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La guerre Chiites-Sunnites et l’erreur fatale de l’Occident…
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Histoire

Le ministre de l'Intérieur de Bahreïn a déclaré que la police du pays a arrêté huit soupçonnés participant à un groupe terroriste lié à l'Iran. Selon ces soupçons, les terroristes auraient reçu des instructions et de l'argent de l'Iran, l'Irak et du Liban. Vraisemblablement, l'objectif principal de ce groupe est de soutenir les Chiites vivant au Royaume de Bahreïn

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Durant ce week-end, la dynastie sunnite (minoritaire) au pouvoir à Bahreïn, (Golfe) a une fois de plus réprimé l’opposition chiite (suspectée à raison ou à tort d’être pilotée par Téhéran) qui commémorait l’insurrection de février 2011, réprimée dans le sang avec la bénédiction de l’Arabie saoudite et du Conseil de Coopération du Golfe (qui réunit les monarchies sunnites "pro-occidentales" opposées à l’Iran chiite et à toute démocratisation). En fait, les régimes sunnites du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, Qatar et émirats en tête), qui fournissent armes et soldats à Bahreïn pour réprimer l’opposition démocratique chiite, redoutent la "menace chiite-iranienne", surtout depuis l’intervention occidentale en Irak en 2003, qui a permis à la majorité chiite en Irak d’accéder au pouvoir après la longue domination sunnite du régime de Saddam Hussein, qui était alors un “rempart” contre l’Iran chiite. Cette phobie de "l’arc chiite" est partagée par d’autres Etats arabes, comme la Jordanie ou l’Egypte, bastion des Frères musulmans (sunnites), où les conversions au chiisme inquiètent. Ce "croissant chiite", qui va de l’Iran au Liban et a pour cœur historique l’Irak, déborde jusque dans l’est de l’Arabie saoudite et le Koweït, où vivent d’importantes minorités chiites, souvent plus pauvres, plus actives démographiquement et très sensibles à la propagande révolutionnaire de Téhéran. Mais l’arc chiite comprend aussi la Syrie alaouite (tant qu’elle est dominée par le clan Assad), puis bien sûr, le Hezbollah chiite libanais pro-iranien, vrai maître du pays des Cèdres. La popularité du Hezbollah doit d’ailleurs beaucoup à l’instrumentalisation de la cause anti-israélienne, qui vise à séduire les masses arabes pour faire oublier que la bombe nucléaire chiite-iranienne est tournée contre les monarchies sunnites... D’où la volonté du Qatar (sunnite) de reprendre en main (en le finançant) le Hamas palestinien à Gaza, longtemps influencé par le Hezbollah et financé par l’Iran.

Qui sont les Chiites ?

Dans les médias, on présente souvent les Sunnites comme les "modérés" parce que "officiels" et "majoritaires (80 %) et les Chiites comme les "fanatiques”, car minoritaires “hérétiques” (15 à20 %). En fait, le terme de chiisme vient de l'arabe "Chiatu Ali", ceux qui sont pour Ali (le gendre et cousin de Mahomet, 4ème successeur ou "Calife", qui fut détrôné par ses ennemis sunnites à la faveur d’un arbitrage truqué). Exclus ainsi du Califat par le candidat des Sunnites, Moawiyya (origine de l'Empire  Ommeyade), mais pas moins “musulmans” que les sunnites au départ, voire même plus, les Chiites se sont réfugiés, comme les soufis, dans un islam contemplatif, puis dans un clergé très hiérarchisé, vouant un culte particulier à la lignée des 12 imams qu’ils vénèrent depuis Ali, et à leurs “saints”. Les Chiites commémorent les "martyres" Ali (assassiné en 661), dont le mausolée est situé à Nadjaf (Irak) et son fils Hussein, "3ème iman", tué par les Sunnites et dont le mausolée se trouve à Kerbala (Irak). Quant aux Sunnites, leur nom vient de l’arabe "Ahl al-Sunna" ("gens de la tradition"), ce qui indique qu’ils sont les garants du dogme "traditionnel" de l’islam (la Sunna, fondée sur les "hadits" ou commentaires de Muhammad). Mais, en réalité, les écoles les plus intolérantes de l’islam sont issues du sunnisme, les Chiites n’ayant jamais clos "l’interprétation (Ijtihad), tandis que les Sunnites - à la tête du Califat - ont "fermé les portes de l’Ijtihad" au Xème siècle, bannissant les courants libéraux ou hétérodoxes : soufis, chiites et sectes rationalistes (mutazilisme), qui régnèrent pourtant à Bagdad durant l’Age d’or de l’islam. Or cette fixation du dogme et cette mise à l’index des autres courants musulmans est l’origine lointaine de l’islamisme salafiste (wahhabite ; Talibans, Salafistes, etc) et même des Frères musulmans, bref de l’islam politique et orthodoxe, un islam rétrograde qui, avec l’appui des pétromonarchies sunnites du Golfe, est parvenu à mettre en échec laïques et chiites, objectif que poursuit le Qatar de façon “moderne” en soutenant depuis le “printemps arabe” les opposants islamistes du Maroc à la Syrie, en passant par le Mali…

Chiites extrémistes versus sunnites modérés ?

