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Les politiques de santé publique sont en effet au cœur de la réponse à une pandémie. Il y a eu de nombreux loupés en Europe mais aussi des succès.
Les politiques de santé publique sont en effet au cœur de la réponse à une pandémie. Il y a eu de nombreux loupés en Europe mais aussi des succès.
©Fabrice COFFRINI / AFP

Politiques de santé publique

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le Covid-19 ne représentait plus une "urgence sanitaire mondiale".

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le Covid-19 ne représentait plus une "urgence sanitaire mondiale". Dans quelle mesure un nombre important de pays et notamment la France n’ont pas retenu de leçons de la pandémie ? Comment l’expliquer ?

Guy-André Pelouze : L’OMS raisonne à partir de l’évolution de la pandémie sur toute la planète. Nous avons de solides preuves que depuis Omicron et ses variants, en Europe, la transition vers une épidémie non saisonnière est en cours. Toutefois la morbi-mortalité de l’épidémie a mis du temps a chuter car nous avons peu utilisé le Paxlovid® et que notre politique de vaccination a mal ciblé les personnes fragiles pour les rappels. En effet, la protection vaccinale a été diminuée par le temps et les variants. Dans la résurgence Omicron les malades nécessitant une hospitalisation ou bien des soins critiques étaient soit peu immunisés, soit à haut risque ou bien n'avaient pas été traités par un antiviral.

Les politiques de santé publique sont en effet au cœur de la réponse à une pandémie. Il y a eu de nombreux loupés en Europe mais aussi des succès. Les structures de santé publique ont obtenu des résultats très disparates. Je parle de l’Europe car quand on appartient à un espace de libre circulation des personnes et des biens il faut éviter toute politique non coordonnée pour diminuer la transmission d’un virus, toute politique vaccinale décalée, bref la coordination des politiques de santé publique est un point essentiel. Or pour coordonner il faut communiquer, avoir des données très fiables et comparables et ne pas agir à contre sens, notamment dans la période critique. Cette période où sans vaccin, sans antiviral la pandémie doit être contenue avec des moyens de protection personnelle et de contrôle des lieux à haut risque de transmission massive.

Antoine Flahault : De fait, nous devons bien continuer à vivre, étudier, travailler, nous déplacer, nous retrouver entre amis ou en famille, même si le virus n’est pas éliminé de la planète, même s’il continue à constituer une menace, à faucher des vies, à handicaper durablement des malades. Il faut donc apprendre à trouver des solutions pour tenter de mieux traverser la période actuelle. Il n’y a plus la saturation des hôpitaux ni celle des morgues que nous avons connue mais l’impact de Covid qui circule tout au long de l’année reste une source de préoccupation qu’il ne faut pas minimiser.

Dans quelle mesure est-il toujours primordial de maintenir un niveau d’alerte élevé et de conserver des mesures sanitaires adéquates ? 

Antoine Flahault : On ne peut pas maintenir indéfiniment un niveau d’alerte maximal. Pendant plus de trois ans, l’OMS a maintenu le plus haut niveau d’alerte que permettait le Règlement Sanitaire International au sujet du Covid. C’était nécessaire mais aujourd’hui, le comité d’urgence qui est chargé de conseiller le directeur général de l’OMS a remarqué que la plupart des pays avaient levé les dernières restrictions sanitaires et qu’il était temps d’abaisser ce niveau d’alerte. Cela ne signifie nullement que le virus a disparu, il continue à circuler, à entraîner des formes graves, des décès même et des Covid longs. De nouveaux variants continuent d’émerger mais personne ne peut dire qu’on n’a une situation identique à celle des premiers temps de la pandémie. Nous n’avons plus ni confinements ni quarantaines nulle part dans le monde. Nous avons clairement changé de phase, nous sommes en quelque sorte passés dans une phase post-pandémique.

L’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mise en examen pour "mise en danger de la vie d’autrui", a indiqué qu’elle refusait de se rendre aux nouvelles convocations de la Cour de justice de la République. A quel point avons-nous insuffisamment fait assumer les responsabilités des dysfonctionnements (et des mensonges ) à ceux qui en sont la cause et cherché à trouver des solutions pour l’avenir ?

