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Vladimir Poutine lors d'une réunion avec les membres du gouvernement russe par téléconférence à Moscou, le 10 mars 2022.
Vladimir Poutine lors d'une réunion avec les membres du gouvernement russe par téléconférence à Moscou, le 10 mars 2022.
©MIKHAIL KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

Après la guerre d’Ukraine

Alors que Moscou se retrouve isolé sur la scène internationale suite aux sanctions imposées à la Russie après l'invasion de l'Ukraine et que les principaux géants du pétrole ont annoncé se retirer du marché russe, la Russie pourrait bien ne jamais retrouver son statut de superpuissance de l'énergie

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : À la suite des sanctions imposées à la Russie dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine, Moscou se retrouve isolé sur la scène internationale. Contrairement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les européens grands importateurs de gaz et de pétrole russe n’ont pas boycotté ces marchandises mais annoncé vouloir réduire rapidement et durablement leur dépendance à la Russie. Si le marché européen se détourne ainsi progressivement de la Russie, a fortiori pour effectuer sa transition énergétique, est-il possible que la puissance énergétique que possédait la Russie périclite durablement ?

Jean-Pierre Favennec : Pour l'instant il est très difficile, économiquement parlant, pour l'Union Européenne de se passer du gaz russe. La Russie fournit environ 40 % de la consommation totale de gaz de l'Union Européenne, soit 200 milliards de mètres cubes pour une consommation totale d'environ 500 Milliards de mètres cubes. Ces quantités arrivent par gazoducs depuis la Sibérie.
Ainsi l'Allemagne est très dépendante du gaz russe qui représente près de 20% de ses besoins totaux en énergie. Symboliquement l'Allemagne a décidé après l'invasion Russe de l'Ukraine de bloquer le gazoduc Nord Stream 2 dont la construction venait de s'achever mais elle continue à s'approvisionner à travers le gazoduc Nord Stream 1 construit il y a dix ans et accueille du gaz venant de Russie par d'autres canaux. Un arrêt des importations de gaz russe, qui pénaliseraient évidemment lourdement la Russie aurait également de très graves conséquences économiques pour l'Europe.
La réduction partielle ou totale de la dépendance au gaz russe doit être une priorité pour l'Europe. Mais la réduction de cette dépendance implique une réduction globale ce la consommation d'énergie en Europe, le recours à des sources de gaz alternatives (Etats Unis, Afrique, Moyen Orient) et la construction de terminaux de regazéification de GNL (gaz naturel liquéfié) car une bonne partie des importations nouvelles, pour remplacer le gaz russe, se fera sous forme de GNL. La construction des nouvelles installations requises pour accueillir le GNL prendra plusieurs années. A titre d'exemple l'Allemagne ne dispose actuellement d'aucune installation de regazéification de gaz liquéfié (une unité va être mise en construction).

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La situation est différente pour le pétrole (ou le charbon). Un arrêt des importations européennes de pétrole russe (qui sont très importantes), conduirait sans doute la Russie a rechercher de nouveaux débouchés, par exemple en Asie (Chine, Inde). Mais ceci libèrerait des disponibilités de pétrole au Moyen Orient qui exporterait donc moins de pétrole vers l'Asie. La portée des sanctions contre la Russie est difficile à mesurer. Les sanctions américaines contre l'Iran ont limité mais pas totalement arrêté les exportations de pétrole iranien

A quel point serait-il aisé ou non pour la Russie de trouver des clients alternatifs au marché européen ? La peur du ricochet des sanctions et le statut de paria de la Russie ne risque-t-ils pas d’en inquiéter certains ?

Les clients alternatifs au marché européen sont en Asie. Depuis 2014 (date de la "Révolution de Maïdan" et de fait du conflit entre l'Ukraine et la Russie), la Russie a déjà commencé à rechercher de nouveaux débouchés gaziers en Chine. Le projet "Power of Siberia" consiste par exemple à livrer à la Chine de grosses quantités de gaz à partir de la Sibérie Orientale pour de nombreuses années. Il sera plus difficile de trouver pour la Russie de trouver des alternatives aux livraisons de gaz en Europe dans la mesure où ces livraisons se font par gazoduc à partir des gisements situés à proximité de la péninsule de Yamal dans le nord ouest de la Sibérie
A l'évidence les clients alternatifs au pétrole et au gaz russe se trouvent donc en Asie et en particulier en Chine. Les Etats Unis font pression sur la Chine pour que ce pays limite son soutien à Moscou. La Chine peut craindre des mesures américaines visant à limiter les importations chinoises. A l'inverse on aura à l'esprit que la Chine détient une part majoritaire, par exemple, de la production de panneaux solaires et de terres rares nécessaires à la construction d'éoliennes et que des sanctions contre la Chine pourraient ralentir le développement nécessaire des énergies renouvelables en Europe et aux Etats Unis.

Les grandes compagnies pétrolières et gazières occidentales comme Shell, BP et Total se sont retirées de leurs accords de partage de production de plusieurs milliards de dollars avec des entreprises publiques russes comme Rosneft, Lukoil et Gazprom. Alors que les sanctions pourraient être amenées à durer, faut-il s’attendre à ce que les géants du marché ne reviennent pas dans le pays ?

Le retrait des grandes sociétés européennes du secteur pétrolier aura des impacts certains sur la production d'hydrocarbures en Russie.
Un retour éventuel des sociétés qui ont quitté la Russie sera sans doute difficile. Il dépendra de la suite des événements en Ukraine. Mais les mesures réclamées par les institutions internationales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique pourraient également freiner le retour vers des projets de production de gaz et de pétrole

Si la Russie ne peut pas compter sur sa manne financière au moins temporairement, ne risque-telle pas de voir sa fragilité économique provoquer un effet boule de neige et l’empêcher de se repositionner ?

Les ressources financières tirées des hydrocarbures par la Russie ont toujours été très importantes. Avant les augmentations récentes de prix du gaz et du pétrole les recettes des exportations d'hydrocarbures représentaient environ 50 % des recettes d'exportation du pays. On a par exemple dit que la chute du prix du pétrole en 1986 est responsable de la chute de l'URSS qui s'est ainsi retrouvée dépourvue de ressources.
Une diminution drastique des exportations de pétrole et de gaz aurait des conséquences catastrophiques pour la Russie. Une chute des prix des hydrocarbures, très peu probable à court terme mais envisageable à moyen terme aurait également des conséquences sévères pour la Russie qui a toujours fait de ses ressources en pétrole, en gaz et en charbon un élément majeur de sa recherche de puissance.

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