La Nouvelle-Calédonie pourra-t-elle rester française si la République n’est pas capable d’assumer franchement des arguments pour le justifier ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Des habitants de quartiers situés au sud de la capitale dressent des barrages pour bloquer l'accès et canaliser les militants indépendantistes à l'entrée de Tuband, dans le quartier de Motor Pool à Nouméa, le 15 mai 2024.
Des habitants de quartiers situés au sud de la capitale dressent des barrages pour bloquer l'accès et canaliser les militants indépendantistes à l'entrée de Tuband, dans le quartier de Motor Pool à Nouméa, le 15 mai 2024.
©Delphine Mayeur / AFP

Mauvaise conscience

La mauvaise conscience post-coloniale ne fait que renforcer la tentation de la violence chez ceux qui la perçoivent comme une hypocrisie et une faiblesse de la part des autorités françaises.

Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic

Nathalie Mrgudovic est enseignante-chercheur à l'Université d'Aston (Birmingham, Grande-Bretagne). Spécialiste de la présence française dans le Pacifique Sud, elle est l'auteur, notamment, de La France dans le Pacifique Sud. Les enjeux de la Puissance, Préface de Michel Rocard (L'Harmattan, 2008).

Voir la bio »
Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

Voir la bio »

Atlantico : En quoi la logique intellectuelle et idéologique à l’œuvre dans la manière dont la France s’est comportée depuis 40 ans en Nouvelle-Calédonie a-t-elle été nuisible ? En quoi faut-il arrêter d’être ravagé par la mauvaise conscience post-coloniale et par les sentiments de culpabilité pour tenter de résoudre politiquement la crise ?

Jean-Eric Schoettl : Ni la négation des torts historiques de la France en Nouvelle-Calédonie (ils sont réels), ni la culpabilité post-coloniale (qui conduit à céder aux radicaux) ne sont de mise pour surmonter des décennies de rancœur et de mépris entre deux communautés de tailles comparables, « séparées par un même territoire » et souvent au bord de la confrontation physique. Ayant beaucoup travaillé dans une vie antérieure (tant à Matignon qu’au Conseil constitutionnel) sur la Nouvelle-Calédonie, je crois sincèrement que les pouvoirs publics ont fait leurs meilleurs efforts pour cheminer sur cette ligne de crête.

Le pari des accords de Matignon et de Nouméa était de sortir par le haut de l’affrontement intercommunautaire, soit par l’accession à la pleine souveraineté, soit par un avenir partagé dans la République. Et, pour trancher entre ces deux options, d’avoir recours au suffrage universel, parce qu’on n’a rien inventé de mieux en matière d’autodétermination. Ce chemin serait progressif (non moins de trois référendums) et sécurisé par la paix civile, la reconnaissance par chacun des droits de l’autre (ceci est notre terre, mais c’est la vôtre aussi), la résorption des inégalités, l’éducation et le développement économique.

La République, quelle que soit la majorité politique aux affaires, n’a pas ménagé sa peine pour aller aussi loin que possible dans l’accomplissement de ce programme. Et les meilleurs de chaque camp (en particulier Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur) ont contribué courageusement à conjurer, au moins provisoirement, les démons du passé. Tjibaou l’a payé de sa vie.

Nathalie Mrgudovic : Il peut être contradictoire de vouloir conserver la Nouvelle-Calédonie dans la France et d’avoir une mauvaise conscience post coloniale. Cela revient à admettre que l’opinion serait divisée sur la nécessité de conserver la Nouvelle-Calédonie ainsi que tous les autres territoires d'Outre-Mer dans le giron français ou de leur permettre de s'émanciper. Depuis 40 ans, le point de vue franco-français officiel a toujours été d'essayer de préserver et de conserver nos territoires d'Outre-Mer et donc la Nouvelle-Calédonie. Il y a toujours eu la crainte d’un effet boule de neige avec le risque d'entraîner une série de demandes d’autonomie et d’indépendance.

