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La Sociale, ou le révisionnisme historique assumé de la gauche
©DR

Il fallait oser

Le film "La Sociale", un documentaire consacré à la sécurité sociale et à son histoire, mérite d’être vu tant il illustre comment la gauche contemporaine se complaît dans un révisionnisme historique tout à fait emblématique de son profond déclin intellectuel. Pour réaliser cette oeuvre de propagande, le réalisateur a d’ailleurs convoqué le ban et l’arrière-ban des idéologues labellisés sur le sujet.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La Sociale ou le révisionnisme de la sécurité sociale

Le synopsis du film constitue en lui-même un moment très drolatique sur la propagande sans fondement historique qui sous-tend le scénario :

En 1945, les ordonnances promulguant les champs d’application de la sécurité sociale étaient votées par le Gouvernement provisoire de la République. Elles prennent origine dans le programme du Conseil National de la Résistance qui intègre "un plan complet de sécurité sociale […] avec gestion appartenant aux représentants des intéressés." Un vieux rêve séculaire émanant des peuples à vouloir vivre sans l’angoisse du lendemain voyait enfin le jour. Le principal bâtisseur de cet édifice des plus humaniste qui soit se nommait Ambroise Croizat. Qui le connaît aujourd’hui ? 70 ans plus tard, il est temps de raconter cette belle histoire de "la sécu". D’où elle vient, comment elle a pu devenir possible, quels sont ses principes de base, qui en sont ses bâtisseurs et qu’est-elle devenue au fil des décennies ? Au final, se dressent en parallèle le portrait d’un homme, l’histoire d’une longue lutte vers la dignité et le portrait d’une institution incarnée par ses acteurs du quotidien.

Pas un mot, donc, sur les racines vichystes de la Sécurité Sociale, et en particulier sur le rôle de Pierre Laroque et d’Alexandre Parodi qui conçoivent le dispositif de Sécurité Sociale dès l’été 1940 et qui lui donnent forme dès les ordonnances d’octobre 1945, moment où Ambroise Croizat n’est pas encore ministre. De fait, attribuer la paternité d’ordonnances prises sous le gouvernement provisoire de De Gaulle à un ministre communiste qui n’est pas encore en poste illustre bien l’absence totale de sérieux scientifique de ce documentaire pourtant largement diffusé.

Le révisionnisme historique dont le documentaire procède le range donc dans l’immense galerie des oeuvres de propagande qui ne visent pas à expliquer la sécurité sociale et sa véritable utilité (l’achat en quantité industrielle de la paix sociale dans un monde qui dysfonctionne), mais bien à faire passer la pilule d’un monde organisé autour de l’aliénation des individus.

La Sociale, ou penser à l’envers

Pour montrer comment ce documentaire est le contraire d’une démarche historique et procède de la reconstruction idéologique, il faut lire le texte, dans le support pédagogique réalisé par la Ligue de l’Enseignement, de l’interview de Gilles Perret:

Là où on aurait pu croire que tout le monde allait être d’accord pour mettre en place l’accès à la santé pour tous et les retraites, on constate que ça a été beaucoup plus compliqué que ça. Croizat et Laroque, en définitive, avaient beaucoup d’opposants à la mise en place de ce projet : le patronat bien sûr, mais aussi la mutualité, car elle perdait dès lors ses prérogatives ; et l’Eglise, qui se voyait dépossédée de ses caisses de solidarité ; la médecine libérale, également, qui craignait tout à coup d’être dirigée par la CGT ; la CFTC, qui refuse de participer à la mise en place des caisses estimant que la CGT était en situation de monopole ; et jusque dans les rangs de certains travailleurs, qui bénéficiaient de ce qui allait devenir les "régimes spéciaux", et qui avaient des avantages supérieurs avant la guerre… Bref, cela fait beaucoup d’opposants, ce qui fait que la généralisation, voulue à l’origine par le CNR, ne s’est pas complètement réalisée : les indépendants, les paysans ont refusé d’y participer, les régimes spéciaux se sont mis en place. En fait, la Sécurité sociale a couvert l’ensemble des salariés du commerce et de l’industrie.

