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La montagne Luxleaks accouche d’une souris moscovicienne.
La montagne Luxleaks accouche d’une souris moscovicienne.
©Reuters

Oh surprise !

Moscovici n’a pas tardé à exporter à Bruxelles sa capacité à enfumer et à ne jamais régler les problèmes. Il en donne un premier brillant exemple avec le Luxleaks.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Cet article a également été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe, Jusqu'ici, tout va bien

Pendant que le Luxleaks continue…

Lorsque les ministres des Finances se sont réunis lundi dernier à Bruxelles au sein de l’Eurogroupe (un machin Théodule assez stratégique mais totalement inconnu du grand public), ils pensaient que le Luxleaks (provoqué par un Français, paraît-il) se tassait gentiment. C’était sans compter sur de nouvelles révélations quelques heures avant la prestation de serment de Jean-Claude Juncker à la Cour de Justice de l’Union installée à Luxembourg!

On y apprenait que Juncker alors Premier Ministre du Grand-Duché avait mis en place un « Luxleaks 2 », qui aurait profité à Disney, Skype, Koch Industries, etc. Décidément, quelqu’un en veut à ce Jean-Claude et semble bien décidé à balancer la purée chaque fois qu’il le faut pour l’affaiblir. De mémoire européenne, on n’avait jamais vu un Luxembourgeois susciter une telle haine, ce qui prouve une fois de plus que la taille ne change rien à l’affaire.

Cette fois-ci, Jean-Claude a décidé de sortir de son mutisme habituel pour prononcer quelques phrases tonitruantes, dignes d’un manuel de communication d’HEC, à la page « Ne dites surtout jamais… »

« Jean-Claude Juncker a reconnu dans un entretien au quotidien français Libération qu’il était « affaibli », car le scandale Luxleaks « laisse croire que j’aurais participé à des manoeuvres ne répondant pas aux règles élémentaires de l’éthique et de la morale ». (…)

« Je veux croire que ma crédibilité n’est pas entamée », a dit M. Juncker dans un entretien au journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

Il doit avoir les mêmes conseillers en communication que François Hollande.

… Moscovici s’arrange pour que rien ne change

A l’issue des premières révélations sur le Luxleaks, Jean-Claude Juncker avait promis de proposer rapidement un dispositif empêchant l’optimisation fiscale par le système de rescrit mis en place au Luxembourg, mais aussi aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne (notamment pour les revenus tirés des brevets). L’affaire avait été confiée à Pierre Moscovici lui-même, qui venait de démontrer durant deux ans à Bercy sa capacité à ne pas tenir ses promesses. On ne pouvait rêver mieux!

L’Eurogroupe du 8 décembre a permis de mesurer le zèle que Moscovici déployait pour satisfaire la commande qui lui était faite. Les conclusions de la réunion sont claires:

    The Council approved an amendment to an EU directive with the aim of preventing tax avoidance and aggressive tax planning by corporate groups. To this end, it agreed that it would introduce a binding anti-abuse clause as a « de minimis » rule in the EU’s parent-subsidiary directive (16435/14).

    (Le Conseil a approuvé un amendement à une directive de l’Union dont le but est de prévenir la fraude fiscale et l’optimisation fiscale agressive de la part des entreprises. A cette fin, il a donné son accord à l’introduction d’une clause contraignante « anti-abus » comme règle minimale dans la directive « mère-filiale » de l’Union).

Une clause anti-abus dans une directive existante pour éviter l’optimisation fiscale « agressive »: superbe dispositif de lutte anti-Luxleaks, aussi trompe-l’oeil que les 8 milliards de Juncker qui servent à faire 315 milliards d’investissement. Comment faire des promesses sans rien bouger, ou l’Europe de Juncker avec Moscovici comme saint intercesseur.

Une chose est sûre, les bénéficiaires des rescrits luxembourgeois peuvent se frotter les mains! le système n’est pas prêt de changer. Sachant que la question des « patent boxes », qui permet de défiscaliser les revenus tirés des brevets, n’est même pas abordée.

