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“La République française n’oubliera pas” Auschwitz... encore faudrait-il s’en donner les moyens après 30 ans de déconstruction méthodique de l’enseignement de l’Histoire
©Reuters

Histoire en décomposition

Lors de son discours à l'occasion des commémorations de la libération des camps de concentration et d'extermination, François Hollande a déclaré que la "France n'oubliera pas" la Shoah. Une promesse qui ne pourra se passer d'un bilan critique des différentes réformes de l'enseignement qui ont porté un coup à la place de l'Histoire.

François Dubet

François Dubet

François Dubet est sociologue spécialiste de l'éducation, professeur à l'Université Bordeaux II et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Jean-Pierre Rioux

Jean-Pierre Rioux

Jean-Pierre Rioux est historien, spécialiste d'histoire contemporaine de France, notamment dans ses dimensions politiques, culturelles et sociales. Il est l'auteur de La France perd la mémoire en 2006, et de La mort du lieutenant Péguy en 2014, tous deux aux éditions Perrin. Récemment, il a publié L'événement Macron aux éditions Odile Jacob.

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Atlantico : L'enseignement de l'Histoire, qui a subit de nombreuses réformes depuis une trentaine d'années, permettra-t-elle vraiment la transmission de connaissances sur la Shoah dans toute sa profondeur ?

Jean-Pierre Rioux : La question mérite d'être posée, effectivement. Trois mesures ont certainement parasité l'enseignement de l'Histoire. D'abord, La réforme de 1989 sous Lionel Jospin, qui en positionnant l’élève au cœur du dispositif, fit de lui un apprenant omnipotent. L'enseignement de l’Histoire est d'apporter un esprit critique, et cette ambition générale, qui doit "constituer" les jeunes générations pour qu'elles deviennent adultes. Autrement dit, l’enseignement de l’histoire est avant tout une bonne géographie. Un récit construit où chacun peut se reconnaître. Cette ambition est en passe d’être disloquée.

D'abord, la diminution du nombre d'heures dans les programmes d’Histoire en 3ème et en 4ème appliqué à la rentrée 2013, a fait ressortir les problèmes de conception du baccalauréat. La refonte du programme d'Histoire en thématiques, bien qu'intéressante pour certains sujets comme l'immigration, a dans son application globale été une absurdité puisqu'il n’y a pas d’histoire sans chronologie.

L’idée que c’est à l’individu de décider, le placer au cœur de l’enseignement, en fait le plus souvent un élève nu. Il devient l’acteur historique suprême. Il décide de qui sont les bons, les méchants, les acteurs. Autre difficulté d'ordre sociétale : nous perdons le sens des transmissions, des héritages. Nos vies s'intègrent dans une chaîne du temps disloquée, nous ne sommes plus dans une logique sécularisée, une logique des Lumières. C'est la fin de la temporalité laïque : l’idée que les sociétés avancent vers quelque chose dans l’épaisseur du temps. Alors qu'auparavant, notre enseignement de l’Histoire était assise sur la destinée collective, certains mots ont aujourd'hui été bannis comme "patrie". 

Pour autant, la France est le pays au monde qui enseigne l’Histoire, et fait beaucoup d'efforts en comparaison des autres nations occidentales. La France, peuple, nation, république, a fait des efforts pour qu’il y ait un continuum de l’enseignement pour qu’il y ait une présence d’histoire et de géographie. Mais elle souffre des problèmes structurels que nous venons de citer.

Un sondage réalisé sur Atlantico (voir ici) sur la proportion de Français adhérant à des théories du complot pour expliquer les causes des attentats de Charlie Hebdo fait ressortir que les jeunes entre 18-24 ans sont les premiers à y adhérer dans la population. Dans quelle mesure peut-on dire qu'il y a aujourd'hui, et contrairement à la période pré-internet, une compétition de la connaissance entre la voix officielle d'une part, et celle d'internet ?