En fait, l’idée reçue ancrée en Occident des "chiites méchants" et des "sunnites modérés", puis l’association faite entre chiites et "fous de Dieu" est due au fait que le courant chiite majoritaire, plus théocratique, appelé "duodécimain" (en référence aux 12 "imams" vénérés), a été capté par l’Ayatollah Khomeiny et la république islamique d’Iran depuis la chute du Shah, alors qu’en réalité, nombre de hiérarques chiites ont dénoncé l’idéologie khomeyniste, et que les courants les plus ouverts et laïcs de l’islam sont issus du chiisme et sont combattus par les orthodoxes sunnites. Parmi les sectes issues du chiisme ouvertes, minoritaires mais très influentes, on peut citer les "septimains" ou "ismaéliens" (en référence à la ligne des “sept Imams” révérés), rendus populaires grâce à leur chef vénéré, le financier et bienfaiteur Aga Khan. Établis surtout en Asie centrale, notamment au Pakistan, les Ismaéliens dirigent nombre de centres hospitaliers. On peut aussi mentionner les Alaouites de Syrie, les Druzes du Liban de Syrie ou d’Israël, ou encore les Alévis de Turquie (20%), honnis par les sunnites car ils ont toujours appuyé les partis laïques ou nationalistes kémalistes pour contrer les partisans de la Charià, qui prévoit pour eux un statut d’infériorité. Ils craignent aujourd’hui l’islamisme néo-ottoman du Premier Ministre turc Erdogan, leader de l’AKP, proche des Frères-musulmans. Les chiites sont majoritaires en Iran, Irak, Azerbaïdjan, Liban et Bahreïn ; ils sont (pour le moment) encore au pouvoir en Syrie, à travers les Alaouites, dont est membre la famille Assad, combattus par la majorité des 70 % de Sunnites syriens épris de revanche. Le chiisme compte également au Yémen, où le pouvoir sunnite les assimile tous à la rébellion séparatiste chiite-zaïdite. Enfin, on retrouve des minorités chiites importantes dans toute la péninsule arabique : Qatar, province du Hassa en Arabie saoudite, Kowëit, zones qui regorgent de pétrole… Partout où ils sont minoritaires, les chiites sont détestés, brimés ou même cibles régulières d’attaques de la part de groupes sunnites: au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, au Koweït, à Bahreïn, en Arabie saoudite ou en Irak, où la guerre sunnites-chiites bat son plein depuis la chute du pouvoir de Saddam.

Lutte chiites/sunnites et nouvelle guerre froide entre l’Ouest et le Reste

Du point de vue stratégique, l’Axe chiite pro-iranien est soutenu surtout par la Chine, la Russie et les pays ennemis de l’Otan ou anti-américains comme les leaders "bolivaristes d’Amérique latine proches de Hugo Chavez ou de Cuba. Par opposition et dans une logique de "nouvelle guerre froide", l’Occident soutient globalement l’axe sunnite islamiste, face à la Syrie et à ses alliés iranien et hezbollahis, exception faite de l'Irak où les Etats-Unis ont pour une fois eu raison de jouer la carte chiite. Mais cette haine entre pays du Golfe sunnites et minorités chiites accusées d’être proches de l’Iran n’est pas uniquement stratégique : déjà, en 1927, le roi Ibn Saoud publia, sous la pression de ses alliés wahhabites, les fameux" Ikhwans ("Frères") une fatwa obligeant les Chiites à se convertir ou à s’exiler... Grand allié de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis, puis co-parrain des Talibans et des mouvements islamistes qui ont contribué à l’expansion du salafisme depuis la guerre froide, le Pakistan persécute (par l’application de la charià) autant les Chiites que les Chrétiens ou les hindouïstes, assimilés à des "associateurs" (muchrikûn) infidèles. Exemple parmi tant d’autres, le 16 février dernier, 52 chiites ont été tués dans un nouvel attentat à la bombe perpétré par des Salafistes dans le sud-ouest du Pakistan. D’après Human Rights Watch (HRW), 400 chiites ont été tués au Pakistan en 2012, mais les "prévisions" pour 2013 risquent d’être encore plus sanglantes : 165 morts durant le seul mois de janvier…

Hélas, au lieu de jouer (comme en Irak) la carte des courants chiites anti-salafistes ou des minorités laïques issues du chiisme, comme les Alaouites en Syrie ou les Alévis en Turquie, et de défendre les droits des minorités chiites du Golfe ou du Pakistan, ou a fortiori des chrétiens d’Orient, aux aussi persécutés presque partout en terre sunnite, les Occidentaux, animés par les seuls intérêts pétroliers et court-termistes, continuent de pactiser avec les puissances fanatiques sunnites (Arabie saoudite, Pakistan, Koweït, etc), et ont cédé à toutes leurs revendications obscurantistes et même néo-impérialistes, puisque l’Occident n’a jamais dénoncé ou même contrecarré l’objectif ouvertement affiché de ces pays : conquérir (réislamiser) l’ensemble des pays musulmans puis (islamiser) l’Occident, en sponsorisant - avec la bénédiction des pays de l’OTAN qui croient encore que la menace est russe- les associations islamistes radicales qui luttent contre l’intégration des minorités musulmanes, travaillées de l’intérieur contre les valeurs des pays "infidèles"...

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