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La loi fiscale de Donald Trump permettra-t-elle de poursuivre le miracle américain (et de l’étendre jusqu’en Europe) ?
©NICHOLAS KAMM / AFP

Great again

Premier grand succès de l'année 2018 pour Donald Trump, la signature de la loi fiscale qu'il avait promis à ses électeurs risque d'avoir un impact généralisé sur l'économie mondiale... Plusieurs scénarios se dessinent.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Méfions-nous : les choses seront plus compliquées, et moins roses, que ce que nous dit la Bourse. Les marchés financiers américains exultent : le Dow Jones passe à 25 200, le S&P 2700, le Nasdaq 6600. Pour eux tout va bien : l’emploi américain monte, pas trop les salaires, surtout les profits. Après 148 000 nouveaux emplois en décembre, 166 000 en moyenne chaque mois du second semestre, le salaire horaire augmente de 2,6% seulement en 2017, comme en 2016, et malgré un taux de chômage de 4,1% ! La fiscalité, avec moins d’impôt sur les ménages et surtout sur les entreprises, va-t-elle poursuivre le miracle ? C’est toute la question. 

Eh oui, Donald Trump a signé sa loi fiscale promise, remportant son grand succès de l’année ! Mais, on s’en doute, ce texte de plus de 500 pages voté dans l’urgence, aura des conséquences multiples, qu’on découvrira dans le temps. On verra mieux les problèmes, les effets pervers et les niches qui ne vont pas manquer de s’ouvrir. On peut donc se dire que la bourse achète aujourd’hui les baisses d’impôt, d’autant plus que les taux longs montent peu, avec l’idée que le risque inflationniste n’est pas certain ! Merveilleux. Mais comment étudier les réactions en chaîne que ce texte pourrait susciter ? Essayons la voie risquée : celle du calendrier.

1 – Faire passer le plus de charges possible dans les comptes de fin 2017 : donc le déficit budgétaire 2017 se creusera plus que prévu. Les sociétés vont bientôt publier leurs comptes et la bourse attend de belles nouvelles : une hausse des profits de plus de 10% sur l’année. Sauf si les directeurs financiers se disent que c’est le moment, où jamais, d’utiliser les différés d’impôt (defferred-tax assets, qui viennent notamment de pertes passées) et plus encore d’inscrire des dépenses que l’on savait devoir faire (autant qu’il est légal bien sûr). Il faut en effet déduire toutes ces charges de résultats imposés à un taux de 35% maintenant, plutôt qu’à 21% en 2018 ! Plus de charges au quatrième trimestre, bien moins de résultats mais moins d’impôts : la bourse devrait comprendre !

2 – Augmenter les bonus de 2017 : donc le déficit budgétaire 2017 se creuse, là aussi,  plus que prévu. Ainsi, Goldman Sachs a fortement augmenté ses bonus en action, pour d’évidentes raisons de déduction des charges en 2017. Et l’a dit… mais il n’a aucune raison d’être le seul à Wall Street ! Il pourra y avoir aussi des primes de Noël !

3 – Rapatrier les profits parqués hors des Etats-Unis, notamment en Europe ! On parle de plus de 2 500 milliards de dollars de profits abroad, dont plus de 250 milliards pour les valeurs cotées au S&P 500. A voir. On parle aussi des profits d’Apple, Google, Microsoft, Pfizer. Les sommes en jeu sont énormes. Si elles étaient parquées hors des Etats-Unis, c’est bien sûr pour ne pas y être taxées, comme le demandait constamment Barak Obama (sans succès). Si elles reviennent, c’est pour bénéficier de la quasi-amnistie fiscale que représente la taxation à 15,5% (liquidités) et à 8% (actifs illiquides) de ces rapatriements. Pour cela, il faudra inscrire en 2017 dans les comptes l’intégralité des montants rapatriés et préciser si l’on veut payer l’impôt en une fois, ou sur huit ans. En bourse, il faudra donc regarder de près les décisions prises par les sociétés pour comprendre les résultats annoncés dans les jours qui viennent ! 

Au niveau budgétaire, c’est donc une entrée importante qui aura lieu, surtout si on pense que les entreprises vont préférer régler l’impôt en une fois (mais c’est une entrée moindre, bien sûr, que si elles avaient payé normalement). Le budget encaisse (le tiers de ce qu’il aurait pu recevoir). La bourse salue le règlement du « problème ». Surtout, la brigade bruxelloise arrivera trop tard. 