Guy-André Pelouze : La réponse à une pandémie demande une organisation efficace de la santé publique. Manifestement cette organisation a eu de grandes difficultés à mettre en marche des dispositifs de protection individuelle et de maîtrise de la transmission dans la phase sporadique de la pandémie. Ce n’est pas une question de personne, cela ne sera pas réglé par un procès, encore moins par la recherche d’infractions.  J’observe qu’Agnès Buzyn a été placée sous le statut de témoin assisté. Selon la Cour de cassation elle reste "mise en cause, mais il ne lui est plus directement reproché d'infraction". Les solutions à ce dysfonctionnement majeur de la santé publique en France sont connues et ne relèvent à mon sens ni des juges ni des parlementaires. Il s’agit d’abord d’une question scientifique pour laquelle le ministère de la santé comme son nom l’indique doit faire une analyse et des propositions simples de réorganisation. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est traitée dans de nombreux pays.

Quelles sont les principales leçons que nous aurions dû retenir de la pandémie de Covid-19, mais que nous avons négligées ?

Guy-André Pelouze : Tout d’abord les politiques de santé publique des différents pays ne sont pas équivalentes loin s’en faut. Il faut partir des données réelles. La Figure N°1 met en évidence des différences de mortalité cumulées très importantes. C’est dans l’analyse de ces données que nous trouverons des améliorations qui ont fait leur preuve ailleurs.

Figure N°1: Les politiques de santé publique ont produit des résultats très différents. Le groupe des pays à faible mortalité (moins de 1000 par million d’habitants) doit être étudié de manière intensive et détaillée. Ce fait est souvent, trop souvent, glissé sous le tapis dans les discussions sur la Covid-19. Il ne faut partir ni des doctrines, ni des idées préconçues mais des données.

Ce qui préoccupe les Français c’est de savoir si nous sommes aujourd’hui mieux préparés à une nouvelle pandémie ou bien à tout autre menace sur la santé publique. Du point de vue scientifique, il faut d’abord évaluer les dispositifs non pas par des rapports “maison” mais par des études scientifiques. Nous avons un nombre important de départements universitaires en épidémiologie, infectiologie et virologie. Ils peuvent conduire de telles études, c’est leur mission. En particulier concernant les dispositifs de contact-tracing et d’isolement assisté il faut rechercher les données qui expliquent l’échec initial dans la maîtrise de la transmission. Les ARS, les CPAM ont conduit des actions à distance sans aucune équipe sur le terrain, nous devons connaître précisément l’efficacité de ces actions. Pourquoi la loi qui a créé les brigades sanitaires, autre nom des équipes sanitaires mobiles qui existent dans de nombreux pays, n’a pas été appliquée? Comment ont fait les pays qui ont eu une mortalité initiale faible? Au contraire de ces investigations et pour des raisons parfois opposées, le gouvernement, les parlementaires, les médias et l’opinion publique ont voulu “tourner la page”, expression qui en fait met en évidence une forme de déni. Il faut revenir au sujet de la santé publique et de son organisation.

Antoine Flahault : Il y a en effet quelques leçons que nous aurions pu retenir plus précocement durant cette pandémie et que nous avons trop souvent négligées dans de nombreux pays européens. La veille sanitaire, tout d’abord. Nous avons dépensé des sommes faramineuses à réaliser des tests PCR à tout va, sans grande stratégie ni conséquence pour la plupart des patients, puisque positifs ou négatifs, on n’administrait le plus souvent pas d’antiviraux. Les Britanniques ont été beaucoup plus pertinents avec leurs sondages représentatifs de leur population répétés chaque semaine, ou les Hollandais avec leurs analyses quotidiennes des eaux usées. On aurait dû réserver les tests PCR aux personnes vulnérables, à risque de formes graves, pour les traiter rapidement avec les antiviraux efficaces. L’amélioration de la qualité de l’air intérieur n’a jamais été une priorité de nos pays alors qu’elle est rapidement apparue comme un enjeu majeur pour diminuer les risques de contaminations dans les écoles, les hôpitaux, les EHPAD notamment.

Malgré ces manquements, a-t-on tiré un certain nombre de leçons suite à la pandémie ?

Guy-André Pelouze : Tout d’abord il faut souligner que sans l’Europe et la force de négociation de la Commission nous n’aurions pas eu les volumes, le prix et la qualité des vaccins qui nous ont permis de sortir de cette pandémie avec une mortalité diminuée et une morbidité qui n’a jamais excédé nos capacités de soins critiques. Grace à BioNTech, une entreprise européenne fondée par des scientifiques, l’ARN messager de la protéine Spike a permis d’immuniser des millions d’Européens à un moment critique. En France les difficultés de mise au point d’un vaccin contre la Covid-19 ont été importantes et finalement la filière vaccin sort affaiblie de cette pandémie. Pour sortir de cette situation il faut accélérer les investissements et favoriser la concurrence en particulier dans la transition Universités-Entreprises.