L’Eurogroupe explose la Grèce en plein vol

Si l’Eurogrope a permis d’acter une réforme minimaliste des pratiques fiscales, il a aussi donné l’occasion de plonger la Grèce dans un nouveau tunnel financier. Alors que, après de nombreux plans de rigueur imposés par la troïka, la Grèce est revenue à un excédent primaire de 3% et à une croissance officielle de 2,9%, les représentants de l’Union en Grèce considèrent que ces efforts ne suffisent pas et qu’il faut trouver trois milliards de recettes supplémentaires pour que l’Union verse sa dernière tranche d’aide de 1,8 milliards. L’Eurogroupe a donc donné deux mois de plus à la Grèce pour décider de nouvelles réformes…

Cette stratégie de la rigueur a mis le gouvernement grec dans un corner: le processus électoral grec expose en effet le pays à des élections législatives au printemps. L’intégrisme de la troïka fait le jeu du parti d’extrême gauche Syriza, qui est donné gagnant et qui promet de rompre avec la politique de rigueur. Pour éviter cette incertitude politique, il se murmure que l’Union a fortement incité le Premier Ministre grec à jouer son va-tout en annonçant une accélération du processus électoral.

Il n’en fallait pas plus pour inquiéter les marchés et provoquer un désastre boursier mémorable. Dès mardi, la bourse d’Athènes perdait, en une journée, 12,78%. Dans la foulée de ce désastre, les marchés européens mangeaient le sable et le CAC 40 entamait une série de 4 jours de baisse ininterrompue.

Moscovici donne une nouvelle démonstration de ses talents

Immédiatement, Moscovici, qui est l’un des principaux responsables de ce trou d’air, a fendu la foule des badauds pour se porter au secours de la victime. Voici un florilège des déclarations dont il a le secret:

    « Les marchés devraient peut-être se montrer un peu plus confiants » vis-à-vis de la Grèce, a déclaré Pierre Moscovici, le commissaire européen en charge des Affaires économiques lors d’une conférence de presse à Bruxelles.

    « Les autorités grecques ont pris leurs responsabilités, je ne peux pas faire de commentaires, c’est une décision démocratique. Il semble que les marchés sont toujours sensibles à l’incertitude politique », a-t-il ajouté.

    M. Moscovici a estimé que le Premier ministre grec Antonis Samaras avait agi ainsi « car il est confiant dans sa capacité à gagner les élections ». « J’ai eu plusieurs occasions de parler avec lui, je crois qu’il sait ce qu’il fait », a-t-il insisté.

Le « Je crois qu’il sait ce qu’il fait » fera date…

L’Union tente d’imposer son candidat à la tête du pays

C’est évidemment un pari risqué qu’Antonis Samaras a lancé en précipitant les affaires. Le risque de voir la Grèce basculer dans une majorité hostile à l’Union et à sa politique d’austérité est grand et constitue un véritable péril pour la zone euro. Un de plus!

Du coup, c’est le branle-bas de combat à Bruxelles. La machine technocratique s’est mise en marche pour soutenir l’ancien commissaire Stavros Dimas, 73 ans, dans sa candidature à la présidence de la République hellénique. Si, au bout de trois tours de scrutin parlementaire, il n’a pas recueilli au moins 3/5 des voix (c’est-à-dire 180), le Premier Ministre doit convoquer des élections législatives anticipées, et là, les ennuis commencent.

Problème: le budget grec vient d’être adopté par 155 députés. Il n’en manque donc plus que 25 à trouver pour éviter l’entrée de la Grèce dans la zone de turbulence.

Voilà un petit inconvénient qui explique des traits d’inquiétude sur le visage de Jean-Claude. Il n’a donc pas hésité à dire tout le bien qu’il pensait de Stavros Dimas:

    « Je suppose que les Grecs, qui n’ont pas une vie facile, tout particulièrement les plus pauvres d’entre eux, savent très bien ce qu’une mauvaise élection signifierait pour la Grèce et pour la zone euro », a déclaré Jean-Claude Juncker dans un entretien accordé à la radio autrichienne ÖRF. « Je n’exprimerai pas mon opinion personnelle. Simplement, je n’aimerais pas que des forces extrémistes prennent la main », a-t-il poursuivi, tranchant avec la réserve habituelle des responsables européens.