Ceci est donc un important mouvement de profits vers les Etats-Unis, profits nés et non ou peu taxés en Europe. C’est une concurrence fiscale de grande ampleur qu’instaure ainsi la loi Trump. Pour les entreprises fiscalisées aux Etats-Unis, l’incitation à ne plus rapatrier les profits aux Etats-Unis a quasiment disparu, surtout si l’on prend en compte les pressions croissantes de la zone euro contre ses paradis fiscaux internes ! On peut donc penser que la loi Trump réduira la perte fiscale américaine potentielle (que représenterait une remontée de ces profits parqués). Elle devrait pousser la zone euro à abaisser sa propre fiscalité au niveau américain et à réduire sa propre concurrence fiscale. Bien sûr, Bruxelles va attaquer le texte américain : nous sommes partis pour des années de batailles juridiques ! Les Etats-Unis le savent, mais pour l’essentiel le rapatriement a eu lieu !

4 – Investir et embaucher : bien sûr, c’est la raison avancée par la loi, pour pousser au vote du Congrès ! Il faut donc en parler. Moins d’impôt, c’est plus de revenu pour les ménages et de profit pour les entreprises, plus d’investissement et d’emploi, une bourse plus haute, des systèmes de retraite renforcés. Mais, pour s’installer à 3% de croissance, voire à 3,5%, il faudra faire remonter (au moins) le taux d’emploi de la population active aux niveaux d’avant crise : 75% pour les hommes contre 69% actuellement, 60% pour les femmes contre 57%. Le profit permettrait l’investissement. Est-ce que la compétence suivra ? 

Est-ce que la formation va partout monter dans les catégories intermédiaires et chez les chômeurs éloignés de l’emploi ? Ou bien est-ce que les robots seront plus présents partout, avec plus d’emplois de services peu qualifiés et peu payés ? La loi Trump va-t-elle accentuer le mouvement de polarisation des emplois, entre plus qualifiés et  peu qualifiés, qui se déroule aux Etats-Unis ? Pire, le revenu sera sûrement distribué plus vite que la production ne pourra suivre. L’inflation peut donc monter dans des activités non délocalisables soumises à une forte demande (construction de logements par exemple). Surtout, c’est l’importation qui fera l’ajustement. Investir et embaucher, distribuer du revenu aux catégories intermédiaires, soutenir l’emploi interne : voilà ce qui est promis, à moins que l’inflation ne monte devant des pénuries d’emplois spécialisés et que le déficit extérieur ne gonfle, au bénéfice du Mexique, du Canada ou de la Chine, ou des robots allemands ! Alors, si le déficit extérieur américain augmente trop, le protectionnisme augmentera.

5 – Pousser à la concentration des entreprises américaines. Ces milliards de trésorerie parqués hors des Etats-Unis et qui, d’ores et déjà, préparent leur rentrée, ne pourront rester oisifs. Des investisseurs activistes demanderont soit qu’ils soient rendus aux actionnaires, soit qu’ils participent à des fusions acquisitions. Les fusions paraissent les plus probables, faisant monter encore la bourse. Mais, techniquement, si Apple (par exemple) achète une grande entreprise déjà chère, il achète un goodwill (écart entre le prix payé et la valeur comptable) très élevé, qui suppose que la croissance se poursuive. Il prend donc beaucoup de risques. Bref, la loi Trump alimente la bulle boursière des valeurs technologiques ou pharmaceutiques (par exemple), au moment où la concurrence s’aiguise avec les valeurs chinoises, aussi efficaces, moins chères et avec un marché énorme… le leur. Là encore, si le déficit extérieur américain augmente trop, le protectionnisme augmentera, les tensions avec la Chine aussi.

6 – Et donc faire des Etats-Unis un quasi paradis-fiscal et social, en demandant aux entreprises étrangères de s’y installer ! Mais, encore une fois, si les ressources financières promettent d’être abondantes, rien n’est sûr pour les ressources humaines, notamment si Donald Trump ne revient pas sur ses lois qui restreignent le contrat de travail des spécialistes.

Moralité, la bourse voit les gains immédiats et les concentrations, moins les risques sur le creusement des déficits budgétaire et extérieur, moins encore sa bulle, et pas vraiment les tensions juridiques et commerciales à venir. Car la Chine soutiendra ses Apple (Xiaomi) et Amazon (Alibaba), profitant de l’expansion mondiale, plus ses entreprises d’avions, robots et intelligence artificielle. 

Si la zone euro veut profiter de la reprise mondiale, elle ne doit pas oublier qu’elle repose plus que jamais sur les déficits jumeaux américains (budget et commerce extérieur). Elle doit se préparer à une montée des batailles fiscales et juridiques, et se préoccuper donc de renforcer son marché interne. Il lui faut une fiscalité qui tienne compte des technologies high tech (la richesse peut se créer sans lieu important de production), avec des entreprises plus solides et moins imposées, des salariés mieux formés et des banques qui pourront mieux résister à la récession américaine qui s’approche, grâce à la loi fiscale de soutien à l’économie américaine de Donald Trump. Nous voilà prévenus !

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