La saignée fiscale locale qui n'était pas venue : les mauvaises nouvelles derrière la bonne<!-- --> | Atlantico.fr
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Une enquête menée par l'AMF estime l'augmentation des impôts à seulement 1,6%
Une enquête menée par l'AMF estime l'augmentation des impôts à seulement 1,6%
©Reuters

L'arbre qui cache la forêt

Alors qu'une saignée fiscale au niveau local était attendue pour compenser la baisse des dotations décidée au niveau de l'Etat, une enquête menée par l'AMF estime l'augmentation à seulement 1,6%. Ce chiffre est en réalité historiquement bas et confiné à quelques grandes villes comme Toulouse, Lyon ou Bordeaux.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Comment expliquer cette différence entre des prévisions d'augmentation des impôts très fortes, et réalité moindre ?

Jean-Luc Bœuf : Je pense qu'il y a deux choses. La première est liée au respect des promesses de campagne, quelle que soit la taille de la collectivité, qui a consisté à dire "stop à la hausse fiscale".  Les élus ont été sensibles à ce message lorsqu'ils étaient candidats. Une fois au pouvoir, la question du respect de la parole publique est importante pour redonner de la crédibilité à l'action publique.

Le deuxième point, c'est que les maires ont été sensibles à la question de la réduction des dépenses qui pesait sur eux. En diminuant fortement, pour la première fois, les recettes, notamment la dotation globale de fonctionnement, le message donné aux nouveaux maires était clair : les collectivités doivent participer à l'effort de redressement des comptes de la nation. Dans cet effort, il est nécessaire de baisser ses interventions. Or, ce faisant, les maires se sont rendus compte qu'ils avaient peut-être un peu moins de mal que prévu à boucler leur budget plutôt qu'en raisonnant comme par le passé. Avant, les maires considéraient qu'ils avaient des projets, des besoins, des envies et augmentaient la fiscalité pour les financer. Aujourd'hui, les maires ont le raisonnement suivant : ils ont des recettes contraintes, dont une baisse des dotations de l'Etat, un accès plus difficile à l'emprunt et une volonté réelle de modération des dépenses et donc de modération fiscale.

Les collectivités ont pris conscience que la machine avait changé de sens et qu'il ne suffisait plus de déterminer ses besoins pour aller chercher ses recettes, mais il faut partir des recettes contraintes pour augmenter le moins possible sa fiscalité et baisser ses dépenses. C'est plus une prise de conscience du changement de la machine qu'une réelle volonté de baisse des dépenses.

Où les maires ont-ils et vont-ils trouver les fonds qui leur manquent ? Comment les municipalités se sont-elles organisées pour pallier la diminution des dotations de l'Etat ?

Ils ne les trouveront pas, ils baisseront les dépenses. Ils sont obligés de baisser les interventions publiques, les subventions. Les collectivités contiennent leurs masses salariales.

Lorsque les comptes 2015 seront publiés, on devrait probablement voir que les dépenses des collectivités locales ont baissé.

Ne sont-ils pas en train de creuser le déficit ? Si oui, dans ce cas, où peuvent-ils emprunter ?

On peut reprocher plein de choses aux collectivités locales. Mais on ne peut pas leur reprocher la dette, ni le creusement des déficits. On peut leur reprocher de dépenser, mais leur poids dans la dette publique a diminué. Cela signifie que la dette de l'Etat augmente encore plus. L'effet est donc relatif et pas absolu, puisque de manière absolue la dette des collectivités locales continue à augmenter, légèrement, de presque 8 / 9 milliards par an. Mais il faut rapporter cela au stock des dettes de l'Etat seul qui frise les 2 000 milliards d'euros.

Lorsque l'on a besoin de l'emprunt, la banque regarde la situation financière. Le simple fait que les collectivités aient accès à l'emprunt aujourd'hui signifie que les banques considèrent que leurs capacités financières leur permettent de le faire. Le secteur traditionnel, type Caisse d'Epargne, Caisse des Dépôts, etc. existe. Mais depuis quelques années des recherches alternatives de financement par emprunt se sont mises en place, notamment de l'emprunt obligataire. Et puis les premières émissions de l'Agence France Locale pointent leur nez, plutôt pour les collectivités d'une certaine taille.  

Assiste-t-on vraiment à une pause des impôts locaux : les maires ne vont-ils pas plutôt décaler les dépenses dans le temps, voire en retarder certaines ?

Forcément. Comme les collectivités diminuent leurs dépenses, elles diminuent l'investissement. On ne peut pas demander aux collectivités locales de faire des efforts afin d'assurer le redressement des comptes de la nation et à la fois dépenser plus en investissement. Dans le discours public, il y a un peu de schizophrénie, dans la mesure où l'on demande aux collectivités de faire un peu tout. Mais actuellement, le message qu'on leur fait passer, c'est une réduction des dépenses.

Est-ce que dans deux ans, à peu près, les collectivités ne se rendront-elles pas compte que les économies ne suffisent pas ? Et comme les dotations continuent à baisser, il faut utiliser le levier fiscal ? C'est une possibilité dans les prochaines années.

Quelles sont les dépenses retardées ? En quoi cela va-t-il impacter les communes ?

Trois types de dépenses peuvent être retardés. Les dépenses d'investissement pour les nouveaux programmes. Autant il est nécessaire de payer les marchés qui arrivent à maturité pour les travaux lancés, autant il est possible de retarder les nouveaux programmes.

Il est aussi possible de retarder les dépenses en matière de personnel. Les collectivités recrutent moins, font moins avancer les personnels déjà en place, ne remplacent pas les départs à la retraite…

Le troisième levier de dépenses, ce sont les dépenses classiques de la collectivité. Dans ce cas-là, il est possible d'augmenter moins ou de diminuer pendant une année ou deux, et aviser ensuite. Ce sont ces trois types de dépenses qui peuvent être retardées. Certaines collectivités sont susceptibles de ne jouer que sur un seul levier, d'autres sur plusieurs…

La commune est alors écartelée entre trois choses : d'abord, le message de l'Etat qui est celui d'une baisse des dotations. Ensuite les contribuables pour la partie fiscale. Enfin, tous les acteurs de terrain avec lesquels la collectivité travaille : les associations, les entreprises… Donc les communes doivent jongler entre : comment répondre à la baisse de la dotation de l'Etat, en faisant attention au contribuable et continuant à travailler avec les acteurs de terrain. Cela amène donc forcément des contradictions dans la préparation des exercices budgétaires.

Le risque pour un territoire, c'est de mourir guéri. On met en place toutes les mesures pour dépenser moins, mais, ce faisant, il y a moins d'investissement, moins de réparation de routes, de gymnases, de changements dans les médiathèques… Cela enclenche une spirale que l'on ne manquerait pas de reprocher aux collectivités locales ensuite. 

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