Voilà des remarques confondantes. En effet, quand on fait l’histoire de la sécurité sociale, on fait d’abord l’histoire de la résistance française à cette idée imposée de toutes pièces par une élite administrative appuyée à partir de 1946 par un ministre communiste. Mais, ce même ministre communiste (Ambroise Croizat) qui fait l’éloge du régime universel de Sécurité Sociale prend bien garde d’imposer à la CGT de rejoindre ce régime. De fait, partout où existent des régimes spéciaux, la CGT refuse leur fusion avec le régime général.

Donner sens à la résistance collective à la Sécu

Un historien un peu sérieux prendrait le temps de donner sens à cette résistance collective, et singulièrement à cette résistance des prétendus inventeurs de la Sécurité Sociale (les communistes, la CGT, les résistants) à leur propre prétendue invention. Il suffit d’analyser un minimum la réalité pour comprendre cette résistance à l’époque: la “Sécu” est bien moins favorable que les régimes de protection sociale existant avant la guerre.

Mais, pour tenir ce raisonnement évident, il faut admettre que l’histoire officielle ment. Il faut admettre d’abord qu’il existait une protection sociale avant 1940, il faut admettre qu’elle était plus performante que le système dégradé généralisé en 1945, et il faut aussi admettre qu’en 1945, la sécurité sociale ne naît pas de rien, mais d’un édifice vichyste de piètre qualité. Et ces évidences historiques là, les révisionnistes bobos ne peuvent les admettre.

La Sociale, ou la nostalgie de la propagande

Comme la Sociale n’est pas une oeuvre d’historien, mais un simple véhicule de propagande, son réalisateur évite savamment la question qui fâche (pourquoi la CGT refusait-elle de voir les régimes spéciaux intégrer le régime général paraît-il si extraordinaire?), et se contente de conclure:

Mais le rapport de force a changé dès 1947, lorsqu’ont été créés les premiers régimes complémentaires de retraite, c’est alors que le patronat commence à reprendre la main. (…)

C’est bien connu, l’AGIRC fut créée par le patronat!

Les inepties alignées par ce documentaire sont confondantes et montrent parfaitement comment la gauche bobo reconstitue aujourd’hui un fake historique qui occulte systématiquement toutes les évidences gênantes avec une absence époustouflante d’esprit critique.

On lira notamment ce mensonge historique factuel:

La fondation de la Sécu, c’est donc en 1946/1947. La grande force, c’est que les militants, CGT principalement, ont mis en place toutes les caisses – retraite, maladie, allocations familiales – dans tous les départements en moins d’un an. C’est une véritable prouesse, car ils mettent cela en place en plus de leurs heures de travail.

On regrettera que, du simple point de vue factuel, le documentaire ne rappelle pas que les caisses furent créées en 1941 par Vichy pour “territorialiser” la protection sociale là où l’Allemagne a toujours préservé des organisations par branches professionnelles. Sans cette précision, on ne peut comprendre le (dys)fonctionnement actuel de la sécurité sociale.

Qui finance le mensonge officiel?

La question importante n’est évidemment pas de savoir pourquoi un énième documentaire ment et colporte des ragots grotesques, estampillés par des universitaires décadents comme Bernard Friot. La question est de savoir qui a intérêt à maintenir ces mensonges vivants?

Les thèmes favoris de Bernard Friot sont ici éclairants. Ce puits d’ignorance suffisante répète à l’envi qu’il faut transformer toute la population active en salariée. Là où Marx décrivait très bien le salariat comme l’aliénation, ses héritiers intellectuels en font aujourd’hui la voie de la libération. L’idéologie du salariat, un sujet bien connu face à la révolution numérique et à la réaction nobiliaire.

Un monde de salariés, c’est un monde docile, un monde obéissant. Et ça, Gilles Perret, il aime.

Article originellement publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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