La Nuit du 5-7 : Jean-Pierre Montal exhume de la mémoire collective ce drame et restitue de manière saisissante l’atmosphère des années 60 et 70<!-- --> | Atlantico.fr
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La Nuit du 5-7 de Jean-Pierre Montal
La Nuit du 5-7 de Jean-Pierre Montal
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Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970, en Isère, 146 jeunes gens meurent brûlés vifs dans l'incendie du 5-7, un dancing où ils assistaient à un concert de rock. Alice Ruffi revient sur l'ouvrage de Jean-Pierre Montal, "La Nuit du 5-7", publié aux éditions Séguier.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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La solennité propre aux grandes commémorations participe à faire tomber dans l’oubli des événements dramatiques survenus à la même époque et ayant suscité un grand bouleversement.

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970, huit jours avant la mort du général de Gaulle, cent quarante-six personnes âgées de moins de vingt-cinq ans, succombent dans l’incendie du 5-7. Elles assistaient à un concert de musique rock qu’accueillait cette boîte de nuit située dans un village en Isère.

Choisissant ce fait divers parmi les plus tragiques de l’histoire récente comme toile de fond de son nouveau roman, Jean-Pierre Montal exhume de la mémoire collective ce drame, et restitue de manière saisissante l’atmosphère des années 60 et 70, entre montée en puissance des mouvements contestataires et émergence des groupes de musique rock.

Débarquant à Paris en 1963, Michel Mancielli quitte le village natal et un père maçon qui ne supporte plus l’oisiveté et la faiblesse de caractère de son fils. La capitale permet enfin à Michel de s’adonner à sa passion musicale et d’écouter des morceaux des pionniers du rock, The Shadows, The Who, The Rolling Stones, The Moody Blues mais aussi de la soul comme Wilson Pickett ou Sam & Dave. Il fréquente la discothèque du Golf-Drouot, le « temple du rock ». Sa rencontre avec Philippe Lévy se révèlera fondamentale malgré leurs différences. Jeune intellectuel rêvant de révolution pour qui « la violence bourgeoise avançait masquée », Philippe se démarque de son ami par sa détermination et son physique de premier de la classe. Fils d’immigrés italien, Michel semble « toujours à la poursuite d’un but indéfinissable » mais il est animé d’une profonde passion pour la musique qui, en toute circonstance, lui fera préférer un concert à une manifestation. Il intègre les Storm mais à la veille de son premier concert, il en est écarté. Ses quelques années de plus et peut-être également ses origines ne collent pas avec l’image du groupe. Un demi-siècle plus tard, lorsque l’actualité lui remémore le drame du 5-7, il renoue avec le fil de son passé et constate que c’est « sa bonne vielle médiocrité » qui l’a sauvé de justesse de l’incendie.

Avec un subtil mélange d’humour, de lucidité et de gravité, Jean-Pierre Montal dépeint l’envers du décor de l’existence de ces êtres égarés. Les années passant, la réalité prend brutalement le dessus, la naïveté et l’engouement laissant la place à la désillusion.

Mais comment sortir de la jeunesse et accéder à l’âge adulte avec un peu de sagesse ? L’auteur fixe un gros plan sur la frontière qui sépare les générations. Une véritable complicité ne peut s’établir que sur des références communes, un vocabulaire, une allure. Une conviction que Michel désormais septuagénaire, confie au lecteur : « Trahir sa génération, s’agiter pour ne pas faire son âge, que pouvait-on imaginer de pire ? ».

Depuis Les années Foch, son premier roman, en passant par Les leçons du Vertige (aux éditions Pierre-Guillaume de Roux), Jean-Pierre Montal met en scène cette fracture générationnelle que la course effrénée vers le progrès accentue inexorablement. Grâce à des scénarios rythmés avec maestria par des flash-backs, les personnages semblent se faire écho d’un livre à l’autre comme si ces différents récits se renouaient au croisement d’une seule et même histoire. On retrouve cette proximité avec les pratiques cinématographiques dans des phrases qui restent gravées dans le marbre telles les répliques mythiques d’un film : « Michel était un angle mort, une synthèse ratée de son époque et de son milieu », ou bien « La colère était fidèle. Elle ne se dérobait pas dès qu’on lui tendait la main, tout le contraire de la révolution ». La passion de l’auteur pour le cinéma en particulier des années 60, devient manifeste dans une nouvelle titrée 25bis, rue Jenner en hommage à Jean-Pierre Melville, ou encore dans son essai consacré à Maurice Ronet, portrait-récit magistral sur l’acteur inoubliable du Feu follet.

Avec La nuit du 5-7, Jean-Pierre Montal nous invite encore à regarder dans le rétroviseur, à partager avec lui son goût prononcé pour la nostalgie et ce léger vertige qu’elle provoque. Des études psychologiques auraient démontré que les nostalgiques font preuve d’une majeure résilience face à des épreuves tel le confinement. Cultiver le regret du temps passé ou d’une époque, peut donc se révéler une dérive salutaire.

La nuit du 5-7 de Jean-Pierre Montal, éditions Séguier, 2020, 252 p., 20€

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