La France n'avait pas la même vision que les Britanniques vis-à-vis des territoires ultramarins. La question de la rentabilité économique de ces territoires n'était pas du tout un enjeu. Ces choix de conserver ces territoires participent de l'approche française de la grandeur de la France. Sous de Gaulle, cela était évident. François Mitterrand, pendant sa campagne, avait laissé entrevoir aux kanak que l'indépendance serait  possible. Mais une fois au pouvoir, il a oublié ses promesses.

Malgré les « événements » violents dans les années 1980, la volonté de conserver la Nouvelle-Calédonie dans le giron français était toujours perceptible. Même si, avec le Accords Matignon-Oudinot de 1988 et celui de Nouméa de 1998, et les référendums d'autodétermination qu'ils garantissaient, les autorités françaises ont ainsi entériné la décision de respecter l’opinion et la volonté de la population calédonienne dans toute sa complexité et dans toute sa diversité.

La Nouvelle-Calédonie a toujours eu deux camps très distincts : les indépendantistes d'un côté, les loyalistes de l'autre. La plupart des kanak sont indépendantistes. La majorité des caldoches sont loyalistes. Une autre partie des Calédoniens, issus principalement de l'immigration océanienne, peuvent apparaître comme des faiseurs de roi. Cette autre frange de l’électorat n’a pas d’opinion arrêtée. Ces électeurs peuvent pencher plutôt pour l'indépendance mais ils seront capables, à une autre occasion, de défendre le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française. Cela a pu être constaté notamment lors des trois référendums d'autodétermination entre 2018 et 2021. Le mouvement des Océaniens y a joué vraiment un rôle de contre-balancier, penchant tantôt pour la cause indépendantiste, tantôt pour celle des loyalistes.   

Majoritairement favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, les caldoches, la population de descendants des Européens, se considèrent totalement Calédoniens.

La France a toujours voulu affirmer son intention de protéger la population calédonienne, et caldoche en particulier. Cela est particulièrement visible en temps de crises. Sur le plan électoral, Emmanuel Macron a remporté la majorité des voix en 2022 en Nouvelle-Calédonie grâce au vote caldoche (seul territoire français d'outre-mer où Emmanuel Macron a reçu une majorité des votes). 

Pourtant, jusqu'en 2019 la neutralité de l'État était assurée, garantie et visible. Les caldoches et les kanak indépendantistes avaient vraiment le sentiment d'être écoutés, entendus, grâce notamment à l’action et au dialogue avec le Premier ministre Edouard Philippe. Après son départ de Matignon, ni Emmanuel Macron, ni les ministres des Outre-Mer successifs et les Premiers ministres suivants n'ont véritablement eu d'intérêt pour la question calédonienne. Cela s'est ressenti énormément. Ils ont oublié leur devoir de neutralité et ont tous soutenu le camp loyaliste qui avait voté pour Emmanuel Macron. 

La nomination de Sonia Backès au secrétariat d'État chargée de la Citoyenneté de 2022 à 2023 a aussi été emblématique. Alors que le problème de la citoyenneté est tellement ambigu et explosif, le fait de nommer une loyaliste et une des plus virulentes contre l’indépendance constitue une entaille flagrante au devoir de neutralité de l'État.

En restant focalisé sur la mauvaise conscience coloniale, il n’y a pas de logique à préserver le statu quo institutionnel. Le rapport de force ne risque-t-il pas de tourner forcément au désavantage de la République poussant à une guerre civile avec d’un côté ceux qui considèrent qu’ils ont la logique historique et idéologique pour eux et de l’autre ceux qui n’ont que la force pour maintenir le système politique actuel ?

Nathalie Mrgudovic : Le gouvernement et le président de la République considèrent que la question coloniale a été réglée. Cela est vrai car, dès 1946, les colonies deviennent des territoires d'Outre-Mer et en 1958 il y a un référendum où les territoires décident de ce qu'ils veulent devenir. Il y a eu un choix. On pourrait dire que le processus de décolonisation a eu lieu à ce moment-là. Pourtant en décembre 1986, la Nouvelle-Calédonie a été réinscrite par l'ONU sur la liste des territoires non autonomes et à décoloniser. Selon les critères de l'ONU, la décolonisation ne passe pas nécessairement par l'indépendance. Elle passe par l'expression (généralement référendaire) des populations concernées sur le statut qu'elles veulent adopter.

