La gauche française est-elle la plus bête du monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
La fête de l'Huma a eu lieu ce week-end dans l'Essonne.
La fête de l'Huma a eu lieu ce week-end dans l'Essonne.
©Thomas SAMSON / AFP

Haines en série

Entre escalade de radicalité et escarmouches entre alliés de la Nupes, la fête de l’Humanité s’est révélée un festival de mise en lumière des faiblesses structurelles de la gauche.

André Sénik

André Sénik

André Sénik est agrégé de philosophie.

Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : C'était la fête de l'Humanité ce week-end. Politiquement, c'est un moment fort pour la gauche qui fait communion chaque rentrée au cours de cette fête. Mais cette année, pas d'union. Des militants y ont même vendu des T-shirts anti Fabien Roussel. Le leader du parti communiste est particulièrement visé par ses petits camarades. Pourquoi ?

André Sénik : Fabien Roussel ose s’affirmer communiste et malgré cet étendard, il moque avec panache la vocifération radicale qui a si bien réussi au lider maximo de la gauche. Pour espérer un regain de ce parti communiste français qui fut jadis hégémonique sur le plan politique, culturel et syndical, il faut qu’il éclipse l‘astre déclinant de la gauche extrême.

Pour ceux qui continuent de placer leurs espoirs révolutionnaires sur le tribun Mélenchon, Roussel est le concurrent le plus proche, et donc, pour un révolutionnaire, l’ennemi à abattre.

Christophe Bouillaud : Le conflit entre Fabien Roussel et une partie des militants de gauche tient à sa volonté de faire cavalier seul. Rappelons que ce dernier en se présentant à l’élection présidentielle de 2022, certes avec le soutien d’une nette majorité des militants communistes, est l’un de ceux qui ont enterré la possibilité même d'une candidature unique de la gauche, ou même simplement d’une candidature de rassemblement d’une partie de la gauche. En 2012 et en 2017, le PCF avait soutenu J-L. Mélenchon. Il a ensuite accepté l’accord électoral pour les législatives  de 2022 avec FI et les autres composantes de la NUPES, accord qui a permis au PCF de sauver encore une fois les meubles. Le PCF dispose de ce fait toujours d’un groupe parlementaire. Désormais, F. Roussel montre clairement qu’il veut rompre avec cette alliance de la NUPES, au nom d’une très hypothétique candidature de gauche qu’il porterait en 2027. Par ailleurs, F. Roussel semble s’être lancé dans la reconquête de l’électorat populaire avec des thématiques largement opposées au reste des options de la NUPES : soutien sans faille au nucléaire, discours en faveur d’une alimentation carnée, discours à double face sur l’immigration, etc.  Si certaines de ces options, comme celle en faveur du nucléaire lié à l’influence de la CGT-Energie, correspondent à des choix bien ancrés au PCF, d’autres apparaissent plus comme du « populisme », visant à faire « peuple », surtout destiné à se différentier du reste de la NUPES, et éventuellement à séduire une partie des médias : le côté steaks et saucisses de F. Roussel ne me parait pas ressortir fondamentalement de la phraséologie communiste.

Sur les réseaux sociaux, les affrontements publics se multiplient. On pense à cette passe d'armes récente entre Jean-Luc Mélenchon, patron de la France Insoumise et le numéro un du Parti socialiste, Olivier Faure. Même la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, a été vivement critiquée par les économistes Thomas Piketty et Julia Cagé. Qu'est-ce que cela révèle de l'état de la gauche ? L'alliance de la Nupes veut-elle encore dire quelque chose ? 

André Sénik : La concurrence entre le PC et la Nupes se joue entre révolutionnaires.

Entre la NUPES et le PS, la divergence tient à l’ADN social-démocrate  dont Carole Delga est une héritière.

Au-delà de la bataille d’égos, les fractures idéologiques se réveillent et elles archipélisent la NUPES.

Si le vent d’une victoire possible soufflait sur la gauche française, elle trouverait peut-être la personne qui la rassemblerait sur le plan électoral. Mais la gauche est trop minoritaire pour que ce tour de magicien à la Mitterand ait des chances de réussir.

Quant à Thomas Piketty et Julia Cagé, ces universitaires ont choisi par idéologie de soutenir les extrémistes dont la phrase est radicale plutôt que les socialistes réformateurs qui cherchent à redonner souffle à la social-démocratie.

Christophe Bouillaud : Les deux incidents que vous citez sont de nature différente.

Le premier est lié au débat entre chefs de partis sur la possibilité de présenter une liste unique de la NUPES aux élections européennes de juin 2024. D’une part, J-L. Mélenchon préférerait une liste unique, et les autres chefs de parti y sont opposés. L’argument principal pour la liste unique serait d’arriver en tête de la compétition électorale de l’an prochain en France, et d’imposer ainsi l’idée que la principale opposition n’est donc pas le RN, mais la NUPES. Cet argument unitaire semble avoir fait mouche sur les organisations de jeunesse des partis composant la NUPES. L’argument principal pour les listes séparées est le fait de rappeler que de telles listes correspondent à la structuration du Parlement européen : il existe un groupe parlementaire écologiste, un groupe parlementaire socialiste, un groupe parlementaire communiste, etc. Présenter des listes séparées permet donc aux électeurs de savoir pour quelles options en matière européenne ils votent exactement. Par ailleurs, vu le calcul de l’attribution des sièges, il est possible que les listes séparées, pour autant que chacune dépasse le seuil de 5% des suffrages, soient plus rentables en termes de parlementaires européens élus par la gauche dans son ensemble que la liste unique.

