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La monarchie espagnole survivra-t-elle à son annus horribilis ?
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Scandales à tous les étages

L'Espagne vit des heures sombres : faiblesse physique du Juan Carlos, inculpation de l'infante Cristina pour corruption, 62 % des Espagnols souhaitant que le roi abdique… Focus sur l'état de la monarchie espagnole.

Bernard  Bessière

Bernard Bessière

Bernard Bessière, professeur émérite d'Aix-Marseille Université, est spécialiste de l'histoire et de la culture de l'Espagne contemporaine. Il a publié récemment avec Bartolomé Bennassar : Espagne : histoire, société, culture, Paris, La Découverte, 2017,[3e édition mise à jour]

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Atlantico : Au moment où le roi d'Espagne Juan Carlos se montre fébrile et titubant sur ses béquilles, l'inculpation de sa fille cadette pour fraude fiscale et de blanchiment de capitaux fait trembler la monarchie. Cette action en justice pose-t-elle la dernière pierre du déclin d'une monarchie à bout de souffle, usée physiquement, discréditée moralement, éclaboussée par les scandales de corruption ?

Bernard BessièreL'accumulation des nuages sur la famille royale et plus largement sur la Monarchie fait qu'on se pose effectivement de plus en plus de questions sur la pérennité de l'institution. Après un parcours "sans faute" en tant que prince d'Espagne (1969-1975) puis surtout en tant que roi entre 1975 et 2005 à peu près, la situation a empiré. La mauvaise image de la famille royale provient autant de la personnalité du roi que du comportement de sa famille, lesquels pourtant ne faisaient guère débat il y a dix ans encore. Les signes négatifs se sont accumulés, de gravité variable, certes : divorce de Elena, la fille aînée, d'avec Marichalar, un noble au comportement douteux ; grave incident de la coûteuse chasse à l'éléphant au Boswana... en galante compagnie semble-t-il ; infidélités répétées du souverain ; manque d'empressement de celui-ci à réduire la liste civile de la Maison du Roi (indemnité accordée chaque année sans vote par le Congreso) en pleine crise économique ; et surtout dernièrement la mise en examen de son gendre Iñaki Urdangarín, suivie de celle de l'infante Cristina, soupçonnée d'avoir couvert le détournement par son mari de quelque 600 millions d'euros à travers une société écran. Dans ce panorama, seuls la reine Sofía et le prince Felipe échappent à la critique. Si les derniers sondages sont très défavorables pour Juan Carlos, une majorité des sondés envisage favorablement la poursuite de la Monarchie en la personne de Felipe dont l'épouse, doña Letizia, bénéficie également d'une opinion favorable.

Le politologue Fernando Vallespin, professeur de sciences politiques de l'université autonome de Madrid, estime que l'inculpation de l'infante Cristina est le signe du bon fonctionnement de la démocratie : "cela prouve que la famille royale n'est pas au-dessus de la loi et pourrait même aider la monarchie à renforcer son image". Que penser d'un pareil postulat ? La monarchie espagnole a-t-elle encore espoir de vivre de nouvelles heures de gloire ?

Certes la mise en examen de l'infante est un message éthiquement positif quoique les hésitations et la lenteur de la justice eussent été manifestes. Il faut rappeler que de tous les membres de la famille royale, seule la personne du roi jouit d'un "blindage" juridique total, ce qui le met à l'abri de l'action de la justice. Mais pas les autres membres, d'où la mise en examen de sa fille un an après celle de son gendre. L'opinion de Vallespin est trop optimiste, d'autant qu'on soupçonne le palais de la Zarzuela d'avoir fermé les yeux sur les relations sulfureuses entre son gendre (duc de Palma, ne l'oublions pas) et les milieux d'affaires et politiques des Communautés autonomes des Baléares et du Pays valencien dont le niveau de corruption est connu de tous. Dans un pays où la Constitution (adoptée en 1978 par 94% des votes exprimés, rappelons-le) ne donne au souverain qu'un pouvoir symbolique, il s'agit moins d'une question politique que représentative. A l'image de toutes les têtes couronnées en Europe, le roi ne dispose d'aucun pouvoir exécutif et son titre de chef des armées est purement théorique. Dans ces conditions, l'abdication de Juan Carlos n'aurait aucune conséquence politique mais seulement une forte signification d'image. 

A peine 38% des Espagnols font un bilan positif du règne de Juan Carlos, contre 75% il y a deux ans. Le désamour du peuple espagnol pour la famille royale conduira-t-il le roi, sur le trône depuis 1975 et ayant réussi la transition du franquisme sans une goutte de sang, à abdiquer en faveur de son fils, le prince héritier Felipe, qui continue de bénéficier de 62% d'opinions favorables ?

Le public, on le sait, est versatile. Or un bilan s'établit dans l'histoire longue et non pas de façon conjoncturelle. Le chiffre de 38% d'avis favorables traduit la perte de mémoire des Espagnols sur le rôle éminemment positif de l'action d'un roi qui, désigné par le vieux dictateur avec mission de poursuivre le régime, a participé à son démantèlement définitif. Chacun a en tête le rôle du roi dans la nuit du 23 février 1981 face au coup d'Etat militaire. Cela dit, c'est Juan Carlos lui-même qui, par son comportement personnel et les les délits commis par son entourage, a fortement altéré l'image d'un homme dont l'action fut très remarquable pendant trois décennies. 

Certains pensaient que l'exemple de l'abdication récente de la reine des Pays-Bas en faveur de son fils aurait donné à Juan Carlos l'idée de faire de même, mais il n'en a rien été. Felipe a 45 ans, une épouse intelligente et moderne et deux fillettes charmantes. Il sera le souverain européen le mieux formé sur le plan intellectuel et universitaire. Juan Carlos qui, ayant subi six opérations en deux ans, donne une image dégradée de la personne du chef de l'Etat, serait bien inspiré d'abdiquer en faveur du prince des Asturies, mais il semblé décidé à s'accrocher au Trône. Jusqu'à quand ? Il est clair, en tout cas, que cet acharnement plombe l'image de la Couronne et hypothèque chaque jour d'avantage les chances de réussite du prince.

La lune de miel entre le peuple et son roi est achevée, la confiance s'est envolée. Tant que l'abdication ne sera pas prononcée, c'est le devenir de l'institution qui sera en danger.

Propos recueillis par Marianne Murat

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