En 1988 et en 1998, avec la mise en place des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, il y a eu la mise en place d'un véritable processus de décolonisation, puisqu'à terme étaient prévus des référendums d'autodétermination qui devaient permettre aux populations de décider de leur avenir. Trois ont été organisés entre 2018 et 2021.

Le problème concerne le troisième référendum, de 2021, que les indépendantistes n'ont pas voulu reconnaître car établi à une date qu'ils refusaient et pour lequel ils avaient appelé à l'abstention. 

96 % des votants y ont dit non à l’indépendance et à la pleine souveraineté. Les indépendantistes  estiment dès lors que le résultat de ce troisième référendum leur a été imposé . Et ils continuent de le contester.

Jean-Eric Schoettl : Les démons calédoniens n’ont pas été définitivement exorcisés par les accords de Matignon et de Nouméa. Ils se sont réveillés, particulièrement dans toute une partie de la jeune population kanak. Le développement économique (que le nickel ne peut tirer à lui seul) et les programmes éducatifs n’ont pas réussi à intégrer une jeunesse mélanésienne pauvre, frustrée et oisive. Au sein du mouvement indépendantiste, les partisans de l’action violente n’ont jamais désarmé, comme le montre très tôt l’assassinat de Tjibaou. Le ressentiment contre le « colonisateur blanc » prend facilement un tour raciste, voire pogromiste. Récemment, les radicaux du camp indépendantiste ont poussé celui-ci à trahir l’esprit de l’accord de Nouméa en boycottant le troisième référendum. C’est la règle du jeu du processus de réconciliation qui a été ainsi dénoncée. C’était un retour à la case départ, catalysant une nouvelle flambée de violence. Nous la voyons se déchaîner aujourd’hui.

La situation actuelle, qui voit participer aux mêmes exactions voyous et militants, est insurrectionnelle.   C’est un Ouvéa à grande échelle puisque les forces de l’ordre n’arrivent même pas à sécuriser la métropole de Nouméa et que la population non kanak doit se protéger par ses propres moyens. Deux réponses complémentaires doivent être apportées à cette crise. Elles relèvent de temporalités bien différentes : dans l’immédiat rétablir l’ordre ; puis, celui-ci une fois rétabli, rouvrir des perspectives d’avenir commun dans la République en appelant toutes les communautés à refonder un projet fédérateur.  

Rétablir l’ordre impose d’employer les moyens commandés par l’extrême gravité de la situation, c’est-à-dire en instaurant non pas l’état d’urgence, qui est inadapté à ce qui ressemble à une guerre civile, mais l’état de siège prévu par l’article 36 de la Constitution et les articles L 2121-1 et suivants du code de la défense. Ils prévoient de confier le maintien de l’ordre à l’armée.

Quels sont les arguments qui démontrent que nous ne sommes plus dans une situation coloniale comme ce qu’on a connu avant les années 1960 ?

Jean-Eric Schoettl : La situation coloniale se caractérise par la domination des indigènes par les colons. Or, même si des inégalités socio-économiques persistent, la population autochtone de Nouvelle-Calédonie n’est plus dans un statut d’assujettissement. Les droits sont les mêmes pour tous les citoyens néo-calédoniens, supérieurs même pour les Kanaks puisqu’une partie de la population d’origine européenne est exclue du corps électoral provincial. Au demeurant, c’est le rétablissement de l’égalité des droits électoraux au bénéfice des non kanaks installés depuis au moins dix ans sur le Caillou qui a mis le feu aux poudres.

Le dégel du corps électoral est une exigence démocratique incontournable. Comment admettre que des Français métropolitains ou polynésiens installés en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans, vingt ans, une génération, ne soient pas inscrits sur les listes électorales provinciales ? Il est également légitime que les électeurs locaux ne soient pas des citoyens de passage. La solution du corps électoral glissant (inscription après dix ans de résidence sur le territoire), dégagée par le Conseil constitutionnel à la fin des années 90 est un compromis équitable entre les principes démocratiques et l’aspiration des autochtones à voir reconnaître la spécificité calédonienne. 

