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La preuve par 5 que les candidats qui s'auto-décrivent comme raisonnables ne le sont pas autant qu'ils le disent....
©Rémi Mathis / CC BY-SA 3.0

Raison unique

Certains candidats revendiquent un projet présidentiel "réaliste" et "raisonnable", seul à même de pouvoir redresser le pays dans le respect de la "réalité". Et pourtant, les candidats de la raison ne sont pas toujours plus en phase avec la réalité que les candidats qu'ils dénoncent.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Gil  Mihaely

Gil Mihaely

Gil Mihaely est historien et journaliste. Il est actuellement éditeur et directeur de Causeur.

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Atlantico : Alors qu'Emmanuel Macron et François Fillon se veulent incarner un positionnement "raisonnable", seul à même de pourvoir "redresser le pays", en quoi les propositions suivantes peuvent-elles effectivement représenter "le choix de la raison" pour la France ?

Le libre-échange et la mondialisation

Nicolas Goetzmann : Les approches d'Emmanuel Macron et de François Fillon sont plutôt similaires sur ce point. Ils inscrivent leur démarche dans une lutte antiprotectionniste, en réaction aux propositions du Front national et de la France insoumise. En ce sens, ils sont tous deux les candidats du libre-échange tel que nous le connaissons aujourd'hui, tout en proposant une régulation plus stricte des différents abus, afin de pouvoir tout de même afficher une prise en compte des dégâts causés par la mondialisation. Le débat en est affaibli, puisqu'il se résume à un manichéisme entre pro et anti mondialisation qui n'apporte aucune solution. La position de la "raison" est donc celle de la poursuite du libre-échange, mais il s'agit d'une réponse d'une grande faiblesse. Parce que le libre-échange est traité comme une fin en soi, plutôt que comme un moyen de la prospérité. Or, c'est tout l'enjeu. La mondialisation est effectivement une source de croissance, et donc l'enjeu est de pouvoir en profiter, mais en la traitant comme un marchepied, et non comme une fin.

À mon sens, l'approche la plus pertinente consiste à faire émerger une économie dont le premier moteur est la demande intérieure, ce qui permet de donner des bases très solides à des entreprises nationales, qui vont pouvoir se rassurer sur leur avenir grâce à un niveau d'activité satisfaisant sur leurs terres. Un tel coussin de sécurité permet à ces entreprises d'investir lourdement dans leur avenir, ce qui va mécaniquement rendre leur production de plus en plus attractive, et compétitive, et ce, non pas par les coûts mais par sa dimension qualitative. Un marché intérieur fort permet de créer une base de lancement pour des entreprises ayant vocation à exporter. De plus, dans un monde globalisé, il pourrait être raisonnable de pointer du doigt les "profiteurs", c’est-à-dire les pays qui surfent sur la croissance des autres pour exporter, et qui font tout pour briser leur demande intérieure, afin d'importer un minimum. C'est le cas de la Chine, et c'est le cas de l'Allemagne. Si chacun faisait un effort pour rééquilibrer ses comptes commerciaux, les "dégâts" de la mondialisation seraient bien moins lourds, parce que, tout simplement, la demande mondiale serait bien plus élevée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ne rien faire, et ne pas voir cette problématique, n'est en rien "raisonnable" pour la France, parce que la poursuite d'une mondialisation telle qu'elle est alors que le marché intérieur français est encore faible, c'est participer à une compétition alors que nos acteurs sont fragiles sur leurs bases, ce qui est parfaitement déraisonnable. 

