en passant à l'émission Des Paroles et Des Actes ce jeudi 12 novembre, a fait montre de son immobilité politique actuelle. Pour autant, à l'heure ou François Hollande chasse de plus en plus le chaland sur les terres du centre, il devient vital pour le président du MODEM de bouger, soit sur sa gauche, soit sur sa droite.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Lors de son intervention télévisée à Des paroles et des actes, François Bayrou a gardé un positionnement très centriste et s'est voulu apaisant. Alors que François Hollande brigue à présent l'électorat du centre-droit, notamment à travers la ligne Valls-Macron, par ailleurs très appréciés au centre, François Bayrou peut-il se permettre un manque de prise de risque pour séduire de nouveaux électeurs ?

Bruno Cautrès : François Bayrou tente depuis plusieurs mois une opération politique qui n’est pas simple : faire oublier à son électorat son choix en faveur de François Hollande en 2012, en rejeter la responsabilité sur le Président, montrer qu’il n’a pas changé de ligne contrairement à ce que pourrait laisser penser ce choix de 2012 puis le retour dans le giron « de la droite et du centre » pour les élections de 2015 et 2017. Les électeurs de François Bayrou ne sont pas, sur les sujets européens ou les sujets de société, très éloignés de ceux de la gauche, en tout cas du centre gauche ou Parti socialiste. Sur les questions économiques, ils sont en revanche plus proches des électeurs de la droite. Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de remarquer que lors de l’émission Des paroles et des actes, François Bayrou a validé plusieurs idées qui tiennent à cœur de la droite mais sont dans le même temps mises en avant par Emmanuel Macron ou Manuel Valls comme la rémunération des fonctionnaires du mérite, la réduction des déficits publics.

On a bien retrouvé lors de cette émission le positionnement « hyper-centriste » classique de François Bayrou : par exemple se montrant en empathie avec une militante de la « Manif pour tous » tout en expliquant que l’on ne pouvait imposer un modèle de famille ; puis en se montrant en accord avec des thèmes ou des propositions « à la Macron » (fonctionnaires rémunérés au mérite, auto-entreprise, valeur travail, etc..) tout en manifestant son désaccord avec Stéphane Le Foll sur la méthode de réformes du gouvernement. Cela illustre bien, la relative difficulté de la stratégie de François Bayrou : au moment où il est revenu au sein de la famille de « la droite et du centre », il doit maintenir une forme d’ouverture mais critique aux propositions de la partie la plus centriste ou « droitière » de la gauche…. Ce qui n’est pas forcément simple ou lisible aisément. 

La question de séduire de nouveaux électeurs n’est pas pour le moment la priorité affichée de François Bayrou qui espère en fait faire triompher ses idées à travers Alain Juppé, clairement présenté par François Bayrou comme son candidat pour 2017. Mais on sent poindre, chez François Bayrou, un pragmatisme prêt à partir en campagne pour 2017 : il répète régulièrement que la primaire « de la droite et du centre » risque de se traduire par le choix du candidat le plus au cœur de l’électorat de la droite et non du centre, Nicolas Sarkozy. Et dans ce cas, là non seulement François Bayrou serait candidat à la présidentielle mais encore il caresserait le rêve que les électeurs, lassés du « match retour » et de « l’impasse » (mot qu’il a employé)  entre N. Sarkozy et F. Hollande le catapultent au second tour face à Marine Le Pen. 

Que pourrait lui coûter un immobilisme politique ?

On a vu dans l’émission Des paroles et des actes, à travers les réactions de jeunes électeurs interrogés par France 2, que François Bayrou pouvait rencontrer un double problème d’image : qu’il a des idées mais qu’il développe des propositions trop éloignées de la réalité (trop « incantatoire » lui fait remarquer plusieurs fois David Pujadas, trop de paroles et pas assez d’actes…) ; qu’il était dans la vie politique depuis déjà longtemps. De manière plus générale, le risque que prend François Bayrou est d’apparaître comme trop dépendant dans sa stratégie pour 2017 des résultats de la primaire de 2016. Il a accroché son destin de 2017 à celui d’Alain Juppé et peut effectivement apparaître alors comme en second rang alors même qu’en 2007 il a eu, entre les mains, la « balle de match » de la présidentielle lorsqu’il refusa la main tendue par Ségolène Royal. 

Lorsque l'on sait que l'électorat du centre lui est déjà acquis, en quoi un élargissement de son cœur de cible à droite, notamment sur les questions de société pourrait-il lui être bénéfique et comment pourrait-il s'y prendre ? On se souvient que Nicolas Sarkozy n'avait pas hésité à déclarer être l'héritier de Jean Jaurès en 2007, en campagne à Toulouse...

On ne voit pas bien ce type d’évolution chez François Bayrou. Il a bâti toute sa carrière sur une image de constance dans ses grands choix, sur l’image de quelqu’un qui a su être clairvoyant avant les autres. On ne perçoit pas non plus d’évolution sur les sujets de société, sujets sur lesquels le positionnement centriste combine l’attachement aux valeurs fondamentales de la démocratie-chrétienne et de l’humanisme. Cette combinaison est essentielle dans le positionnement de François Bayrou et du MODEM : cette composante de son discours construit et fait l’image d’un François Bayrou « homme de bon sens », tolérant et qui n’est pas obsédé par le fait de faire triompher ses idées contre les autres. L’échange qu’il a eu, pendant l’émission, avec la militante de la « Manif pour tous », était à cet égard éclairant ; de même le passage très intéressant au cours duquel il a, en début d’émission, expliqué sa conception d’une démocratie « apaisée » où la victoire d’un camp ne veut pas dire le rejet de l’autre camp. 

Le maire de Pau doit-il envisager un élargissement au centre-gauche de la même manière ?

De fait, cet élargissement a déjà eu lieu. Les électeurs du MODEM ou de François Bayrou ne sont pas, sur les sujets de sociétés ou les sujets européens fondamentalement opposés à la partie la plus centriste de la gauche. Mais un élargissement plus net et plus franc de ses thèmes, qu’il soit vers la gauche ou vers la droite d’ailleurs, compromettrait de manière assez nette le projet politique d’ensemble de François Bayrou : être celui autour duquel se recompose le système et se crée des majorités d’idées

Jusque quand l'ancien ministre de l'Education nationale pourra-t-il rester dans cette position sans qu'elle ne lui porter préjudice ?

Jusqu’au moment où la primaire choisira le candidat « de la droite et du centre ». Le risque serait peut-être plus grand pour lui de se différencier si c’est Alain Juppé qui est choisi : il lui faudrait alors composer avec la génération montante des Républicains, comme Bruno Le Maire par exemple ; si c’est Nicolas Sarkozy qui est choisi, cela sera plus simple pour François Bayrou qui se présentera alors comme celui qui reprend le flambeau et qui entent se qualifier au second tour à la place de Nicolas Sarkozy. Les sondages, pour le moment, ne lui permettent pas d’espérer cette dernière hypothèse de qualification au second tour. 

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