Pour ne pas s’embourber dans cette question, il faut, d’une part, affirmer que les dix ans ne sont pas négociables (toute hésitation à ce propos pouvant attiser les troubles), d’autre part, ouvrir de nouveaux champs à la négociation. C’est ce que propose, dans le Figaro du 15 mai, Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des sceaux et ancien rapporteur de la mission d’information permanente sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : « Le périmètre de l’accord de demain, c’est un projet économique, c’est un projet social, c’est un projet culturel. Il ne faut pas s’interdire d’aborder d’autres sujets que des questions institutionnelles. Il ne faut pas s’interdire de parler de répartition de compétences, de gouvernance plus efficace. Si on ouvre l’horizon, on trouvera des forces de bonne volonté ».

Nathalie Mrgudovic : Le droit au référendum et le droit à l'autodétermination ont été rendus possible. Ces recours sont inscrits dans le statut de la Nouvelle-Calédonie. Le fait que la population puisse réclamer un référendum d'autodétermination est un processus démocratique fort. Cela a véritablement participé au processus de décolonisation.Et quel que soit le prochain statut de la Nouvelle-Calédonie, ce droit devra être maintenu.

La République ne s’est-elle pas trompée et n’a-t-elle pas commis des erreurs faute d’avoir su mieux gérer les inégalités entre Kanaks et Caldoches ?

Nathalie Mrgudovic : Une part de la responsabilité revient directement à l'Etat et au gouvernement mais une autre concerne les élus locaux.

Avec les Accords de Matignon-Oudinot en 1988 et l'accord de Nouméa en 1998, des politiques de réajustements, de rééquilibrages politiques, économiques et sociaux ont ont été mises en place. L'Etat s'engageait à investir encore plus d'argent pour permettre aux populations désavantagées, les kanak, de pouvoir rattraper le retard sur le plan socio-économique, de l’éducation, de la formation qu'ils avaient par rapport aux caldoches.

L’objectif était aussi de rattraper le retard en termes de gestion des institutions, de pratiques administratives, institutionnelles, politiques. Entre 1988 jusqu'à 2021, les Calédoniens ont eu la possibilité de pratiquer une autonomie élargie, au niveau territorial et provincial, avant d'envisager la possibilité de passer à l'étape suivante éventuelle : l'indépendance. 

Cela s'est traduit par un partage de compétences, État-territoire, puis par le transfert progressif, selon un échéancier précis, d'un certain nombre de ces compétences à l'exception des pouvoirs régaliens (défense, sécurité, justice, monnaie). Ainsi la Nouvelle-Calédonie est devenue compétente, totalement ou en partie, en matière de justice (lois de pays) et de droit (droit coutumier), de relations extérieures, d'éducation (primaire et secondaire), de l'administration (au niveau des communes notamment), de l'économie et du développement (commerce extérieur, exploitation minière), du droit du travail, de la formation professionnelle ou encore de l'urbanisme.

Avec l'accord de Nouméa, une autre citoyenneté, la citoyenneté calédonienne, a fait son apparition. Seules certaines personnes ont le droit de voter en Nouvelle-Calédonie. Il y a deux listes électorales spéciales, une pour les référendums et l'autre qui est la liste électorale spéciale pour les élections provinciales. C'est celle qui cause problème en ce moment.

Mais il fallait compter sur le fait que la Nouvelle-Calédonie, encore une fois, n'est pas uniforme dans sa volonté d'émancipation. L'Etat a joué le jeu en restant dans une position de neutralité jusqu'au deuxième référendum. Mais, comme je le disais plus haut, les choses ont changé à partir du départ d'Edouard Philippe en tant que premier ministre. 

Jean-Eric Schoettl : La République a fait ce qu’elle a pu pour combler le fossé historique, culturel, économique et social entre les uns et les autres. 

