La politique de pansement de SOS Racisme et du Parti Socialiste ou le désastre de l’antiracisme <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Liliane Messika publie « Zohra Bitan. Une Grande Gueule made in France » aux Editions Jean-Cyrille Godefroy.
Liliane Messika publie « Zohra Bitan. Une Grande Gueule made in France » aux Editions Jean-Cyrille Godefroy.
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Bonnes feuilles

Liliane Messika publie « Zohra Bitan. Une Grande Gueule made in France » aux Editions Jean-Cyrille Godefroy. Zohra Bitan donne des leçons d’authenticité aux politiques. Sa liberté ne s’arrête pas où commence la susceptibilité des autres. Cette biographie est émouvante, décapante, enthousiasmante, sans tiédeur ni langue de bois, comme l’héroïne elle-même. Extrait 1/2.

Liliane Messika

Liliane Messika

Liliane Messika est essayiste, conférencière, traductrice et romancière.

Voir la bio »

Zohra Bitan a fait la connaissance du racisme à l’âge de huit ans. Elle était en CE2 et portait une blouse bleue. Dans son souvenir, La maîtresse l’a appelée au tableau, a vu que son tablier n’était pas immaculé et a dit : « les bougnoules sont toujours sales. »

Zohra ne connaissait pas le mot « bougnoules », mais elle a bien compris que l’institutrice se moquait d’elle. Cela ne lui a fait ni chaud ni froid. Pourtant, elle n’avait pas encore décidé que le racisme n’existerait jamais à ses yeux, qu’il ne serait jamais un obstacle dans sa vie et qu’elle n’en tiendrait pas compte, même s’il lui présentait ses lettres de créance. À huit ans, elle a juste préempté l’appel que sa raison sonnerait, quelques années plus tard.

En 1983, Zohra était déjà adulte, déjà militante, mais la « Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme » ne l’a pas intéressée. Elle ne se sentait pas concernée. Elle ne s’était jamais vécue comme victime du racisme et surtout, elle refusait de se laisser définir par un regard extérieur. Y compris par cette maîtresse, précise-t-elle, quand on insiste. Elle avait frappé le racisme d’impuissance et le traitait comme tel : à la trappe.

Les racistes, explique-t-elle, peuvent essayer de faire souffrir ceux qu’ils jugent inférieurs, mais s’ils voient que cela n’a pas d’effet, ils finissent par s’arrêter. Et quand ils ne s’arrêtent pas, c’est à leurs victimes de continuer leur route en faisant un détour. On ne veut pas d’un Arabe dans une entreprise ? Eh bien, il va répondre à une autre annonce. Et à une autre, et à une autre. Jusqu’à ce qu’on l’embauche quelque part.

Zohra a toujours été heureuse, optimiste et volontaire. Pour elle, l’arabité n’a rien d’une infériorité. Si d’autres pensent différemment, c’est eux que ça regarde. Comme le petit psychanalyste. Elle, elle affronte le racisme quand elle peut, mais le plus souvent, elle le contourne. Elle se sent égale à tous, égale à elle-même, une part d’humanité. Quand on a cette position dans son miroir interne, on ne laisse aux racistes aucune aspérité où s’accrocher. Mieux : on ne les voit pas, leurs manœuvres sont si basses qu’il faudrait se baisser pour les apercevoir.

On lui rappelle l’histoire des trois psychanalystes. Alors, le crachat ne concerne que celui qui crache ? Zohra n’est pas du tout d’accord. Ce n’est pas sa façon d’envisager l’impuissance du crachat qu’est le racisme. Celui qui reçoit le crachat est concerné. Il n’est pas obligé de rentrer dans le lard du cracheur, mais il peut au moins prendre un autre ascenseur ! Quant au témoin, sa responsabilité est engagée aussi. « Quand on voit faire le mal et qu’on ne réagit pas, on est co-responsable. Sinon, on est comme ces conducteurs de la SNCF qui ont conduit les trains de déportés parce qu’ils “obéissaient aux ordres”. Ils avaient le choix de démissionner ! »

Alors puisqu’elle réagit à l’histoire des psychanalystes, pourquoi pas à ceux qui crachent sur les Arabes et pourquoi pas à travers SOS Racisme et sa marche des Beurs ?

