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La première étape pour lutter contre la maltraitance et les défaillances dans les maisons de retraite serait de vraiment s’y intéresser
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Mamie blues

Des patients âgés de l’hôpital de Gisors ont été victimes d’actes de maltraitance de la part d’aides-soignantes. Mais peut-on vraiment parler d'un cas isolé quand ce genre d'affaire réapparaît régulièrement ?

Serge Guérin et Bernard Duportet

Serge Guérin et Bernard Duportet

Serge Guérin est sociologue.

Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon, 2011).

Bernard Duportet est docteur en médecine.

Il est président d'Habeo, association de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et/ou des personnes handicapées.

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Atlantico : Comment expliquer qu'à chaque nouveau cas de maltraitance de personnes âgées, la consternation de l'opinion ne laisse jamais place à des mesures concrètes, ou si peu ?

Serge Guérin : Il y a une certaine tendance des médias à parler des choses quand elles ne vont pas. Il existe beaucoup de lieux où les personnels, la direction, les bénévoles, les accompagnants ou les proches font un travail très positif. Il s’agit quand même de situations pas toujours évidentes car les gens qui arrivent dans ces lieux sont très vulnérables et fragilisées. Rappelons également que la majorité des cas de maltraitance se déroulent non pas dans les institutions mais dans le huis-clos des familles, ce qui est toujours plus difficile à repérer car plus disparate. Trop souvent hélas on ne parle de ces questions-là que sous l’angle de la maltraitance.

En ce qui concerne le cas de Gisors, celui-ci montre aussi que très souvent les personnels sont insuffisamment formés et parfois insuffisamment suivis, alors qu’il s’agit de métiers difficiles. S’il n’est pas évident d’accompagner des personnes de plus de 85 ans quel que soit l’âge, cela l’est d’autant plus lorsque l’on a 20 ans. Cela demande à la fois une compétence technique mais aussi surtout une compétence émotionnelle, humaine. Tout le monde n’en dispose pas. Par ailleurs, un suivi et une formation adéquate des accompagnants sont primordiaux. Avant de parler de manque de personnel, il s’agit d’avoir du personnel de bonne qualité humaine, bien accompagné et bien formé, y compris en terme de suivi psychologique.

Bernard Duportet : Il n’y a pas de réponse concrète à un problème qui est médiatisé, dans la mesure où ce n’est pas dans l’urgence que l’on peut prendre des mesures de fond. Il est clair que dans le cas précis du centre hospitalier en question les mesures précises qui s’imposent doivent être prises, afin de régler la situation à l’intérieur de cet établissement. En revanche, au niveau général, ce n’est pas dans la précipitation, à l’issue d’une médiatisation, que l’on va prendre des mesures de fond.

Au moment où cette affaire sort de manière assez dramatique, il y a un travail de fond qui est effectué, puisque se réunit actuellement de manière régulière depuis des mois, le « comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées ». Il y a quelques groupes de travail qui sont en train d’élaborer un nouveau dispositif pour le dépistage, l’analyse, la prise en charge et la prévention de la récidive des situations de maltraitance.

Tout un travail de fond est donc effectué actuellement, mobilisant beaucoup de monde avec des objectifs très précis, et selon des échéances déterminées. Il y a bien des choses qui sont faites et notre ministre déléguée aux personnes âgées, madame Delaunay, en a fait son cheval de bataille. Elle nous soumet à rude épreuve pour travailler dans un délai très court et lui faire des propositions très précises.

Peut-on parler de cas de maltraitance fréquents et répandus dans les maisons de retraite de notre pays ?

Serge Guérin : Non, je crois que ceux-ci restent des cas isolés, même s’ils sont trop nombreux. Il y a d’abord la maltraitance dure comme celle évoquée dans le cas de Gisors. Il y a ensuite une maltraitance par manque de temps ou par indifférence qui est plus présente et dans un certain nombre de cas liée au manque de personnel formé.

Bernard Duportet : La maltraitance a toujours existé. Elle est maintenant beaucoup mieux connue, repérée et prise en charge. C’est en fait une notion extrêmement complexe. Ce qui est important, c’est de savoir qu’il y a deux grandes catégories de maltraitance. Il y a d’abord les maltraitances individuelles. Parmi-celles-ci les maltraitances volontaires, qui peuvent aller de la simple négligence jusqu’à des délits, voire des crimes, qui relèvent pratiquement directement du procureur de la République. Elles sont les plus rares, mais aussi les plus médiatisées.

En revanche, il y a un nombre très important de maltraitances qui sont le plus souvent involontaires, des négligences ou des défauts d’organisation, etc. Elles sont fréquentes et ont un certain nombre de causes : la première des causes c’est la routine, c’est le fait de ne plus regarder avec attention les personnes dont on s’occupe. La seconde c’est l’absence de formation adaptée. Les choses progressent en la matière mais c’est encore insuffisant. La troisième c’est un management de mauvaise qualité, et en particulier la non-prise en compte et le non-traitement des situations qui peuvent être repérées, que ce soit par les personnes elles-mêmes, leur entourage, le personnel ou les gens de l’extérieur. Même s’il y a du travail à faire, l’encadrement des établissements est projectivement de bien meilleure qualité qu’il y a quelques années.

Que peut faire l’État face à cette situation ?

Serge Guérin : Il y a un problème de moyens, mais aussi de philosophie. Veut-on que ces lieux-là restent ouverts sur la société ? Ce serait la meilleure façon d’empêcher ces dérives-là. Permettre ainsi que les résidents comme les personnels soient en interaction avec le reste de la société.

Bernard Duportet : Il est important d’améliorer le dispositif d’alerte, c’est-à-dire de faire en sorte que toute personne victime ou témoin d’une situation de maltraitance sache très exactement qu’elle doit le signaler, à qui, comment le faire. Cela n’est pas simple. Par exemple, des personnes âgées en établissement sont reliées administrativement à une multiplicité de lieux et d’interlocuteurs pour témoigner (conseil général, association régionale de santé, ordres professionnels, procureur de la République, services de police, Défenseur des droits, etc.). Hors jusque-là il n’y a pas de grande coordination entre tous ces services, même si bientôt il devrait y avoir des propositions pour répondre à cela.

Il y a enfin un très gros travail de formation complémentaire de tous les professionnels à effectuer sur cette question. Cette année je pense qu’il va y avoir une avancée significative sur ces questions. […]

La prise de conscience du phénomène par l'opinion publique est-elle suffisante ? En quoi cela traduit-il le regard que la société porte sur les personnes âgées ? Comment faire évoluer les mentalités ?

Serge Guérin : C’est d’abord une question de regard : le gros de la société n’a  pas envie de regarder, détourne la tête car c’est d’elle dont on parle et l’on n’a pas envie de s’imaginer comment l’on pourrait être en étant très âgés - car ces personnes-là sont souvent celles qui parmi les plus âgées sont les plus abîmées. La société a donc tendance à détourner pudiquement le regard et du coup cela n’aide pas à construire un projet global.

Deuxièmement, pour des histoires culturelles et de norme, on est encore dans des visions extrêmement fermées. Du coup, ce sont des lieux souvent un peu cachés, que l’on n’a pas envie de voir et que l’on a du mal à ouvrir sur le monde. On pourrait par exemple faire qu’au moment du déjeuner il puisse y avoir d’autres personnes qui viennent s’attabler, qu’il y ait des échanges comme peuvent le faire certaines associations. Cela permettrait un peu de dédramatiser. On pourrait donc imaginer des moments de liens plus forts avec la société au cours de la journée. On pourrait également imaginer ces lieux comme des plateformes mutualisées, c’est-à-dire que des gens puissent venir juste pour un soin et puis repartir, ce qui provoquerait plus de circulation, de passage et d’ouverture sur la société.

J’ajouterais, puisque le Défenseur des droits s’est saisi du sujet, ce qui est très bien, que dans personne âgée il y a personne, et que dans personne il y a droit, du premier au dernier jour de la vie. Vivre jusqu’à ce jour dans la dignité.

Bernard Duportet : Il est clair que nous avons progressé. Personnellement, je m’occupe de cette problématique depuis près de 20 ans. Au début, lorsque nous en parlions, nous avions besoin de convaincre que ce problème existait. Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de convaincre de cela. Ce dont nous avons besoin, c’est de convaincre que nous pouvons faire quelque chose et de donner les éléments pour qu'on y parvienne. Il y a encore bien du chemin à parcourir pour qu’il y ait prise de conscience et passage à l’acte afin que cessent les maltraitances et qu’elles ne se reproduisent pas. Il faut enfin ne pas stigmatiser l’ensemble des professionnels qui travaillent dans ces établissements, car la grande majorité d’entre eux sont de bonne qualité professionnelle et sont vigilants.

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