Quels étaient les ennemis qui jouaient contre nous, contre la France, dans le Pacifique sur cette crise ?

Nathalie Mrgudovic : Les Australiens n'ont pas toujours été très heureux de notre présence dans la région. Mais depuis la mise en place des accords de Matignon en 88 et de Nouméa en 98, les Australiens ont tempéré leur vindicte anti-française.

Avec la situation de crise actuelle, les Australiens ont exprimé leur inquiétude quant à la situation mais ils ne se sentent pas directement concernés ou menacés et n'ont pas l'intention d’intervenir dans une affaire considérée comme franco-française. 

Le Vanuatu est un fort soutien de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie défendue par les kanak.

Les autres États de la région sont modérément actifs par rapport à la question de l'indépendance néo calédonienne.

LFI et la gauche radicale sont pour le droit de vote pour les étrangers en métropole, pour une immigration large et pour le métissage, mais contre le droit de vote pour des résidents de longue durée en Nouvelle-Calédonie. Que nous indique cette contradiction sur leur mentalité et sur la pensée occidentale, de manière plus générale ?

Jean-Eric Schoettl : Superbe paradoxe en effet. Imaginons, en transposant à la métropole les revendications des ultras du camp indépendantiste kanak, que les étrangers naturalisés soient, eux et leurs enfants, exclus du corps électoral appelé à élire les députés. Ce scandale serait justement dénoncé. Mais, pour une extrême gauche devenue raciste à force de manichéisme décolonial, le même scandale se justifie en Nouvelle-Calédonie, car c’est le blanc qui en pâtit.  

Nathalie Mrgudovic : Au regard des discours à l'Assemblée nationale des représentants de la gauche et de l'extrême gauche, ils défendent avant tout le droit d'un peuple autochtone et, selon eux, encore colonisés, à obtenir son indépendance. La mauvaise conscience post coloniale est doncà l’œuvre, pour eux.

Les forces de gauche apportent leur soutien aux indépendantistes et sont opposés au projet de loi constitutionnelle du gouvernement qui voudrait élargir le corps électoral à toute personne habitant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans. Cela pourrait avoir une influence négative sur le droit d'un peuple autochtone à vouloir s'émanciper et à obtenir son indépendance. C'est une crainte qui s'était déjà fortement exprimée dans les années 1950-1960.

La Nouvelle-Calédonie pourra-t-elle rester française si la République n'est pas capable d'assumer franchement des arguments pour le justifier ? Comment lutter efficacement contre cette mauvaise conscience post coloniale et quels seraient les arguments que nous devrions mettre en avant ?

Nathalie Mrgudovic : La France doit protéger, soutenir et assurer les principes de démocratie et  d'égalité entre tous les citoyens français. A partir du moment où une partie de la population d'un territoire français clame haut et fort sa volonté de resterdans le cadre de la République, les autorités se doivent de garantir leur droit et leur sécurité, et leur volonté de rester française,dans le territoire dans lequel ils ont fait souche. On pourrait dire que la France se doit d'être "loyale aux loyalistes". La grandeur de la France compte toujours énormément et sa présence 'tous azimuts' en participe.

La France a d’ailleurs développé une stratégie indopacifique depuis quelques années dans la région, lui permettant de se démarquer de l’approche des États-Unis face à la progression commerciale et militaire de la Chine.

La France, elle, a voulu développer une stratégie indopacifique beaucoup plus axée sur les aspects environnementaux et commerciaux.

Grâce à ses territoires d'Outre-Mer dans le Pacifique Sud, en Calédonie, en Polynésie, à Wallis et Futuna, et, dans l'océan Indien, à La Réunion et à Mayotte, la France légitimise sa stratégie en se considérant comme une puissance régionale.

La France a ainsi renforcé ses relations diplomatiques particulières avec l'Inde, avec Singapour et l'Indonésie par exemple.

Cela apporte à la France une légitimation de la présence française dans ces régions-là. 