« Parce que c’est une mascarade qui a ruiné le combat contre le racisme, un calcul pour trouver des victimes à défendre et des coupables à accuser. » Houla ! C’est grave ! Elle explique :

Pendant 20 ans, les apparatchiks socialistes se sont nourris de ce combat factice. Le vrai combat, celui qu’il aurait fallu mener, celui qu’il faut mener, jour après jour, c’est à chacun d’en prendre sa part en allant vers l’autre. C’est créer des ponts. « Les Algériens venus travailler en France, les Français de souche et les rapatriés avaient toutes les raisons de se détester et de se pourrir mutuellement la vie. Ou alors, ils pouvaient choisir l’autre option : faire connaissance, partager leurs expériences, fusionner leurs malheurs et se dire qu’être les enfants d’anciens adversaires leur donnait la chance d’être ceux qui vivraient paisiblement les uns à côté des autres et puis, pourquoi pas, plus tard, les uns avec les autres. Leurs enfants se marieraient et leurs petits-enfants ne sauraient même plus que leurs ancêtres s’étaient détestés. »

Zohra comprend qu’on se regarde en chiens de faïence. Elle est idéaliste, mais pas idiote : elle tient compte de la nature humaine. Mais les chiens de chair et de poil, eux, sont plus civilisés que nous : ils reconnaissent l’autre, évaluent les risques de la relation et coordonnent leur attitude en fonction d’elle. On aurait beaucoup à apprendre du meilleur ami de l’homme, notamment comment devenir amis, ou moins ennemis. Apprendre à se connaître, d’abord, s’apprivoiser petit à petit, puis partager.

C’est ce qu’elle a fait, avec ses voisins, avec les blancs, les blonds… Ils ne l’aimaient pas ? Elle allait gagner leur estime, et puis leur amitié. Ils finiraient bien par se rendre compte que la petite Zohra, comme eux, avait deux bras, deux jambes et surtout un cerveau entre les oreilles, une bouche qui parlait leur langue et qu’elle faisait de son mieux pour faire bien. Elle travaillait bien à l’école, elle écrivait bien le français… Finalement, pourquoi ne l’auraient-ils pas aimée comme les blonds ? Eh bien, la majorité a fi ni par l’aimer, effectivement. Quant aux irréductibles crétins qui n’ont rien voulu entendre, ils étaient une minorité et elle les a ignorés.

Finalement, SOS Racisme portait bien son nom : il s’agissait de sauver le racisme et de le développer, comme SOS bébés phoques sauvait les petits phoques. SOS racisme cherchait le racisme partout, le débusquait dans la moindre nuance, dans la plus petite hésitation, sous la moindre plaisanterie, le nourrissait, le faisait croître et enlaidir, pour se créer un stock de victimes à défendre, des victimes qu’il cantonnait à leur origine et qu’il enfermait dans la victimisation. Mais se circonscrire là-dedans, c’est se priver de la possibilité d’un avenir. Les Maghrébins qui sont allés chez SOS ont fait vivre une poignée d’apparatchiks de ce business. Ce n’est qu’en refusant de sombrer dans ce piège, qu’on pouvait devenir soi : médecin, secrétaire, banquier, avocat, ou plombier, mais soi-même.

Mitterrand cherchait des clients pour son business, il a choisi les Arabes et il s’en est trouvé assez qui ont accepté d’être volontaires pour la mascarade, qui ont accepté le discours victimaire. Cela disait, en gros : « vos parents ont été forcés de venir, vous êtes ici des sous-citoyens, on vous doit réparation. Et personne ne vous aime : les blancs, les patrons, les élus… »

« Ce cliché était faux pour moi, pour mes parents et pour de nombreux autres. Mes parents étaient venus volontairement en France, parce qu’ils espéraient que nous y aurions une vie meilleure qu’en Algérie. Quels reproches leur aurions-nous faits s’ils étaient restés dans leur douar et si nous y avions vécu dans la misère, sans espoir de nous élever, dans un pays où femmes n’ont pas les mêmes droits et où le féminisme est interdit par des codes religieux ? »

Ses parents ont fait à Zohra et à ses frères et sœurs un formidable cadeau en émigrant, en pariant sur l’avenir pour leurs enfants et elle leur en sera éternellement reconnaissante. En France, les enfants peuvent obtenir des bourses pour étudier, les familles pauvres ont des tarifs préférentiels pour les colonies de vacances, on donne à tous les moyens de s’améliorer, de s’élever aussi bien intellectuellement que socialement.