Pour sûr, ce genre de soutien, avec des mots si habiles, il vaut mieux le garder pour un scrutin parlementaire, parce qu’il n’est vraiment pas sûr qu’au suffrage universel, il fasse le beurre de M. Dimas.

Maman Angela veut punir la France

Autre sujet abordé lors de la réunion de l’Eurogroupe: les pays dont les finances publiques ne sont pas tenues. La France est évidemment au premier rang des préoccupations avec un paragraphe indiquant:

    « des mesures additionnelles seront nécessaires pour permettre l’amélioration de l’effort structurel, afin de combler le fossé avec les engagements » de réduction du déficit public, « pris dans le cadre du pacte de stabilité. »

Comme personne en France (en tout cas dans le triangle de plomb Elysée-Matignon-Bercy) ne semble comprendre que les Allemands n’aiment pas pisser leur bière dans un violon quand ils parlent, Maman Angela a fait la traduction simultanée du texte avec ses mots à elle dans une interview au quotidien teuton Die Welt:

    La Commission européenne « a établi un calendrier selon lequel la France et l’Italie devront présenter des mesures supplémentaires. C’est justifié car les deux pays se trouvent effectivement dans un processus de réformes », a déclaré Angela Merkel au quotidien conservateur Die Welt. « Mais la Commission a aussi dit de façon claire que ce qui est jusqu’à présent sur la table n’est pas encore suffisant. Ce avec quoi je suis d’accord », a ajouté la chancelière conservatrice.

Encore quelques mois, et Angela envahit la France!

Des projets pour 1.300 milliards…

Il est bien dommage que l’Europe soit ainsi vissée sur sa chaise par Maman Angela, car le continent ne manque pas d’idée. Avec sa farce de 315 milliards d’investissement (pour lesquels il n’a pas un fifrelin), Jean-Claude Juncker a suscité des appétits colossaux chez les morts-de-faim. Les pays de l’Union ont déjà apporté des dossiers de projets pour un montant de 1.300 milliards. Attention à l’effet Boomerang!

La France a notamment demandé le financement de la ligne Roissy Express par l’Union. C’est vrai qu’il vaut beaucoup mieux investir dans le barrage de Sivens, dans l’aéroport d’Angoulême ou dans le rond-point de Trifouillis-les-Oies, et laisser à l’Union le soin d’investir dans une vraie desserte de l’un des principaux aéroports du monde. Après tout, il n’y a que 800.000 passagers par jour qui sont empoisonnés sur la ligne B du RER par des valises de touristes californiens en chemises à fleur.

… mais la BCE peine à trouver des banques offensives

Pendant que les pays de l’Union cherchent 1.300 milliards pour financer des projets d’utilité publique, la BCE rame pour trouver des banques preneuses de prêts à hauteur de… 150 milliards! Comme c’est bizarre. Il y aurait donc quelque chose de pourri dans le continent européen?

Jeudi avait en effet lieu le second placement de LTRO par la BCE, c’est-à-dire la mise à disposition des banques de liquidités pour financer des opérations privées. Les analystes avaient fait leurs petits calculs:

    Les estimations consultées par L’Agefi vont de 120 à 220 milliards d’euros.«Un montant élevé [d’emprunts à la TLTRO] indiquera que l’environnement de crédit commence à montrer des signes de vitalité dans la zone euro», estime la recherche de JPMorgan AM. Des emprunts équivalents au consensus (150 à 175 milliards d’euros) devraient «laisser attendre une inclusion de la dette souveraine dans le programme d’achat d’actifs de la BCE dès le premier trimestre de 2015», selon UniCredit.

Le problème est que la BCE a juste trouvé preneurs pour 130 milliards d’euros. Traduction, les analystes sont trop optimistes, puisqu’ils projetaient un minimum de 150 milliards. Et l’Europe va beaucoup moins bien qu’on ne croit. Il n’en fallait d’ailleurs pas plus pour que le gouverneur de la banque centrale autrichienne parle d’un « ralentissement massif dans la zone euro« .

Draghi tente de reformer le mur avant le coup franc

L’échec de ce deuxième placement de LTRO rend à peu près inévitable l’opération de rachat de dettes souveraines, planifiées pour la fin janvier, mais d’ores et déjà combattue par l’Allemagne et ses satellites. Cette semaine a donné l’occasion d’une intéressante tentative de resserrement des lignes face aux Prussiens.

