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La nouvelle fièvre protectionniste, cette vieille rengaine dont seuls les citoyens feront les frais
©MANDEL NGAN / AFP

Bonnes feuilles

Mathieu Laine publie "Il faut sauver le monde libre" aux éditions Plon. Les civilisations ne doivent jamais s'endormir sur leurs acquis. Le monde libre et ses fondamentaux ne sont pas à l'abri. Pour éviter le pire, il est urgent de nous lever et de réveiller nos consciences. Il n'y a pas d'alternative. Il nous faut sauver le monde libre. Extrait 2/2.

Mathieu Laine

Mathieu Laine

Mathieu Laine dirige le cabinet de conseil Altermind.

Essayiste, il a publié entre autres le Dictionnaire du Libéralisme (Larousse, Avril 2012), ainsi que le Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, Janvier 2016).

Il est aussi l'un des actionnaires d'Atlantico.

Transformer la France - Mathieu Laine & Jean-Philippe Feldman

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Patriotisme économique, nationalisme des affaires, préférence nationale: autant d'expressions que l'on voit refleurir dans nos chroniques contemporaines. La tentation du vase clos ambitionnant de protéger ses récoltes, ses commerces, ses ressources, est aussi ancienne que l'économie elle-même. À grands traits, le protectionnisme ambitionne de réduire l'ampleur de la concurrence étrangère en limitant les importations par la hausse des tarifs douaniers, l'établissement de normes contraignantes ou l'imposition de quotas. Parallèlement, les exportations sont encouragées par diverses subventions et incitations fiscales, et les entreprises nationales sont privilégiées dans les appels d'offres de marchés publics tandis que les investisseurs étrangers sont freinés à l'heure de s'engager dans des entreprises nationales.

Tentation historique, résurgence contemporaine

La tendance au protectionnisme a scellé le destin de la France depuis mille ans. On retrouve plus largement ce mode d'intervention étatique dans l'économie tout au long de l'histoire occidentale. Au fil des siècles et des régimes, des poussées de libre-échangisme ont toutefois tenté de contrebalancer les innombrables tarifs douaniers, barèmes, péages et autres prohibitions à l'intérieur comme à l'extérieur. 

Le mercantilisme n'est d'ailleurs pas le seul apanage des économies continentales. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont ainsi mené des politiques offensives de nationalisme économique. Le concept même de nationalisme économique a été théorisé sous sa forme moderne en 1928 par l'économiste américain Leo Pasvolsky, l'un des principaux planificateurs du gouvernement des États-Unis juste après la guerre. Dans les années 1930, les conséquences de la crise économique de 1929 et la montée des nationalismes en Europe expliquent son succès fulgurant3. Brandi chaque fois par ses promoteurs comme facteur de protection, de développement et d'intégration, l'histoire économique démontre qu'il s'est toujours déployé autant au détriment des producteurs que des consommateurs. 

Les poussées libres-échangistes du XXe siècle, notamment sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international, mais aussi des grands accords régionaux comme ceux liant les États de l'Union européenne ou de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), le Mercosur pour l'Amérique du Sud, ou l'ASEAN pour l'Asie du Sud-Est, cèdent le pas en ce début de XXIe siècle. La rhétorique protectionniste revient en force, dans un contexte de fortes mutations économiques. L'année 2018 aura été marquée par une guerre commerciale sans précédent entre les deux plus grandes puissances commerciales mondiales, la Chine et les États-Unis. En Europe, les interminables négociations du Traité transatlantique – TTIP ou TAFTA – font l'objet de débats virulents. Dans nombre de pays émergents, les gouvernements semblent désormais davantage préoccupés de protéger leur marché que d'ouvrir des débouchés à leurs entreprises. En croisant plusieurs mesures destinées à restreindre ou à favoriser le commerce, la Coface a établi un indicateur qui place l'Argentine, la Russie, l'Inde et le Brésil en tête des pays les plus protectionnistes. 

L'opinion publique montre quant à elle une appétence croissante pour les barrières aux échanges commerciaux. L'étude GlobeScan sur l'attitude des citoyens vis‑à-vis du protectionnisme, menée chaque année depuis 2002, montre qu'une majorité de citoyens dans le monde – entre 60 et 70% – se déclare favorable à la mise en place ou au maintien de barrières douanières. Dans le cas de la France, comme l'explique de manière lumineuse l'économiste Emmanuel Combe, «le relatif scepticisme sur le bienfait des importations n'est pas sans lien avec la vision négative que les Français ont de la globalisation, terme général qui va bien au-delà du commerce international: selon un sondage YouGov de 2016, la France se singularise en effet comme étant le pays le plus critique vis‑à-vis de la globalisation, seulement 37% des Français considérant ce phénomène comme une force positive. Ajoutons à cela que, dans le cas français, la critique du libre-échange apparaît assez clivée selon l'appartenance politique, plus que selon la catégorie socioprofessionnelle. Ainsi, selon un sondage Viavoice de 2017, une majorité de sympathisants de gauche, du centre ou de droite se dit favorable au libre-échange, tandis que 78% des sympathisants du Front national pensent que fermer les frontières serait positif pour l'emploi». 

Au-delà des barrières douanières, le protectionnisme prend aujourd'hui la forme plus subtile du patriotisme économique, ce concept ambigu consistant à contraindre les stratégies des entreprises privées, domestiques ou étrangères, dans leurs choix de localisation ou de propriété du capital. «Lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, explique Combe, Donald Trump a exhorté les entreprises américaines à relocaliser leurs usines sur le territoire américain, sous peine de taxation. Donald Trump a par exemple menacé Ford de droits de douane de 35% sur les importations de voitures de la marque en provenance du Mexique, si l'entreprise maintenait son projet d'ouverture d'une usine dans ce pays. Le géant de Détroit a d'ailleurs renoncé à son implantation au Mexique. De même, le candidat des Républicains n'a pas hésité durant la campagne à appeler les consommateurs américains à boycotter les produits d'Apple, accusé de détruire l'emploi aux États-Unis en faisant assembler ses iPhone en Chine.» En Europe, l'appétit des investisseurs chinois n'a pas manqué de susciter de fortes réactions au nom de ce patriotisme économique et de la défense de notre tissu industriel, cible des intérêts étrangers. 

Ce repli protectionniste se nourrit avant tout de confusions quant aux grands bouleversements de l'économie contemporaine. La globalisation financière, à l'origine de la crise de 2008, alimente par effet d'amalgame un certain scepticisme sur les gains de la mondialisation, sans distinction entre la finance internationale et le commerce international. Le développement du digital alimente les craintes sur les pertes d'emplois qui pourraient en résulter, en confondant, de nouveau, les effets spécifiques du progrès technique sur l'emploi et ceux résultant de l'ouverture des économies à l'importation. Quelles que soient les causes, les faits sont là: le protectionnisme est bel et bien de retour. Et ce sont, comme toujours, les citoyens et les consommateurs, qui, in fine, en feront les frais.

Extrait du livre de Mathieu Laine, Il faut sauver le monde libre, publié aux éditions Plon

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