Mais cette légitimité ne vaudra que si la France apparait comme respectueuse de l'intérêt et de la volonté de tous ses citoyens d'outre-mer, et donc y compris ceux qui réclament un droit d'autodétermination en faveur de leur pleine souveraineté, que celle-ci soit envisagée, ou non, avec un degré de rattachement à la France.

Quelle est la responsabilité du gouvernement dans cette crise ?

Jean-Eric Schoettl : Les torts du gouvernement sont certains dans la période récente : après Edouard Philippe, les Premiers ministres successifs, accaparés par d’autres préoccupations, n’ont pas consacré à la Nouvelle-Calédonie le temps et l’attention nécessaires. Ils ont délaissé ce rôle de tiers impartial que tenait le chef du gouvernement depuis Michel Rocard à l’égard des parties en présence sur le Caillou. L’exécutif national a pu aussi paraître manquer de neutralité, voire guidé par des considérations électoralistes locales. Mais surtout, à la tête de l’Etat, on a trop voulu précipiter les choses. On a commis la grave erreur de ne pas différer le troisième référendum, lorsque la partie indépendantiste a demandé ce report pour enterrer selon la coutume ancestrale ses morts du Covid. Grave erreur psychologique, ressentie comme un geste de mépris par la communauté kanak.

Mais il ne faut pas trop charger nos dirigeants. L’esprit des accords de 1989 (Matignon) et de 1998 (Nouméa) avait déjà été altéré. D’abord parce que, malgré les investissements réalisés (incontestables), malgré les progrès accomplis dans la résorption des inégalités (insuffisants, mais réels), le grand projet de développement intégrateur et émancipateur qui était celui du trio Rocard – Tjibaou – Lafleur ne s’est pas réalisé à l’échelle ambitionnée.  L’esprit des accords de Matignon – Nouméa s’est également perdu du fait que les indépendantistes ont vu disparaître la perspective de l’indépendance après les deux premiers référendums. Or ils n’ont rien trouvé à lui substituer. La décolonisation pacifique sans rupture avec la France aurait pu servir de substitut à l’indépendance, mais c’était trop complexe et pas assez mobilisateur pour la partie la plus agitée de leur base.

Il ne faut pas se méprendre: en Nouvelle-Calédonie comme en métropole, la responsabilité des pillages incombe principalement aux pilleurs ; celle des incendies aux incendiaires. Comment ne pas constater que, même si certains de ses dirigeants déplorent aujourd’hui les exactions commises, toute une partie du camp indépendantiste a jeté de l’huile sur le feu ? Qu’elle a choisi la politique du pire, notamment en créant ce groupuscule à vocation insurrectionnelle, significativement appelé « Cellule de coordination des actions de terrain » (CCAT), que le ministre de l’intérieur a qualifié d’organisation mafieuse ? Comment aussi ne pas relever la dimension ouvertement raciste de la rébellion ? Le leitmotiv des jeunes émeutiers (comme en témoignent les injures constamment vociférées) est de rayer toute présence non kanak de « Kanaky ». Sont visés non seulement les Blancs, mais encore les Chinois, les Vietnamiens, les Wallisiens, les Futuniens, les Tahitiens, les Javanais, et tout le nuancier d’origines et de métissages qui caractérise la population calédonienne.  C’est un projet d’épuration ethnique qui dit ouvertement son nom. Tjibaou a été une seconde fois assassiné.

Il ne doit pas être question de cautionner cette haine raciale en renonçant au dégel du corps électoral. Le retour à l’ordre et au respect des principes démocratiques doivent être le préalable à la recherche (évidemment nécessaire) d’un nouveau projet fédérateur. Notre propension à la repentance post coloniale ne doit pas tout laisser passer aux fauteurs de troubles. On peut différer la convocation du Congrès de Versailles sur le nouveau statut (celui-ci est indispensable, puisque l’antérieur est caduc), mais il devra se tenir. Et il ne faut à aucun prix laisser penser que la République pourrait céder à la violence en gelant à nouveau, mais cette fois de façon pérenne, le collège électoral provincial. Les dix ans glissants sont non négociables.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !