La police et la justice, les seuls garants de l’ordre républicain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-François Carenco publie « Préfet de la République » aux Editions du Cerf.
Jean-François Carenco publie « Préfet de la République » aux Editions du Cerf.
©Valery HACHE / AFP

Bonnes feuilles

Jean-François Carenco publie « Préfet de la République » aux Editions du Cerf. Racontant sa carrière hors-norme de préfet, c'est la République que dépeint et que défend Jean-François Carenco, en montrant que le service de l'État n'a de sens qu'au regard des valeurs universelles qui le portent. Une tranche d'histoire française qui dessine les voies d'avenir pour la France. Extrait 2/2.

Jean-François Carenco

Jean-François Carenco

De la Guadeloupe à Paris et jusqu'à Nouméa, Jean-François Carenco a connu cinq présidents de la République en exerçant son métier de préfet. Il a aussi dirigé pendant plusieurs années les cabinets de Jean-Louis Borloo. En 2022, il est nommé ministre délégué chargé des Outre-mer.

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On doit revendiquer la force légitime de l’État, seule force acceptable en démocratie. C’est pour moi une évidence.

La police est légitime pour agir, réprimer, interpeller, empêcher et cela dès lors qu’elle agit dans le cadre des lois, sous l’autorité des institutions légitimes, préfet, procureur, et sous le contrôle des juges. Je fais bien sûr l’hypothèse que chacune de ces autorités est normalement républicaine et n’agit que pour l’intérêt général tel qu’elle le ressent.

Pour assurer cet ordre républicain, il convient de se poser la question des libertés individuelles avec deux interrogations : jusqu’où peut aller la liberté individuelle et qui fait respecter les limites, si limites il doit y avoir ?

Faut-il des limites à la liberté ? La réponse est le moins possible ; mais il appartient au législateur de les fixer : nuisance à autrui, nuisance forte et répétée à la cohésion nationale, nuisance aux valeurs qui fondent notre vivre-ensemble. Ce sont les trois limites à la liberté. Et, c’est au gouvernement, au parlement, aux juges, de tracer, dans ce cadre-là, les limites qui s’imposent.

Je suis de ceux qui pensent que pour que la démocratie puisse construire l’avenir il faut accepter des restrictions aux libertés ; il n’y a aucune raison, bien au contraire, que la liberté individuelle prime toujours la capacité du vivre-ensemble.

S’agit-il d’une République autoritaire ? À mon avis, non.

Il s’agit d’une République qui a des règles, (comme elle a des devoirs), et qui les applique fermement. Le désordre, la faiblesse des institutions c’est toujours la victoire des forts sur les humbles, de l’argent sur la vertu. Rappelons-le à ceux qui n’ont à la bouche que le mot galvaudé de liberté. La gauche y a perdu son âme, comme elle l’a fait dans la défense absolue du « moins travailler ». La droite, en faisant des discours plus autoritaristes, oublie que la fraternité est consubstantielle à toute autorité républicaine, de même qu’elle oublie les sujets de l’emploi, de la formation lorsqu’elle dit « travailler plus pour gagner plus ». Encore une fois, sur ces sujets la République doit refuser les choix binaires et porter comme un étendard les contradictions structurelles, évidentes, entre liberté et égalité, parce que la fraternité peut les transcender.

Cela dit, j’assume ma vision d’une police autoritaire et forte, une police nationale et républicaine, à l’œuvre contre les voleurs et les assassins sous l’autorité des procureurs et des juges d’instruction, à l’œuvre contre les casseurs sous l’autorité des préfets. J’assume avoir mis en œuvre la « pratique de la nasse » contre les manifestants et la démocratie ne s’en est pas plus mal portée, je le pense. Bien évidemment, il reste toujours des progrès à faire, mais la France n’est pas une dictature, et les policiers sont contrôlés et sanction[1]nés s’il le faut. Arrêtons les procès permanents de l’action policière qui font le jeu des extrémistes. Les plaintes contre la police doivent relever de la justice ordinaire, mais il faut filtrer celles-ci et punir les attaques judiciaires et médiatiques contre les forces de l’ordre lorsqu’elles n’ont d’autre fondement que la malveillance.

Une justice qui sanctionne et éduque

La justice doit être indépendante, c’est sans conteste ; mais quel sens donner à ce qui est aujourd’hui une évidence ? Pour ma part, je ne suis pas absolument convaincu par la nécessité de l’indépendance du Parquet. Pourquoi quelqu’un qui a réussi un concours de droit dans sa jeunesse serait-il plus légitime à ordonner des poursuites qu’un procureur honnête et libre d’esprit recevant des instructions de la part d’un représentant d’un gouvernement démocratiquement désigné ? La vérité est à la démocratie et non simplement aux juges, y compris pour lancer des poursuites judiciaires. Évidemment, j’hésite à penser de la sorte mais j’aimerais que ceux qui pensent le contraire hésitent aussi. La vérité est là encore dans l’équilibre et le refus de la pensée binaire.

