La hausse des salaires qui n’en était pas : pourquoi les chiffres du ministère du Travail ont été interprétés à tort<!-- --> | Atlantico.fr
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La hausse des salaires est en réalité une baisse.
La hausse des salaires est en réalité une baisse.
©Reuters

Pouvoir d'achat fictif

Selon de nombreux observateurs, les salaires français continuent leur progression malgré la crise, ce qui serait constitutif d’un "French paradox". Pourtant, et en regardant la composition de l’emploi français de plus près, la hausse des salaires est en réalité une baisse.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Au mois de mars dernier, la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques - Ministère du Travail) publiait une étude concernant les salaires, et indiquait alors : "L’indice du salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés (SMB) croît de 0.1% entre les mois de septembre 2014 et décembre 2014, soit de 1.4% sur un an". Sur cette base, de nombreux commentaires faisaient alors état du paradoxe français ; malgré une situation économique de crise, les salaires continuent de progresser dans le pays, ce qui serait un sérieux frein pour le retour à la compétitivité.

Pourtant, dès l’année 2013, une étude publiée sous l’enseigne du Bulletin de la Banque de France, et menée par l’économiste Gregory Verdugo, s’interrogeait sur cette même question :

"À la suite du fort ralentissement de la croissance en France depuis 2009, plusieurs observateurs ont souligné l’absence apparente de réponse des salaires réels au cycle en France, sur longue période, et particulièrement durant la crise récente.".

La crise serait impuissante à contrer la forte propension des salaires français à augmenter ? L’économiste va faire voler ce constat en éclats. En analysant l’ensemble de la période de crise, c’est une autre réalité que celle de la hausse des salaires qui va être dévoilée.

Dans un premier temps, il va s’agir de dénoncer le "biais d’agrégation", c’est-à-dire le fait de mesurer un salaire moyen pour toutes les personnes qui sont employées sur une période définie. Car, à l’évidence, les personnes qui étaient salariées avant la crise ne sont pas les mêmes que celles qui sont salariées aujourd’hui. Parce que le chômage n’a pas affecté les français de la même façon :

"Les séries de salaire moyen étant calculées à partir de la population employée, elles sont affectées non seulement par les évolutions de salaires mais également par les changements de composition de la population en emploi. Or, lors des périodes de ralentissement, la hausse du chômage a historiquement toujours eu tendance à se répercuter de manière plus importante sur les salariés les plus jeunes, les moins qualifiés et, plus généralement, sur ceux ayant un salaire moins élevé."

Pour l’exemple, entre 2008 et 2011, la composition des personnes en emploi, en France, a été modifiée. Alors que les ouvriers représentaient 29.8% du total en 2008, ils ne sont plus que 28,3% en 2011. Inversement, les cadres représentaient 16.2% de l’emploi total en 2008, contre 17.6% en 2011. Ce qui apparaît en miroir, c’est la hausse du chômage des ouvriers, notamment des moins qualifiés, et la relative stabilité du chômage des cadres :

INSEE. Taux de chômage par catégorie socioprofessionnelle.

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Et lorsque le marché de l’emploi se trouve vidé de ses ouvriers, et "enrichi" en cadres, le salaire moyen va logiquement augmenter :

"La force de travail devenant en moyenne plus âgée et plus qualifiée, les changements de composition tirent le salaire moyen vers le haut lorsque le chômage augmente."

Par voie de conséquence, il apparaît que la seule mesure du salaire moyen ne suffise plus à capter la réalité de la dynamique en cours. La mesure de la structure même du marché de l’emploi doit également être prise en compte.

Il va alors être procédé à une évaluation de la progression des salaires à structure constante, c’est-à-dire en considérant que la composition du marché de l’emploi entre ouvriers, employés ou cadres est la même, entre le début et la fin de la période considérée. Et le résultat se trouve alors inversé par rapport aux premières conclusions:

"Nous trouvons que les effets de composition expliquent la totalité de la hausse du salaire réel moyen observée : le salaire moyen à composition constante augmente de moins d’un point entre 2008 et 2009 et diminue par la suite, baissant de 0,8 % entre 2009 et 2011"

La transformation de la structure d’emploi pendant la crise, c’est-à-dire la sur-représentation des ouvriers parmi les personnes qui quittent le marché de l’emploi, et donc la calcul du salaire moyen, explique "la totalité" de la hausse des salaires.  

Par contre, et si la structure de l’emploi était restée inchangée, la baisse des salaires aurait été de -0.8% entre 2009 et 2011.

Le "french paradox" n’en est donc pas un. Contrairement à certaines idées reçues, les salaires baissent en France. Et la hausse du salaire moyen ne fait finalement que masquer la hausse du chômage des plus fragiles. 

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