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La Réunion en crise dans l'indifférence générale : la métropole se fout-elle des Français d'Outre-mer ?
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Parents pauvres

Des affrontements ont eu lieu cette semaine à La Réunion entre les forces de l'ordre et des manifestants. Ils réclament plus de contrats aidés pour les jeunes.

François  Taglioni

François Taglioni

François Taglioni est géographe, professeur à l'Université de la Réunion. Après avoir longuement travaillé sur les spécificités sociales, politiques et économiques des petits espaces insulaires en développement de l’Océan Indien, de la Caraïbe et du Pacifique insulaire, ses recherches portent aujourd’hui sur l’étude des interactions environnement et santé.

Son site : taglioni.net

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Atlantico : Depuis plusieurs jours, la Réunion connaît des affrontements entre des jeunes et la police. Le motif de ce conflit est plutôt surprenant puisqu’il s’agit de la demande de contrats aidés. L’Etat fait-il le nécessaire pour protéger ses territoires d'Outre-mer ? Le fait-il vraiment de la même façon qu’en métropole ?

François Taglioni : Il est évident que dans un contexte généralisé de récession et d'austérité en France, pas uniquement en Outremer, les régions à problèmes comme la Réunion ne sont pas plus aidées que les autres. Pour autant, je crois qu'il serait faux de dire que la France a abandonné ses territoires d'Outremer car il existe depuis très longtemps des politiques françaises et européennes pour les soutenir. Je pense notamment au POSEIDOM mais aussi aux fonds structurels européens qui ont pris la forme de très grosses enveloppes. Le problème vient donc essentiellement de la nature géographique et structurelle des territoires d’Outremer.

Les Réunionnais et plus largement les insulaires français ont-ils le sentiment d’être abandonnés ?

Le ressenti sur place est assez différent de la réalité des aides. Ce sentiment d’abandon est bien évidemment exacerbé par la distance qui donne aux Français d’Outre-mer l’impression que l’herbe est plus verte en métropole. Je ne sais pas si on peut parler de fantasme mais il y a une amplification d’une soit disant meilleure situation qui dans la réalité n’est pas plus glorieuse dans la plupart des autres régions françaises. Il ne me semble pas que la situation dans le Limousin ou dans le Nord de la France soit particulièrement enviable. Ces régions connaissent le même chômage endémique et leurs activités industrielles sont généralement en chute libre. Ainsi, vu d’une île comme la Réunion, enclavée dans une zone mal développée, on conclut vite que le gouvernement pourrait faire mieux ou qu'il nous délaisse même si ce n’est pas toujours véridique.

Pourquoi les médias nationaux en parlent-ils si peu ?

A titre individuel, je ne crois pas que les Français de métropole se soucient particulièrement des Français d’Outremer, de la même façon que je ne crois pas par exemple que les Bordelais ou les Strasbourgeois se soucient particulièrement des Bretons ou des Lorrains. C’est donc de là que découle le manque d’intérêt des médias qui s’explique surtout par une forme de régionalisme. Les médias s’intéressent aux choses qui concernent la cible la plus large et ce qui se passe aujourd’hui à la Réunion n’est pas d’une très grande ampleur. L’Outremer a connu des mouvements sociaux bien plus graves que celui-ci qui prend pied dans une ville, Le Port, bien particulière qui pourrait d’une certaine manière correspondre sociologiquement aux banlieues parisiennes. On y retrouve des populations très déclassées, des habitations insalubres et un chômage rampant. Le phénomène n’a pour l’instant pas gangrené l'ensemble de l'île malgré un climat social délétère.

Existe-t-il un lien entre l’isolement lié à l'insularité, et d’une part un éventuel désintérêt étatique, et d’autre part un certain sentiment d’impunité émeutiers ?

Dans un premier temps, il faut prendre en compte le fait que le climat social est tendu toute l’année. Ainsi, la police prend en général le temps de regarder avant d’agir et si quelques émeutiers brûlent deux voitures il faut bien souvent temporiser plutôt que d’agir avec trop de zèle. Quand cela dégénère comme c’est un peu le cas ici, les gendarmes interviennent. Cependant, il faut bien comprendre que ce climat, cette tension et cette réactivité de la population ne sont pas dus à l’insularité mais à l’histoire coloniale de l’Outremer. Ces populations sont nées dans l’esclavage et même en 2013 les blessures de la spoliation et de la maltraitance sont encore profondément ancrées dans leur culture. La preuve que cela n’a rien à voir avec l’insularité est que la situation en Guyane est la même alors que ce n’est pas une île. Ce n’est pas l’île elle-même qui porte les germes de la revendication.

Quel est l’état économico-social réel de l’Outremer français ?

La métropole ne va déjà plus très bien, et cela s’accélère depuis la fin des Trente glorieuses. Et donc l’Outremer suit la même logique. En dehors de la Nouvelle-Calédonie qui connaît le plein emploi et une croissance insolente grâce à ses exportations de nickel, tous les indicateurs économiques de l’Outremer sont au rouge. Polynésie, Réunion, Guadeloupe, Martinique, Wallis et Futuna et autres, les symptômes sont les mêmes : chômage endémique, une économie archaïque basée sur la plantation et subventionnée par l’UE, un tourisme peu séduisant à cause des prix artificiels qui repoussent les touristes qui peuvent trouver moins chers dans d'autres pays de la zone inter-tropicale, et enfin un secteur industriel qui n’a jamais décollé. Pour l’instant, ces territoires sont totalement dépendants et ne pourront pas dans l’état actuel des choses rentrer dans un cercle vertueux. Paradoxalement, au sein de leurs régions géographiques respectives ces territoires apparaissent comme très développés. Par exemple, à côté des Comores, la Réunion ressemble au Paradis, mais en interne cela est plus complexe.

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