Au-delà de cette différence de stratégie, il n’échappera à personne que J-L. Mélenchon, en voulant une liste unique, met Olivier Faure en grande difficulté. En effet, comme l’a montré le dernier congrès en date du PS, ce dernier est divisé entre partisans et opposants de la stratégie unitaire de la NUPES.  En acceptant la liste unique, O. Faure risquerait une scission qui affaiblirait encore plus le PS. De son côté, Mélenchon voudrait qu’O. Faure écarte toute l’aile modérée du PS pour avoir enfin un partenaire totalement fiable – ou totalement satellisé diront certains.

Le conflit entre la Présidente de Région C. Delga et les deux économistes Piketty et Cagé  va au-delà de cette simple lutte sur la stratégie partisane à adopter dans le cadre d’une élection bien précise. Il faut rappeler que la Présidente socialiste de la Région Occitanie, C. Delga, dans une réponse à un collectif écologiste, opposé la nouvelle autoroute Toulouse-Castres (A 69), s’autorise du récent ouvrage des deux économistes, qui souligne le sentiment de relégation spatiale des ruraux face aux services publics et à l’activité économique, pour repousser les demandes de ce dernier au nom justement des besoins populaires de mobilité. Ces deux derniers ont tout de suite réagi sur Twitter en rappelant leur propre engagement écologiste, en refusant cette interprétation de leur travail, en plaidant pour le train, et surtout en rappelant l’urgence climatique. Là se dessine une opposition plus fondamentale : à court terme, il ne fait guère de doute la mise en place d’une autoroute satisfera sans doute une bonne part de l’électorat castrais qui a besoin de se rendre à Toulouse pour travailler ou pour bénéficier d’un service quelconque offert par la métropole ; la Présidente de région a donc raison, ne serait-ce que par électoralisme, de ce point de vue de soutenir le bétonnage de la campagne castraise. Elle a tort en revanche de ne pas se rendre compte qu’elle encourage ainsi encore plus la métropolisation de sa région autour de Toulouse. Par contre, vu d’un point de vue plus global, et plus à moyen terme, une autoroute supplémentaire parait un investissement peu urgent dans la cadre d’une stratégie bas carbone de la France. Il reste que les deux économistes ne semblent pas voir que les ruraux, dont ils se veulent les défenseurs, ne sont pas en état de croire quelque promesse que ce soit en matière de train. En effet, il y a des décennies que le train décline en France dans sa capacité à desservir les bourgs et les campagnes. Comment veut-on que quiconque puisse croire à une capacité de renverser complètement cette stratégie d’abandon pluri-décennale ?

C’est là un problème plus large de la gauche : comment vendre des solutions de gauche – des services publics maillants bien le territoire par exemple -  aux ruraux et aux habitants des bourgs alors que, même quand la gauche a été au pouvoir à Paris, ces solutions n’ont pas été mises en œuvre ?

Plus généralement, ce n’est pas tant que la NUPES ait une faiblesse en termes d’alliances partisanes, mais elle souffre surtout d’un problème de crédibilité de ses projets, en particulier tels qu’ils peuvent être compris par les classes populaires éloignées des métropoles.  Comment concilier un mode de vie désormais fondé autour de la voiture et de la maison individuelle avec la décarbonation des transports et avec  l’économie d’espace agricole ou naturel bétonné ? Une vraie question pas si  simple à résoudre.

Certains figures de la gauche sont dans la stratégie du buzz permanent, comme on peut le voir avec Sandrine Rousseau ou Marine Tondelier. Parfois même en totale contradiction avec leurs électeurs sur des sujets comme l'immigration ou encore l'abaya. Est-ce qu'en France, on a la gauche la plus bête du monde ? 

André Sénik : Est-ce par bêtise que ces imprécateurs tous azimuts s’enferment dans une stratégie qui les isole, ou est-ce par incapacité à réinventer une gauche réaliste ? Je ne me prononcerai pas. Ce qui me parait certain, c’est que leur vitupération les grise, elle qu’elle ne les incite pas à faire l’effort intellectuel et moral de réinventer une gauche utile à la démocratie libérale.

Christophe Bouillaud : Je ne crois pas que les deux personnes que vous citiez soient dans une stratégie du buzz, au sens de faire simplement de l’événement pour faire de l’événement, de le faire gratuitement sans qu’il y ait de vraies convictions derrière. Simplement, les propositions des écologistes qu’elles mettent sur la place publique sont de fait fort éloignées des choix dominants dans la société française, comme sur les deux cas que vous citez. Il est donc tout à fait logique cela fasse scandale, que cela choque, que cela provoque de fortes réactions. Après, chacun est libre de tenter sa chance face à l’opinion publique, ce sont ensuite les militants écologistes qui jugeront une fois les prochains résultats électoraux tombés si c’est une bonne ou une mauvaise stratégie.

Quant à l’expression de « la gauche la plus bête du monde », elle me parait évidemment excessive, comme l’était celle de la « droite la plus bête du monde » à une autre époque. 

La stratégie de la radicalité à outrance de Mélenchon a-t-elle encore un sens ?

Christophe Bouillaud : Oui, puisqu’elle convient à une partie de l’électorat de gauche. Sans cette radicalité, une partie de l’électorat de gauche ne viendra jamais plus voter.  Par contre, ce qui manque à la gauche, c’est un pôle clairement identifié qui regroupe l’ensemble de ceux qui, par tempérament, par position sociale, par intérêts économiques, ne peuvent pas se reconnaître dans le bruit et la fureur incarnés par Mélenchon. L’objectif d’Olivier Faure est sans doute de reconstituer ce pôle modéré, ce que fut jadis le PS des années 1980. Mélenchon veut tout faire pour empêcher cette reconstitution, d’où le conflit dont je parlais plus avant. Il pense en effet pouvoir gagner un jour une élection présidentielle sur une position radicale. Cela parait pour le coup quelque peu illusoire. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !