La productivité du travail a chuté en France depuis le Covid : la faute à quoi… et pour qui la facture ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La productivité apparente du travail est en décrochage en France depuis 2019
La productivité apparente du travail est en décrochage en France depuis 2019
©Lou BENOIST / AFP

Décrochage

La productivité apparente du travail est en décrochage en France depuis 2019. De multiples facteurs expliquent cette évolution, qui risque de peser fortement sur la croissance.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui ont conduit à la baisse de la productivité du travail en France depuis le début de la pandémie de Covid-19 ? Dans quelle mesure le télétravail a-t-il contribué à cette diminution de la productivité, et quels aspects spécifiques du télétravail ont le plus d'impact ?

Philippe Crevel : La baisse de la productivité du travail en France a commencé avant même la pandémie de Covid-19. Elle s'est accentuée depuis, nettement. 

Il y a plusieurs facteurs qui expliquent cette baisse, des facteurs plutôt conjoncturels et des facteurs plus structurels. Il y a des facteurs purement conjoncturels qui sont, par exemple, liés à l'augmentation du nombre d'apprentis et de personnes en alternance en France, qui était faible pendant des années et qui a fortement augmenté depuis le Covid-19. On est passé de 300 000 à environ un million de personnes en apprentissage ou en alternance. Ces personnes, dans cette situation, sont naturellement moins productives que des salariés en activité parce qu'elles sont justement en cours d'apprentissage. Donc, cela fait baisser, mais pour la bonne cause, le taux de productivité. 

Des facteurs conjoncturels qui ont été constatés avec la crise sanitaire par exemple, est le fait que les entreprises ont pu souhaiter conserver leurs salariés malgré une baisse d'activité. Et cela est vrai pendant la crise Covid et également vrai depuis la guerre en Ukraine et le ralentissement de la croissance. 

Malgré les difficultés économiques, les entreprises ont maintenu leurs effectifs quand, auparavant, elles auraient été licenciées. Si vous avez moins de demandes et que vous maintenez vos effectifs, par définition, la productivité baisse. Or, pourquoi les entreprises ont maintenu leurs effectifs ? Tout simplement par crainte de ne pas pouvoir recruter au moment de la reprise. 

Et puis, les entreprises avaient bénéficié d'aides importantes de l'État. Elles ont, en quelque sorte, pu maintenir leurs effectifs. 

D'ailleurs, un autre facteur conjoncturel est lié à ce que j’énumère plus haut : les problèmes d'approvisionnement, au microprocesseur, en différentes matières premières. Et de facto, à un moment donné, on ne peut pas s'approvisionner, on a les effectifs et on produit moins. Cela va évidemment créer une baisse de productivité. 

Les facteurs plus structurels et plus liés à des problématiques d'emploi, sont tout d’abord que les difficultés de recrutement contraignent les entreprises à embaucher des salariés qui sont moins bien formés qu'auparavant. Donc, si vous ne trouvez pas la personne idoine, parce qu'au bout d'un certain temps, vous allez prendre une personne qui est moins bien adaptée, mais qui est moins productive. La baisse du taux de chômage entraîne une baisse de la productivité. 

Autre facteur qui amène à la baisse de la productivité et qui est difficile à mesurer : le développement du télétravail. Certaines études disent qu’il améliore la productivité et d'autres études disent qu’au contraire il dégrade la productivité. Il y a un doute sur l'impact, l'effet de la productivité de ce télétravail. Autre phénomène qu'il y a à prendre en compte, est le rapport au travail. En particulier depuis la crise sanitaire, un certain nombre de salariés refusent des travaux dits pénibles ou refusent des horaires décalés. 

Les employeurs peuvent être amenés à doubler les postes. Si vous avez une équipe dans un restaurant qui faisait le midi et le soir, maintenant une voudra bien faire le midi, mais pas le soir, et vous êtes forcés d'embaucher plus, entraînant une dégradation de votre productivité. Il y a clairement une moindre appétence pour le travail qui a été amplifié par la crise sanitaire. 

Quel est l'impact de cette baisse de productivité sur l'économie française et la croissance à court et long terme ?

Une baisse de la productivité est un très mauvais indicateur et un très mauvais signal pour la croissance. La croissance, signifie tout simplement le travail, le capital et la productivité. 

Et s'il y a moins de productivité, cela veut dire que la croissance potentielle du pays s'effrite et ça limite nos capacités de rebond économique dans les prochains mois et les prochaines années. S'il n'y a pas l'inversion de la tendance, surtout qu'on a une force de travail qui est limitée avec le vieillissement de la population, et si d'autre part la force de travail limitée est moins productive, évidemment cela signifie moins de croissance. 

Cette baisse a quelque chose qui est handicapant pour l'économie et qui contribue d'ailleurs à la dégradation de la note française. Autrement dit, en affirmant qu'il y a un potentiel de croissance dans le pays et en considérant ce que nous pouvons faire avec les ressources disponibles, la situation actuelle est clairement moins favorable. Cela va inquiéter les agences de notation, comme Stendhal-Hansen-Porsche, qui pourraient envisager de dégrader la note de la France.

Comment la diminution de la productivité affecte-t-elle le financement et la viabilité du système de retraites en France ?

Une baisse de la productivité signifie une diminution de la production, ce qui entraîne moins de croissance et moins de recettes publiques. Cela se traduit également par des revenus moindres pour les régimes de retraite, affectant ainsi les indicateurs suivis par le conseil d'organisation de la retraite. La productivité est un élément crucial. Nous étions sur l'hypothèse d'une augmentation de la productivité de 0,8 % à 1,2 % par an, et non d'une baisse de 2 % à 3 % par an. Cette inversion remet évidemment en question les projections pour les retraites dans les prochaines années et complique considérablement le retour à l'équilibre des régimes de retraite.

Selon vous, quelles mesures économiques ou politiques pourraient être mises en place pour améliorer la productivité du travail dans ce nouveau contexte post-Covid ?

L’amélioration de la productivité passe par une augmentation de la valeur du travail et cela suppose des salariés, des actifs mieux formés et qui sont en capacité de produire plus, ou plutôt, de produire plus de valeur. Cela ne veut pas forcément dire de travailler plus, mais de produire plus de valeur, et cela passe évidemment par la formation, à la fois la formation initiale et la formation continue. 

Il y a également un des points à prendre en compte : notre économie. Une économie tertiaire, qui est de plus en plus axée sur les services domestiques, où les services domestiques sont des activités à très faible productivité. Par exemple, pour un restaurant, il est difficile d'augmenter fortement le nombre de couverts ou si vous êtes coiffeur, vous pouvez pas multiplier par 3 ou 4 le nombre de personnes que vous avez coiffées, et voilà la limite des services domestiques.

Les gains de productivité sont extrêmement difficiles à réaliser. Cependant, la France est de plus en plus une économie de services domestiques, comme la livraison, ce qui explique en partie notre faible productivité. Il est nécessaire de réorienter l'économie vers des secteurs à forte valeur ajoutée. Cela passe, en plus de la formation que j'ai déjà mentionnée, par l'innovation et la recherche, afin de retrouver des gains de productivité dans des secteurs plus prometteurs et créateurs de richesse. Ces secteurs incluent l'informatique, technologiques, l'information et la communication, ainsi que la santé, l'énergie et le spatial, qui sont tous très porteurs. Une telle réorientation de l'économie, accompagnée d'un effort de formation, permettra de retrouver des gains de productivité, de la croissance et, par conséquent, des ressources pour financer la protection sociale.

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