Sur le plan organisationnel j’observe que le ministre de la santé n’a pas annoncé de modification en particulier en confiant des missions aux régions. Ces dernières ont été à l’écart de cette pandémie alors que les relais loco-régionaux au contact des populations sont essentiels à la réussite des politiques de santé publique, de la transmission à la vaccination. Les ARS ne peuvent pas effectuer ces missions et il est temps de faire confiance aux acteurs locaux car la subsidiarité produit des résultats plus adaptés et plus efficients.
Le chantier des adaptations de nos structures de santé publique me paraît vierge, c'est-à-dire sans objectif, sans données ouvertes et sans perspective à court terme. Va-t-il lui aussi subir tout à la fois le “misérabilisme performatif” et le totem de ne rien changer en réalité?

Un pays où en 2020 une minorité (48 %) pensait qu’un vaccin serait mis au point et où 16 % jugeaient probable un retour à la normale après le Covid doit se regarder dans le miroir (Figure N°2) !

Figure N°2: Le sondage Ipsos d’octobre 2020, dans différents pays, renseigne utilement sur notre perception française de la maîtrise de la pandémie.

Antoine Flahault : Oui, cette pandémie a été et continuera à être une source très précieuse de leçons à méditer pour l’avenir. Le manque de précision des prévisions de nos modèles mathématiques doit être l’une des leçons bien retenue pour éviter à l’avenir de prédire les épidémies au-delà de huit ou quinze jours. Dans un tout autre registre, nous avons constaté l’importance cruciale des amortisseurs sociaux dans la gestion sanitaire mais aussi sociale et économique de cette crise. La stratégie du “quoi qu’il en coûte” a été gagnante sur tous les tableaux. Face à une crise aussi grave, c’était la meilleure option politique possible. Il y a une troisième leçon, peut-être plus douloureuse celle-ci pour les Européens et qui doit impérativement être tirée pour l’avenir. Il s’agit de l’aversion au risque de nos industriels européens des vaccins et des médicaments et de la faible volonté des pouvoirs publics des pays européens pour chercher amortir la prise de risque demandée aux industriels. Le résultat a été l’absence en l’Europe continentale des principaux vaccins et médicaments du Covid qui ont été développés et fabriqués aux USA, au Royaume-Uni, en Russie, en Chine et en Inde. Nous n’avons pas été à la hauteur des enjeux ici et il faudrait analyser pourquoi et en tirer les leçons, ce qui n’a pas été encore fait.

Je voudrais aussi souligner l’importance de continuer les efforts de recherche sur le Covid long. On ne comprend pas encore bien ses mécanismes et donc on peine à savoir traiter et prendre en charge efficacement les malades qui en souffrent. Enfin, nous avons remarqué avec une certaine stupéfaction l’influence néfaste sur la gestion de la pandémie de la désinformation, du populisme et des mouvements anti-science. L’utilité d’une information de qualité, de débats sereins, d’un degré élevé de confiance du public envers ses institutions, tout cela est apparu comme un déterminant majeur de la performance de la réponse des pays à la pandémie.

À l’heure actuelle, si l’urgence est terminée, dans quelle mesure la Covid-19 représente-t-elle toujours une menace ?

Antoine Flahault : La surveillance des nouveaux variants doit se poursuivre sans relâche. Il faut donc rester vigilants, au cas où un variant plus virulent que les précédents émergeait. Par ailleurs, on n’a pas toutes les réponses aux questions que l’on se pose encore aujourd’hui. J’évoquais un peu plus haut l’importance des efforts de recherche sur le Covid long, mais on ne sait pas non plus très bien combien de temps durera notre immunité contre les formes sévères de Covid. Le savoir conditionnera le rythme et le périmètre des rappels vaccinaux. Faut-il prévoir un, deux rappels annuels, les réserver aux seules personnes vulnérables, à tous ? Nous devrions avec les mois à venir continuer à engranger de nouvelles connaissances qui nous seront utiles pour répondre à ces interrogations. Mais il est vrai, et c’est heureux, que dans l’ensemble, nous redoutons moins la menace du Covid aujourd’hui qu’au début de la pandémie.

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