La Croissance

Nicolas Goetzmann : Le programme d'Emmanuel Macron fait état d'une projection de croissance de 1.8% pour la fin de l'exercice, du côté de François Fillon, c'est une moyenne de 1.6% de croissance pour l'ensemble du quinquennat. Alors en effet, il est tout à fait possible de qualifier ces projections d'un caractère "raisonnable" puisque le chiffre de 1.8% correspond, pour de nombreux organismes, au potentiel de croissance du pays. Il n'y a donc aucune surprise sur ce point, mais c''est bien ce qui semble être le plus déraisonnable en l'espèce. En effet, la France est en situation de sous-croissance depuis près de 10 ans, c’est-à-dire qu'il existe un très large potentiel de rattrapage de l'économie pour en arriver à la pleine utilisation de ses capacités. L'ensemble des points de croissance perdus peuvent être, au moins en partie, repris, ce qui permettrait d'absorber les stigmates les plus lourds de la crise, dont un taux de chômage proche de 10%. En regardant les programmes et les projections de ces deux candidats, on comprend rapidement que cette stratégie de "reprise" de ce qui a été perdu est simplement laissé de côté. Le seul programme est de faire au mieux au regard de l'existant, et ce, dans le seul objectif de retrouver une croissance correcte en partant du niveau faible auquel nous nous trouvons aujourd'hui. Ce qui revient à faire l'impasse sur la crise de 2008.

Pourtant, lorsque l'on regarde l'évolution du PIB français sur le long terme, on peut bien se rendre compte de la cassure opérée en 2008. Entre 1999 et 2008, la croissance du PIB (en nominal) était de 4.1% par an alors qu'elle a été de 1.4% en moyenne entre 2008 et 2016, soit une chute de 65% du jour au lendemain.

PIB nominal trimestriel en milliards d'euros (Rouge) et tendance du PIB nominal (T1 1999-T1 2008).

L'écart n'est pas entièrement rattrapable, mais il peut l'être en partie. Et la nouvelle croissance peut et doit au moins suivre le rythme d'avant crise. La "raison" voudrait qu'on s'attarde un peu plus sur ce point.

L'Emploi 

Nicolas Goetzmann : Emmanuel Macron indique vouloir revenir à un taux de chômage de 7% tandis que François Fillon se donne pour objectif le plein emploi, qu'il fixe à 5%. Concernant la proposition du candidat d'En Marche, celle-ci est en adéquation avec les projections de croissance formulées, ce qui revient à afficher un certain manque d'ambition. N'oublions pas que le Royaume Uni est parvenu à créer 2 millions d'emplois en 5 ans, tout comme les États Unis en ont créé 15 millions entre la fin 2010 et 2016, ce qui a permis au pays de faire baisser son taux de chômage de 10 à 4.7% sur une période équivalente au mandat présidentiel français. La proposition de François Fillon paraît donc plus ambitieuse. Le seul problème, et cela vaut pour les deux candidats, est que la question d'une politique de la demande n'est tout simplement pas évoquée. Ce qui revient à parler du chômage sans évoquer son principal déterminant. Il ne s'agit pas simplement d'un oubli "déraisonnable" pour les deux candidats, cela décrédibilise totalement leur discours. Si les États Unis et le Royaume Uni sont parvenus aux chiffres précités, c'est justement parce qu'ils avaient enclenché les leviers de la demande par la voie monétaire pour en arriver là. Alors soit Emmanuel Macron et François Fillon comptent sur leur bonne étoile pour que Mario Draghi fasse le travail à la tête de la BCE, soit ils basent leurs projections sur du vide. Mais ils oublient que Mario Draghi devra être remplacé à la fin de l'année 2019, et la personnalité qui arrivera à la tête de la BCE déterminera totalement l'issue du quinquennat. C'est donc une question à laquelle il faut réfléchir dès maintenant. Mais sur ce point de l'emploi, les candidats ne sont en rien "raisonnables", au mieux, ils sont "hors sol".

Une négociation avec l'Allemagne sur la base d'une France plus "crédible", c’est-à-dire lorsque celle-ci aura fait les réformes "structurelles" qui lui permettront de gagner en crédibilité au niveau des instances européennes.

Nicolas Goetzmann : En effet, sur ce point, les candidats se rejoignent. Emmanuel Macron et François Fillon souhaitent parvenir à faire entrer la France dans les critères correspondants aux bons élèves européens, ce qui, selon eux, permettrait de retrouver une place de partenaire fiable et sérieux au niveau européen, et qui devrait aboutir à une plus grande écoute de nos partenaires concernant nos doléances au niveau communautaire. Une sorte de stratégie du bon élève. Ce qui paraît totalement déraisonnable ici, c'est de ne pas se rendre compte de la position française actuelle. La France a été le premier moteur de la construction européenne au cours des premières décennies de sa construction, elle est la 2e économie du continent, elle est le seul pays ayant sa place au conseil de sécurité des nations unies, et qui dispose de l'arme nucléaire. Elle est également le pays qui a le plus grand nombre de moins de 20 ans, avec 17 millions contre 14 millions pour l'Allemagne. Ce qui fait de la France le plus grand pays européen en termes démographiques pour les années à venir. Si un tel pays, pilier central de l'Union a besoin de lever le doigt pour afficher ses ambitions, c'est qu'il y a un problème. D'autant plus que le respect des règles en question ne ferait que contribuer à l'affaiblissement économique du pays. Vouloir "crédibiliser" la France, cela revient à ne pas se rendre compte de sa place en Europe. Ce n'est pas parce que cette place a été laissée vide au niveau européen au cours de ces dernières années qu'il faut en faire une règle absolue pour les années à venir.  

Atlantico : Certains candidats semblent considérer qu'il est déraisonnable de jeter de l'huile sur le feu en matière de sécurité au point de nier tout phénomène d'insécurité culturelle dans notre société. N'est-il pas au contraire déraisonnable d'omettre les problèmes liés à l'intégration, l'Islam politique, l'antisémitisme, le racisme anti-Français, et même un embryon de "grand remplacement" quand on entend Erdogan demander aux Turcs vivant en Europe de faire plus d'enfants ? 

Gil Mihaely : D'abord je pense qu'il est inexact de dire que l'on ne pose plus ces questions. Nous ne sommes plus en 2002-2003. Je pense qu'aujourd'hui, elles sont à l'ordre du jour. Le problème spécifique à cette campagne présidentielle est qu'elle est phagocytée par de nombreuses choses, et qu'on arrive pas à aborder ces questions. Mais sur le fond, il me semble qu'il y a clairement deux groupes de candidats. Tout d'abord, il me semble qu'il y a un certain nombre de candidats qui croient sincèrement – je pense que c'est erroné, mais à la limite c'est pour eux légitime, car il y a toute une vision du monde derrière cette idée – que l'homme est né bon, pour aller vite. Dans cette vision, si l'homme devient mauvais, c'est qu'il a été corrompu par une société qui est mauvaise. S'il se retrouve en prison, ce n'est que partiellement de sa faute. Et, pour aller plus loin, c'est parce que les hommes sont d'abord des acteurs économiques et que leur place dans leur rapport de production détermine toutes les dimensions de leur existence. Il s'agit souvent de candidats de gauche, en l'occurrence Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon mais aussi Emmanuel Macron, qui a une vision assez « économisante » de l'homme et de la société. 

Et puis il y a d'autres candidats qui posent la question autrement, et pour ce qui concerne l'émigration, intégration et l'assimilation en France n'ont pas de problème pour dire qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question d'accès au logement, ou d'une question de partage de la richesse nationale ou d'accessibilité de la formation ou de biens culturels. Il y a pour eux un problème spécifique, pour ne pas dire culturel, anthropologique qui est lié à l'immigration de sociétés musulmanes, et de façon générale avec les sociétés qui ne sont pas encore entrées dans la modernité. Par société moderne, j'entends notamment des sociétés qui valorisent la structure familiale avec comme structure de base la  famille nucléaire, et donc la tribu ou le clan. Il y a un problème quand le statut de la femme est tel qu'elle ne peut pas jouer son juste rôle dans l'épanouissement de la cellule familiale etc. C'est notamment sur ces points que se trouvent tous les problèmes que vous évoquez, comme l'a très bien démontré Hugues Lagrange dans son livre Le Déni de cultures.  

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