La mairie de Paris envisage de piétiner la vie privée des Parisiens faute de savoir faire face à la crise du logement <!-- --> | Atlantico.fr
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Anne Hidalgo écoute l'architecte d'une résidence en rénovation aux côtés du premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, lors d'une visite d'un chantier d'un immeuble en cours de réhabilitation à Paris.
Anne Hidalgo écoute l'architecte d'une résidence en rénovation aux côtés du premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, lors d'une visite d'un chantier d'un immeuble en cours de réhabilitation à Paris.
©AFP

Mesures drastiques

Le premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, souhaite que les collectivités soient en capacité de réquisitionner les logements vacants en zone tendue.

Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux

Henry Buzy-Cazaux est le président de l'Institut du Management des Services Immobiliers.

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Atlantico : La mairie de Paris souhaite réquisitionner les logements vacants pour endiguer la crise du logement dans la capitale. Quel effet cette mesure peut-elle avoir sur les propriétaires ?

Henry Buzy-Cazaux :La réquisition est un acte autoritaire qui a été utilisée pendant la dernière guerre dans notre pays. Les textes qui en donnent la faculté juridique à la puissance publique datent de cette période. Nous sommes au cœur d’une crise intérieure non pas géopolitique, mais économique, et je comprends que tous les moyens soient examinés. Je tiens à rappeler que le Premier ministre, dans son discours de politique, a dit ne pas exclure la réquisition… En clair, l’idée n’est pas seulement dans la tête de la majorité parisienne… Le problème, c’est que la réquisition est une fausse bonne idée, pour plusieurs raisons.

D’abord, elle est traumatisante pour les propriétaires, qui ne savent pas -à juste titre- si la mesure sera appliquée avec discernement. Quand le premier adjoint à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire, pointe les 20% de résidences secondaires parmi les logements vacants, il parle de logements par définition utilisés de façon temporaire par leurs propriétaires, qui ont la liberté juridique de les acquérir à cet usage. C’est d’une grande violence. Pour tout dire, c’est idéologique, et l’élu ne le cache pas : il accuse la multipropriété. Il contrebat un principe constitutionnel, au terme duquel un ménage a le droit d’avoir une résidence principale et une résidence secondaire, voire plusieurs. Il existe déjà une taxe sur les résidences secondaires, et la taxation peut s’entendre, à condition que le fruit de sa collecte aille à la politique parisienne du logement.

Cette menace va inquiéter tous les propriétaires de Paris, au-delà même des provinciaux ou des étrangers qui y détiennent un pied à terre. On peut redouter un mouvement de panique de propriétaires qui préfèreraient investir dans d’autres villes, au détriment de notre capitale…ou qui, dans la hâte basculeront vers une activité de meublé touristique de courte durée, sous les radars de l’administration municipale. Le second problème consiste justement à savoir quels biens mériteraient vraiment d’être réquisitionnés, et la difficulté à les identifier. Les seuls sont ceux qui résultent d’une intention spéculative ou d’un mépris de l’intérêt général. Un propriétaire qui attendrait des jours meilleurs pour vendre plus cher et laisserait son bien délibérément vide pour pouvoir saisir l’opportunité d’un acquéreur, un marchand de sommeil qui exploite son bien illégalement et sans humanité, une indivision conflictuelle que les parties concernées ne s’emploient pas à régler, voilà des cibles, bien sûr. En revanche, la vacance de friction entre deux locataires, et surtout la vacance dite technique, parce que le logement exigerait des travaux, est d’une autre nature, et il faut s’attaquer à celle-là, non pas en confisquant les biens mais en conduisant leurs propriétaires à engager les travaux nécessaires.

Enfin, il y a la question des investisseurs institutionnels, les banques, les compagnies d’assurance, les SCPI notamment. Ils sont à la tête d’un patrimoine de bureaux, pour beaucoup vacants. Dans la région capitale, ce sont près de 5 millions de mètres carrés vacants qu’on décompte. Le télétravail en particulier, l’évolution des usages aussi ont fait reculer le niveau des besoins. C’est pour cela que le gouvernement et le parlement ont voulu favoriser et accélérer la transformation de ces bureaux en logements. Rien ne bouge ou presque et les grands propriétaires devraient, avec les maires des communes concernées, aller plus vite. Certes, le coût de la mutation est élevé, mais cette vacance ne sera pas longtemps acceptée par l’opinion. En outre, les risques de squat sont avérés. Là, la menace de la réquisition est légitime, pour catalyser les décisions.

Cette mesure peut-elle être efficace ?

L’efficacité doit se mesurer au nombre de logements que la mesure rapporterait, mais également à la symbolique politique. Si l’on précise les cibles que je viens de désigner, pourquoi pas ? La mairie rencontre quand même un problème au moment d’identifier les cas de vacances… Chaque année, la taxe sur la vacance donne lieu à des envois d’avis de taxation totalement infondés, que l’administration municipale annule. Les biens vendus, les biens en travaux, ceux qui sont sur le marché locatif sans que le locataire ait encore été trouvé, bref des cas en-dehors du champ de la taxation sont régulièrement ciblés à tort.

Quelles pourraient être les autres pistes pour traiter la crise du logement à Paris ?

D’abord augmenter l’offre par des moyens autrement plus massifs. La Mairie de Paris agit, on ne peut dire l’inverse, depuis des dizaines d’années. Le taux de logements sociaux y est passé de 13,4% en 2000 à près de 25% aujourd’hui. Ce résultat a été atteint par la construction essentiellement, voire l’acquisition de logements diffus dans des immeubles et leur rénovation. Il faut continuer. Et aussi par la coopération avec les communes des couronnes de Paris : la capitale seule ne peut loger tous les ménages qui aspirent à y vivre.

Enfin, la Mairie de Paris avait eu une excellente intuition en 2015, en travaillant avec les professionnels de la location et de la gestion et leur syndicat, la FNAIM du Grand Paris: elle avait inauguré un dispositif d’accompagnement et d’aide des propriétaires qui n’avaient ni l’ingénierie ni les moyens de rénover leur logement locatif, du coup sorti du marché et non louable. Il s’agissait du Multiloc, qui avait d’ailleurs inspiré plusieurs autres villes. Des aides étaient alloués aux bailleurs, avec du conseil pour choisir les travaux pertinents et les entreprises, la sécurisation gratuite contre les impayés de loyer, la délégation de gestion à un professionnel, en contrepartie de la mise à disposition du logement avec des loyers de 20% inférieurs au marché. Ce dispositif a été mal vendu et n’a pas atteint les objectifs quantitatifs fixés. La Mairie l’a interrompu quelques années après, à tort. Il est urgent de l’actualiser et il procurera des milliers de logements locatifs, plus efficacement que toute menace de réquisition.

Henry Buzy-Cazaux est président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers et membre du Conseil national de l’habitat

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