François Dubet : Il a toujours existé une information parallèle alimentée par les rumeurs et qui, souvent, a joué un rôle politique considérable dans le déclanchement de violences de masse. Mais ces rumeurs tenaient lieu d’information quand celle ci était rare et peu crédible. Aujourd’hui, ces rumeurs tiennent probablement à l’excès d’informations immédiatement accessibles. Or, nous savons que les jeunes sont les plus grands consommateurs des informations qui passent sur la toile et les écrans, et qu’ils consomment relativement peu la presse, la radio et la télévision de leurs parents. On peut donc faire l’hypothèse qu’ils sont plus exposés aux informations parallèles ce qui accroît dans doute leur méfiance envers les médias officiels. Encore faudrait-il distinguer entre plusieurs jeunesses qui n’ont sans doute pas les mêmes rapports aux divers médias.

Quels étaient les processus d'apprentissage avant internet ?

"Avant internet", ce n’est pas très vieux ! L’essentiel de l’information passait par la presse, la radio et la télévision, ce qui n’est toujours une garantie de fiabilité. Mais il y a toujours eu un "marché noir" de l’information, des rumeurs et des légendes dénonçant les "thèses officielles" et laissant courir les rumeurs les plus irrationnelles sur les disparitions mystérieuses de jeunes filles, le rôle des services secrets… Les individus, et pas seulement les jeunes, ont toujours eu une certaine méfiance envers l’information officielle. Mais il y avait moins d’enquêtes d’opinion qu’aujourd’hui pour mesurer le phénomène.

Depuis les rumeurs sur le 11 septembre 2001, il semble que les théories du complot ont un écho inattendu dans le domaine politique entendu au sens le plus large. D’ailleurs, jeune ou moins jeune, on reçoit tous des messages étranges censés révéler la vérité, qu’il s’agisse de la consommation et des complots hourdis par les grandes entreprises et les gouvernements pour empoisonner plus ou moins les aliments, pour créer des catastrophes et des dangers écologiques, pour cacher l’existence d’extra terrestres et pour dire que le monde est dirigé par des forces obscures et malfaisantes. Internet a considérablement renforcé tous ces canaux là et affaibli la confiance dans les médias traditionnels. 

Quels en sont les risques concrètement ?

le risque est évidemment le développement de croyances et de sentiments irrationnels et dangereux désignant des coupables qui sont toujours les mêmes : les Américains, les Juifs, les services secrets, les sectes cachées… Le risque est aussi de donner la même crédibilité au journal sérieux, aux données scientifiques et aux élucubrations d’individus ou de petits groupes qui manipulent les peurs… Ces rumeurs là sont d’autant plus perverses que le fait de les dénoncer comme absurdes conduit souvent à les renforcer auprès de ceux qui y croient : s’il n’y avait pas anguille sous roches, "ils" (les pouvoirs officiels) de se défendraient pas !

La réponse à ce fléau doit-elle vraiment venir de l'Ecole et du corps enseignants ? Quelle action de la part de l'école d'une part, et des familles/de la société d'autre part cette situation requiert-elle ?

Cessons d’accuser l’école et de la croire toute puissante. La seule chose que peut fait l’école est de démonter les rumeurs et les médias qui les portent quand les enseignants y sont confrontés par les interrogations de leurs élèves. Ce qui suppose d’écouter les élèves et ce qu’ils sont disposés à croire, à leur apporter les réponses les plus rationnelles et les plus fondées possibles.  Mais c’est beaucoup de travail pour les enseignants qui doivent sans cesse être vigilants.

C’est la toile elle-même qui est responsable de cette situation et il n’est pas certains qu’une police de la toile et des écrans soit efficace et même souhaitable. Nous vivrons avec ces réseaux d’information et la seule chose que l’on peut faire, c’est de leur opposer une information fiable et accessible dans laquelle les individus pourraient avoir plus de confiance. Or de ce point de  vue, l’information tenue pour fiable n’est pas toujours exemplaire et la confiance dans les médias est assez faible. Nous avons donc des progrès à faire.

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