Mais l’essentiel pour la justice est la condamnation comme moyen de rééducation et de réinsertion. Ne limitons pas le débat à des discours larmoyants sur la nécessité pour les familles de faire reconnaître leur statut social de victime, « de faire son deuil » comme il est médiatique de le dire. Le vrai débat est celui de la force éducative de la peine, au-delà de la sanction ou de la mise à l’écart (l’enfermement) pour les individus dangereux. Une peine de prison devrait être, tout à la fois, une mise à l’écart, une punition, et une opportunité de réapprendre sa vie. En ce sens, il nous faut clairement travailler sur les prisons et les centres éducatifs fermés. Voilà pour moi la première des priorités Je me souviens de la prison de Basse-Terre en Guadeloupe où les détenus étaient « logés » à plus de dix par chambres dans des dortoirs, sur des châlits. Je ne crois pas que cela soit d’une efficacité absolue pour le calme, la paix publique à venir et la réinsertion des délinquants. La prison, lieu de la sanction, lieu de la mise à l’écart pour protéger la société, doit, aussi, et surtout, être le lieu de la réinsertion, de l’éducation, voire de la rééducation si ce mot ne sonnait pas comme un soutien aux régimes non démocratiques et illibéraux.

Je plaide pour que la prison soit une école et un centre de formation professionnelle. Je plaide pour que les seules remises de peine accordées le soient au regard de la réussite à des examens professionnels ou scolaires, ou à des preuves d’insertion dans la vie libre à recouvrer. Je plaide pour que les prisons soient vécues comme des internats éducatifs d’excellence et que, bien sûr, les moyens nécessaires pour cela soient attribués au service de centres pénitentiaires dignes et non surpeuplés. La prison doit permettre à un délinquant de retrouver à la sortie une vie sociale meilleure et non pas être simplement une mise à l’écart temporaire où il continue à apprendre la délinquance.

Rêvons alors que le ministre de la Justice ne s’appelle plus le garde des Sceaux, ce qui n’a plus aucun sens aujourd’hui pour la quasi-totalité des citoyens, mais ministre de la Justice et de l’éducation pénitentiaire.

Il me souvient que, jeune directeur de cabinet en préfecture, et donc en charge de ces sujets d’ordre et de désordre, j’avais ordonné aux forces de gendarmerie de ne pas intervenir contre un vieux squatteur, vaguement délinquant, qui dérangeait les habitants du village de montagne dans lequel il s’était installé. Les gendarmes m’avaient consulté parce que les faits qu’on lui reprochait étaient diffus même s’ils semblaient pénibles pour tout le voisinage. Quelques jours plus tard cet individu commettait un meurtre. Il devait être arrêté après une chasse à l’homme difficile. Je m’interroge toujours sur ce qui s’est passé. Erreur d’interprétation liée à l’exercice récent des responsabilités ou erreur d’appréciation imputable à des renseignements insuffisants ? 20 ans plus tard, je devais à nouveau entendre parler de cet individu lors de troubles survenus à la prison centrale de Poissy où il purgeait sa peine…

Il me souvient aussi de la visite d’un président de la République dans une capitale régionale. Les renseignements territoriaux m’avaient mis en garde contre de possibles graves troubles à l’ordre public, liés à des appels à se rassembler et à agir émis par des groupuscules connus pour leur pratique du désordre et du saccage. Ces groupuscules avaient eu l’imprudence d’indiquer le lieu du rassemblement vers lequel avaient convergé, entre autres, quelques cars d’anarchistes italiens bien connus, suivis par des fonctionnaires de police dès leur passage de la frontière. Une fois tout ce beau monde rassemblé, nous les avons encerclés avec les forces de l’ordre et simplement maintenus sur place toute la journée ; tout s’est très bien passé. Par la suite, le Conseil d’État a déclaré cette pratique policière illégale. Je continue de penser que l’ordre républicain était plus menacé par ces casseurs revendiqués que par cette action pacifique des forces de l’ordre.

L’ordre et la sécurité sont des valeurs démocratiques que certains ont payé de leur vie. Je ne peux m’empêcher de penser encore une fois au préfet Claude Érignac dont j’ai été l’adjoint pendant près de trois ans avant qu’il ne rejoigne son dernier poste à Ajaccio. Le désordre et les voyous l’ont assassiné.

Oui, c’est difficile d’être menacé, insulté sur les murs, de voir sa famille menacée dans sa chair, de découvrir une bombe lorsque l’on arrive sur un lieu pour y exercer ses responsabilités, de devoir être protégé jour et nuit. Oui, ceux qui ont été ou sont encore dans cette situation méritent plus d’attention que les fauteurs de troubles et les voyous, dès lors que nous sommes dans un régime démocratique, avec des élections qui permettent au peuple de choisir ceux qui les gouvernent pendant un temps. Non, celui qui est blessé en ramassant une grenade lacrymogène dans une manifestation interdite, n’est pas un héros. Oui, ceux qui disent avec des cris d’indignation « qu’ils ont été gazés » sont des ignorants de l’histoire, de l’usage des mots, et des ignorants des chambres à gaz : ils font honte à la République. Oui, il est des jours où j’ai mal à ma République qui n’ose s’affirmer et se défendre.

Extrait du livre de Jean-François Carenco, « Préfet de la République », publié aux Editions du Cerf

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