La reprise du dialogue entre les États-Unis et la Chine prouve que la raison des affaires pourrait l'emporter sur les enjeux de civilisation<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping et Joe Biden lors de leur rencontre en marge d'un sommet aux Etats-Unis
Xi Jinping et Joe Biden lors de leur rencontre en marge d'un sommet aux Etats-Unis
©BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Atlantico Business

Alors que partout dans le monde, les risques de crises mondiales liées à des conflits de civilisation se manifestent, on s'aperçoit que le dialogue pragmatique pour relancer les échanges commerciaux et financiers n'a jamais été rompu. La réalité des affaires l'emporte sur l'hystérie des forces géopolitiques fondées sur les religions ou les cultures.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping cette semaine sur le sol américain, en prélude d'un sommet économique entre les États-Unis et l'Asie, a évidemment constitué un événement planétaire. Les deux hommes ne s'étaient pas parlé seul à seul et physiquement depuis un an; ces deux dirigeants s'investissaient et se menaçaient par communiqués ou conseillers respectifs. Depuis un an, l'équilibre du monde s'était singulièrement aggravé avec la guerre en Ukraine, les menaces de guerre autour de Taïwan, les gesticulations de la Corée du Nord, les coups d'État en Afrique, et l'explosion de violence le 7 octobre en Israël, mettant le Moyen-Orient en risque d'explosion. L’immigration débordante…

Tout cela commenté sur les réseaux sociaux par des invectives de Vladimir Poutine, qui se déclarait en croisade contre les valeurs décadentes de l'Occident, par les discours de Xi Jinping qui promettait à son peuple que la Chine allait devenir le pays le plus puissant du monde, ou par les injonctions des Ayatollahs iraniens, des chefs de guerre aux pratiques terroristes ou des Imams de l'islamisme radical.

Et puis, cette semaine, les dirigeants des deux pays les plus puissants du monde, les plus antagonistes, ont repris le dialogue, concédant qu'ils pouvaient se rapprocher, s'entendre sur des sujets qui les séparaient jusqu'alors, sur le trafic de drogue, la communication des informations militaires et les flux commerciaux. Joe Biden a rappelé que les deux pays avaient des organisations différentes, et que l'Amérique respectait les droits individuels de l'homme. Xi Jinping a écouté mais s'est engagé publiquement à continuer le dialogue. Il y a encore un an, il prédisait un affrontement militaire avec l'OTAN, il y a moins de six mois, il laissait entendre que Vladimir Poutine agissait pour le bien de la planète. Et il y a moins d'un mois, il ne disait pas un mot sur les actes terroristes du Hamas.

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Alors que s'est-il passé ?Sinon, comme nous l'ont expliqué les spécialistes de la géopolitique, nous étions entrés dans une guerre des civilisations. La planète se fracturait en deux blocs, peut-être trois. Eh bien, cette semaine, on pourrait dire que cette guerre des civilisations, d'idéologie, de religion, a reculé sur l'échelle des risques.

Alors pourquoi ? Parce que dans les rapports géopolitiques, ce qui compte vraiment au-delà des cultures, des ethnies, des religions, ce sont les démographies, la géographie et la ressource économique. Alors qu'on avait cru que la mondialisation développée à partir des années 1990 allait gommer les rivalités de pouvoir, cette mondialisation n'a pas été assez puissante.

Les pays dotés de régimes autoritaires n'ont pas tous su profiter des atouts de la mondialisation :

-La Russie, initialement riche en ressources naturelles (gaz et matières premières), est restée une économie de rente. Elle n'a pas su investir et créer de la valeur; sa réaction a été de se doter d'une puissance militaire dont le peuple pouvait être fier et supporter que ses frigos soient vides.

-Les monarchies du Golfe ont creusé les puits de pétrole, mais n'ont pas participé au décollage économique du monde musulman qui s'est fracturé, durci, organisé militairement pour se venger de l'Occident (d'où les attentats du 11 septembre et après un peu partout en Europe).

-La Chine a utilisé sa main-d'œuvre bon marché pour devenir l'usine du monde, mais au bout de quelques décennies, les gouvernants n'ont pas osé faire profiter le peuple d'une consommation individuelle plus généreuse. La Chine n'a pas assez investi dans la recherche et l'innovation; la Chine a importé le minimum de ce dont elle avait besoin. Le COVID-19 a été une catastrophe pour le gouvernement chinois, révélant la faiblesse de son organisation et de son expertise.

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La résultante de toutes ces mutations est très simple: la planète s'est coupée en deux. Entre les peuples (disons les Occidentaux) qui peuvent vivre des gains de la prospérité économique, et surtout qui savent comment créer de la richesse. Le système fondé sur la démocratie libérale apparaît être le seul capable de fabriquer de la richesse. Et puis, dans une autre moitié de la planète, tous ceux qui ne profitent pas de la richesse, et surtout ceux dont le système ne leur permettra pas de créer de la richesse. Jamais les régimes autoritaires n'ont pu générer des peuples capables d'inventer ou innover parce que ces peuples ne sont pas libres.

Ces peuples-là, dont beaucoup sont en guerre ou se préparent à la guerre, vivent d'ailleurs eux-mêmes un paradoxe terrifiant. Ils ne rêvent que des valeurs occidentales, des produits et des services sans avoir les moyens d'en bénéficier. Seules les élites de ces pays, les oligarques ou plus largement tous ceux qui ont une parcelle de pouvoir, profitent des voitures, des résidences de luxe à l'étranger et mettent leurs progénitures dans les écoles occidentales, les lycées parisiens, les écoles à Londres et les MBA aux États-Unis.

Dans les pays arabes, on s'est largement organisé pour investir les excédents du pétrole et les recycler dans les fonds et les banques occidentales.

Depuis que le monde est tombé dans la zone rouge des risques de guerre généralisée, juste après le COVID-19, ne soyons pas naïfs, les affaires ont continué de se développer, moins bien qu'avant, mais elles ont continué parce que la nécessité fait loi.

La Russie a besoin de vendre son gaz et son pétrole, les métaux rares, c'est sa seule richesse, alors elle se débrouille par des voies détournées pour sauver son commerce. Les monarchies du Golfe continuent de vendre leur pétrole, mais surtout se préparent aussi pour affronter le jour où le monde occidental ne roulera plus au pétrole. Parallèlement, faute de pouvoir ou de savoir redistribuer ses richesses et investir chez eux, ils entretiennent des courants violents, terroristes pour se protéger eux-mêmes. L'exemple du Qatar est une caricature; ils ont besoin d'investir en Europe ou aux USA, mais ils abritent les dirigeants du Hamas.

La situation de la Chine est la plus violente et la plus significative. L'économie chinoise est en panne parce qu'elle n'a plus de croissance, moins d'investissements étrangers, moins de clients avec des élites qui commencent à s'enfuir faute de liberté d'innover et d'en profiter. Xi Jinping a mis un an à se convaincre que la Chine ne sera jamais le pays le plus puissant du monde. Sa préoccupation première aujourd'hui est de trouver le moyen de donner au peuple ce dont il a besoin. Il a besoin de manger, de se loger, d'avoir des hôpitaux qui fonctionnent, des écoles qui tournent, des voitures électriques, donc des centrales électriques, des avions (beaucoup), etc.

Pour fabriquer de la croissance et offrir une vie plus qualitative à ses habitants, Xi Jinping a compris qu'il n'avait pas besoin de Taïwan, mais qu'il avait besoin de la coopération économique avec l'Occident. Il a donc besoin de pouvoir exporter comme il le faisait avant; il a besoin des dollars occidentaux, il a aussi besoin de visas pour envoyer ses étudiants chinois dans les universités américaines. Mais qu'on le veuille ou non, les Turcs, et la majorité du peuple musulman, et sans doute les Russes, ont des demandes identiques.

Avec de telles demandes, on est loin de préparer une guerre des civilisations. L'Occident est conscient de l'universalité des valeurs qu'elle porte. Son problème est que dans le passé, les pays occidentaux et l'Amérique ont péché par arrogance.

Les gouvernants dans les pays émergents, sont évidemment conscients de la nécessité d'adopter les logiciels de développement économique, des modèles de production et de consommation, mais la rue, elle ne l'est pas encore. Il y a dans le camp des "émergents", autoritaires ou pas, un clivage sérieux entre les gouvernants et la rue. C'est un clivage où se nourrit l'extrémisme.

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