Ainsi, le Français Coeuré, accusé la semaine dernière par la presse allemande d’avoir « lâché » Draghi, a corrigé les informations qui avaient été distillées.

    « La discussion de jeudi a porté sur comment et quand réagir aux risques baissiers pour l’inflation », a-t-il expliqué dans un communiqué en réponse à une question de Reuters.

    « Il a été convenu à l’unanimité que cela serait analysé au début de l’année prochaine et que nous pourrions alors modifier l’ampleur, le rythme et la composition de nos rachats d’actifs.

    « Il n’y a pas eu de vote sur la politique monétaire. Le seul désaccord a porté sur la manière de communiquer sur l’évolution future de notre bilan entre maintenant et le début 2015. »

Une politique convenue à l’unanimité? Ce n’est pas exactement ce que dit M. Makuch, gouverneur de la banque de Slovaquie:

    « En ce qui concerne le vote du Conseil des gouverneurs, je vais répéter ce qui a été dit, à savoir que l’écrasante majorité des gouverneurs a soutenu le QE », a dit à des journalistes le gouverneur de la Banque de Slovaquie.

La majorité est tellement écrasante (voire unanime?) que le gouverneur d’une banque centrale balte vient de parler des dangers d’une politique de rachat des dettes souveraines.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’à la BCE tout le monde regarde le bout de ses chaussures dès qu’on parle du rapport de force interne sur le rachat des dettes souveraines. Ce désordre dans la ligne de commandement explique sans doute pour quoi les salariés de la BCE sont si stressés qu’une enquête est en cours sur le sujet. Draghi devrait faire venir des experts grecs, ils en connaissent un rayon sur le sujet.

Juncker pète un câble devant Cameron

Les salariés de la BCE ne sont pas les seuls stressés dans l’Eurosphère… Juncker lui-même semble approcher du burn out. A l’occasion d’une rencontre avec David Cameron, il n’a pas hésité à déclarer:

    Dans un article publié samedi par le quotidien The Guardian , le président de la Commission européenne appelle David Cameron à cesser de stigmatiser les travailleurs immigrés, dénonçant une pratique consistant à « taper sur les autres » par calcul politique. « Il faut cesser, en particulier au Royaume-Uni (…), cette pratique qui consiste à faire de la discrimination envers les autres pays juste parce que ça fait bien, chez soi, de taper sur les autres », déclare Jean-Claude Juncker. « L’autoflagellation a du bon parfois », a-t-il dit.

    « Je suis férocement opposé à tout attitude qui reviendrait à dire que les Polonais, Roumains, Bulgares sur le marché du travail européen ont une mentalité criminelle. Ce sont des gens qui travaillent et qui gagnent leur vie », a-t-il martelé.

C’est vrai que les stratégies non-coopératives en Europe, ce n’est pas le genre de Juncker.

L’Union a effectivement abandonné la réforme bancaire

Je l’annonçais la semaine dernière, Jonathan Hill, commissaire aux services financiers et lobbyiste bancaire en chef de l’Union, a entamé son travail de pourrissement du dossier « réforme bancaire » annoncé en son temps par Michel Barnier. Rien n’est définitif, mais les versions préparatoires du programme de travail de la Commission qui doit être publié mardi ont en tout cas évacué le sujet.

TAFTA: le secret de couloirs

On notera pour finir la semaine que les négociations s’intensifient sur le mécanisme d’arbitrage des différends prévu par le traité transatlantique. Si les parlementaires européens se trouvent dans une situation de pénurie d’informations sur le sujet, ils en savent suffisamment pour forcer, semble-t-il, les Etats-Unis à pratiquer de leur côté une plus grande transparence sur leur mandat de négociation.

L’enjeu n’est pas mince. Une ONG a calculé que sur 127 cas d’arbitrage pratiqués à l’encontre de 20 pays de l’UE depuis 1994, le montant final de la transaction n’a été publié que dans 11% des cas. Ces 14 dossiers ont coûté pus de 3,5 milliards d’euros.

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