La politique monétaire joue un rôle important dans l’innovation d’une zone économique. La BCE tient-elle correctement le sien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le siège de la BCE, à Francfort
Le siège de la BCE, à Francfort
©Photo AFP

Banques centrales

La politique monétaire joue un rôle essentiel sur l’innovation économique, rappellent les chercheurs en économie Yueran Ma et Kaspar Zimmerman. Mais la BCE favorise-t-elle vraiment l’innovation économique dans la zone euro ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : La politique monétaire joue un rôle essentiel sur l’innovation économique, à en croire les chercheurs en économie Yueran Ma et Kaspar Zimmerman. Partant de ce premier postulat, peut-on dire de la BCE qu’elle favorise, ou non, l’innovation économique dans la zone euro ?

Alexandre Delaigue : Les travaux que vous évoquez ont essayé d’étudier l’impact de la politique monétaire sur la politique d’innovation des entreprises. Au final, ils ont permis de tirer plusieurs conclusions, parmi lesquelles le fait que toute période durant laquelle la banque centrale applique une politique monétaire restrictive s’accompagne le plus souvent d’une diminution de l’innovation des entreprises. Cela résulte de deux mécanismes.

Une politique monétaire restrictive implique de facto des taux d’intérêts plus élevés, ce qui va pousser les entreprises à réduire leurs budgets de recherche… puisque l’investissement coûte globalement plus cher. Ensuite, toute période de politique monétaire restrictive, ou d’austérité, entraîne aussi une contraction de la demande. Quand la demande est plus faible, les entreprises sont généralement plus timides ce qui signifie qu’elles cherchent moins à innover. 

L’impact, identifié par les deux chercheurs précédemment mentionnés, du secteur budgétaire sur la politique d’innovation des entreprises est intéressant en cela qu’il nous permet de mieux comprendre les mécanismes à l'œuvre. Nous savions, en effet, que la politique monétaire et budgétaire, qui est là  pour réguler l’activité, avait un impact sur l’activité à court terme. En cas de surchauffe, c’est-à-dire quand nous sommes confrontés à de l’inflation, la politique monétaire vise à limiter la demande et à contraindre l’activité pour lutter contre ce dérèglement. A l’inverse, en cas de récession, on est justement obligés de soutenir et favoriser l’activité.

Les travaux de ces chercheurs permettent d’identifier les effets à plus long terme de politiques restrictives. L’effet n’est pas seulement immédiat : il est aussi susceptible de réduire la croissance future en réduisant l’innovation des entreprises. Le coup des politiques d’austérité excessive apparaît donc plus élevé que nous ne pouvions initialement le penser… Ce qui implique la potentielle nécessité de revoir notre jugement concernant l’arbitrage entre la lutte contre l’inflation et le soutien à l’activité. Sur la base de ces travaux, il apparaît pertinent de choisir le soutien à l’activité plutôt que la lutte contre l’inflation.

En l’état, la banque centrale européenne est entrée dans une phase de lutte contre l’inflation bien plus qu’elle ne cherche à soutenir l’activité de la zone euro. La BCE pourrait d’ailleurs être amenée à revendre certains de ses titres, ce qui va plus dans le sens d’une politique restrictive… Mais il faut aussi garder à l’esprit que cela fait suite à une période très expansionniste.

Quelle politique monétaire la BCE devrait-elle mettre en place pour mieux favoriser l’innovation économique dans la zone euro ?

Cette question, me semble-t-il, en soulève une autre : est-ce bien le rôle de la BCE que de se préoccuper de l’innovation économique dans la zone euro ? Ce n’est pas son mandat, rappelons-le.

Le rôle de la BCE consiste à lutter contre l’inflation. C’est son mandat initial, auquel s’ajoutent d’autres fonctions, parmi lesquelles la garantie de la stabilité financière. De manière un peu implicite, elle est aussi chargée de veiller à la bonne santé de l’activité économique de la zone euro, de sorte à ce que cette dernière puisse continuer de fonctionner sans être confrontée à des crises comparables à celles que nous avons pu connaître par le passé.

Ceci étant dit, il faut aussi souligner que la banque centrale européenne ne dispose pas de tant d’instruments que cela pour mener à bien sa mission. Elle peut jouer sur les taux d’intérêts des crédits qu’elle accorde aux banques et faire des achats de titres sur les marchés, ce qui lui permet de s’improviser en régulateur bancaire de la zone euro. Tout ceci constitue déjà une mission conséquente.

J’ai tendance à penser qu’en chargeant la BCE de la bonne santé de l’innovation économique, cela pourrait faire beaucoup. Il n’est pas rare de voir la BCE récupérer de nouvelles fonctions ou de nouvelles responsabilités parce que les dirigeants politiques savent qu’elle est supposée être indépendante et qu’elle n’est donc pas responsable devant les électeurs, ce qui lui permet de ne pas être confrontée aux mêmes obstacles, eu égard à l’application de certaines politiques. C’est précisément pour cela que d’aucuns plaident pour que la BCE lutte contre le réchauffement climatique en rachetant les titres d’entreprises jugées éco-responsables ou en modifiant la réglementation financière. 

C’est un problème, puisque cela consiste à circonvenir le processus démocratique ; lequel n’est évidemment pas exempt de défaut, mais qui demeure tout de même indispensable. 

Ceci étant dit, il est vrai que la BCE pourrait faire bouger certains de ces curseurs, notamment sur la question de l’austérité et du soutien à l’activité. Il pourrait être pertinent de tenir davantage compte des conséquences à plus long termes dans la façon dont on aborde la politique monétaire. A mon sens, néanmoins, il n’y a pas de raison d’aller au-delà.

Le rôle d’une banque centrale ne se limite pas à la mise en place d’une politique monétaire favorable à l’innovation dans la zone économique concernée. Quelles sont les autres missions essentielles qui lui sont aujourd’hui confiées ?

Les statuts de la banque centrale européenne sont clairs : la BCE a été conçue avec un mandat spécifique en tête : la lutte contre l’inflation. A l’époque, il s’agissait d’ailleurs de son unique mission.

Ce mandat, qui était alors extrêmement restrictif, correspondait aux équilibres politiques de l’époque. En 2010, les choses ont changé après la crise financière : les banques centrales sont devenues les garantes de la stabilité financière. A ce titre, la BCE a donc hérité d’une nouvelle responsabilité : la régulation des banques systémiques de la zone euro. Elle est donc devenue une sorte de superviseur pour les banques, s’assure que ces dernières appliquent la réglementation financière, respectent les critères de prudence, et cetera. Auparavant, cette mission existait déjà, mais elle était décentralisée : chaque banque centrale nationale continuait en effet de réguler ses propres banques.

Ce sont là les deux mandats explicites de la BCE. Il est aussi un autre mandat, plus implicite, qui consiste à assurer la survie de la zone euro. On a pu le voir pendant la période où Mario Draghi la présidait : il est devenu le garant, alors que les politiques européens n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur les questions économiques, de la préservation du projet européen. Cela passe par des actions diverses de lutte contre les crises de dette publique et, surtout, cela implique que la légitimité de la banque centrale européenne repose sur une conjoncture économique décente.

Dans quelle mesure les attentes parfois placées sur les épaules de la BCE peuvent-elles diverger de son rôle initial ? Faut-il s’inquiéter de cette situation ?

Nous avons déjà évoqué le problème politique qu’une telle situation peut engendrer. La raison pour laquelle on confie (ou souhaite confier) de plus en plus de missions à la banque centrale, c’est parce que l’on sait que son indépendance et sa marge de manœuvre lui permettent peu ou prou de faire ce qu’elle veut. Malheureusement, en passer par là pose, on l’a dit, de vraies questions sur le plan politique et démocratique. On parle ici, quand il est question de décisions concernant les questions sociales, climatiques ou même de gouvernance, de choix politiques qu’il appartient aux gouvernants de faire. Ils ne devraient pas revenir à une banque centrale de décider pour un gouvernement.

De plus, sur le plan économique, cela peut s’avérer peu efficient. Prenons l’exemple d’une banque centrale qui ne serait plus neutre parce qu’on a stipulé qu’elle a, dans ses missions, le soutien d’une activité jugée éco-responsable. Concrètement, elle va se retrouver à devoir faire des arbitrages impossibles : doit-elle explicitement aller à l’encontre du secteur automobile, ou pétrolier, qui sont des secteurs importants du point de vue de l’activité économique mais qui ont, de fait, un impact écologique potentiellement néfaste ? Ces questions peuvent très rapidement se transformer en casse-tête et réduire d’autant l’efficacité de son action.

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