En revanche, elle n’a aucune reconnaissance pour le Parti socialiste, un parti qu’elle qualifie, avant tout, de clientéliste. Son analyse est que, au lieu de produire de l’intégration ou de « l’assimilotégration », en Zohra dans le texte, il a produit des communautés à sa merci, un vivier dans lequel ses candidats pouvaient piocher pour se faire élire. « C’est le Parti le plus raciste de France. Sa création, SOS Racisme, est sa pire mauvaise action, avec son enseignement d’un mensonge, selon lequel notre présence à nous, enfants d’immigrés, nous mettait à la merci d’une entreprise de colonisation qui avait seulement traversé la Méditerranée, mais qui continuait comme là-bas. »

C’est au PS qu’elle attribue le lavage de cerveau d’une quatrième génération née en France et qui exècre le pays qui a accueilli ses aïeux. « On pensait que le Parti socialiste était ‘“l’ami qui nous voulait du bien”. Mais il a produit les indigénistes, les racialisés, les communautaristes, les territoires perdus de la République, l’islamisme. » Aujourd’hui, il y a encore plus de racisme et encore plus de discrimination qu’avant son intervention.

+++

En 2002, Zohra avait écrit un texte iconoclaste qui commençait par : « Jospin éliminé – Je suis presque contente du succès du FN, dans l’espoir de voir le PS se retrousser enfin les manches et revisiter son idéologie… »

La suite est pire, ou plutôt mieux, puisqu’elle décline tous les griefs justifiés par cette idéologie qu’elle a encore l’espoir de voir modifiée. Zohra a fait le portrait de la Gauche caviar vue de l’intérieur et liste les erreurs à réparer : « La campagne présidentielle de 2002 marqua pour moi la signature évidente d’un Parti socialiste ultra-méprisant à l’égard des classes populaires et en particulier des personnes issues de l’immigration. Le sentiment d’abandon était tellement fort chez une large part [d’entre eux] qu’il était difficile de leur demander de guérir leurs blessures pour devenir acteurs dans la société et maîtres de leur avenir. Le racisme, les ghettos sales et excentrés, la gangrène de la délinquance, la schizophrénie de l’identité, le mythe du retour au pays, les discriminations en tout genre avaient eu raison de la moindre lueur d’espoir… La force du statut de victime qui avait été organisé depuis fort longtemps avait opéré… Le combat antiraciste, pour ne citer que cet exemple, avait érigé une frontière dans la tête de chacun et dans la société. “Nous sommes victimes, ils sont coupables, c’est à eux d’agir pour se déculpabiliser”. Si la gauche… avait porté l’idéologie de la reconnaissance d’une citoyenneté pleine et entière de ces électeurs, ceux-ci n’auraient pas construit une dépendance à son égard, faite d’aumônes et de jérémiades… Bien que je considère, pour ma part, que le terme d’angélisme n’est pas le bon pour qualifier l’attitude de la gauche à l’égard des quartiers populaires, le peuple de France prit cette formule comme une déclaration de faiblesse pour une cause qui méritait de la fermeté. L’espace pour Nicolas Sarkozy se dessina à ce moment, car il n’hésita pas à sortir du politiquement correct pour qualifier les situations hors des sentiers battus. »

Quel dommage que Sarkozy n’ait pas eu connaissance de ce texte ! S’il l’avait lu, il aurait probablement proposé à son auteur le poste de ministre de la Ville et les territoires perdus de la République y auraient été réintégrés. Mais il est facile d’avoir raison a posteriori, surtout quand la réalité est à l’opposé des supputations ! La politique de la ville est demeurée « un meuble d’apothicaire où se rangent des mesures étiquetées de sigles que seuls les initiés sont capables de décrypter. »

Extrait du livre de Liliane Messika, « Zohra Bitan. Une Grande Gueule made in France », publié aux Editions Jean-Cyrille Godefroy

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !