La France, les musulmans, l’islam : état des lieux d’une relation sous tension<!-- --> | Atlantico.fr
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Les relations entre les Français et l'Islam restent compliquées.
Les relations entre les Français et l'Islam restent compliquées.
©Reuters

Choc des cultures

Alors que la France est frappée par des actions terroristes historiques, un tiers des Français déclare se méfier de l'islam. Amalgames, incompréhensions et craintes : les relations avec les musulmans restent très compliquées.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico : Où en sont les relations entre les Français et l'islam ?

Jérôme Fourquet : L'enracinement de l'islam en France, eu égard au dynamisme démographique de la population issue de l'immigration et au réveil identitaire qui fait qu'on s'affiche plus musulman qu'avant, fait que la question de la visibilité de l'islam dans la société française suscite un certain nombre d'inquiétudes, d'angoisses et de crispations.

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Les Français ont-ils de plus en plus peur de l'islam ?

Jérôme Fourquet : Une étude Ifop pour Fondapol de 2010 sur la France des classes moyennes montre que selon 71% des Français l'islam progresse trop. En 2012, 43% de nos concitoyens indiquaient que la présence de la communauté musulmane était une menace pour l'identité de notre pays. Les scores sont ici plus élevés que ceux d'aujourd'hui sur la menace sécuritaire. Il ne faut donc pas faire d'amalgames mais on ne peut pas affirmer qu'il n'y a pas de problème quant à la visibilité de l'islam dans notre société aujourd'hui.

Philippe d'IribarneTout ce que les médias annoncent chaque jour à propos de ce qui se passe dans les pays musulmans entre Boko Haram, l'Afghanistan, le Pakistan et autres n'est pas de nature à donner une vision positive et sympathique de l'islam. Il me semble, en regardant les sondages, que les avis sont plutôt négatifs, notamment à propos du voile. La tendance générale est à la dégradation de l'image de l'islam chez les Français.

Lire également : Charlie Hebdo : qui est l’ennemi ? Ce qu’il faut comprendre de l’islam pour sortir de la grande confusion intellectuelle ambiante

Qu'est-ce qui pose problème ? Est-ce uniquement la peur du terrorisme ?

Jérôme Fourquet : Il y a eu par exemple des débats très vifs à la suite de l'affaire du fast-food hallal de Roubaix ou sur la question du voile. On voit que de manière répétée et fréquente, la manifestation des signes religieux musulmans dans l'espace public suscite de vives polémiques. Nous avons dans nos enquêtes de nombreux Français qui s'opposent à cette visibilité.

Dans un vieux pays laïc comme la France, les problèmes liés à l'expression du religieux dans l'espace public ont été réglés depuis très longtemps. Déjà en 1905, la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne s'était pas passée paisiblement. Ce problème était depuis réglé et aujourd'hui il se repose. La République doit réaffirmer un certain nombre de règles. Il y a aussi les droits des femmes et la question du voile, qui ont trait à des valeurs auxquelles la France est attachée, et des problèmes dans les hôpitaux avec des femmes qui ne veulent être auscultées ou soignées que par des femmes. La France n'était pas habituée à ce genre de tensions qui bousculent les traditions.

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Philippe d'Iribarne : Il y a deux niveaux : le terrorisme, qui représente très peu de gens, et ce que l'on voit dans les Etats dominés par l'islam. Le fait qu'il se soit passé en Tunisie des choses qui dans les pays occidentaux paraîtraient ordinaires et que l'on considère comme aussi remarquables, par exemple la liberté de la presse ou religieuse, est un bon indice de notre vision de ces pays musulmans. Même la presse de gauche rapporte régulièrement le manque de démocratie dans les pays musulmans. 
Admettons que l'on oublie le terrorisme et que l'on ne considère que la pratique des Etats, même sans ça il y a la conviction que l'on n'a pas envie que cela se passe comme ça chez nous.

Les actes terroristes encouragent-ils cette tendance ?

Philippe d'IribarneTout cela intervient alors que le livre de Michel Houellebecq est déjà sorti, totalement indépendamment des événements récents. Cela montre bien que derrière ces réactions négatives par rapport à l'islam c'est plus le manque de démocratie, de liberté de la presse, de liberté religieuse ou de droit des femmes qui pose problème que le terrorisme.

Comment évolue la situation ?

Jérôme FourquetJusqu'en 2001, 30% des Français étaient d'accord pour l'édification de mosquées dans leur pays. Il y a eu un basculement progressif après les événements du 11 septembre, et en 2012 ils n'étaient plus que 18% à y être favorables. Il y a donc à la fois le contexte géopolitique international, avec la menace sécuritaire et le réveil identitaire, et des revendications nouvellées qui font que les contentieux se multiplient. Aujourd'hui, quand on regarde les slogans du Front National, les "on est chez nous", cela signifie que ces personnes veulent vivre selon leurs valeurs et leurs coutumes sans se soucier des autres. On peut malgré tout percevoir une évolution dans les représentations : dans les années 80 des mouvements comme le FN voulaient mettre les immigrés dehors, mais une prise de conscience progressive s'est faite, que cette population avait maintenant une descendance et qu'il n'était plus question de la faire partir. 

La distinction entre islam et islamisme est-elle de plus en plus confuse ? 

Philippe d'IribarneEntre les islamistes organisés et les musulmans qui réprouvent leur action, il y a une fraction de la population pour qui, "quand même, ce que ces gens font c'est pas mal qu'ils le fassent" même si eux ne sont pas prêts à passer à l'acte. Il n'y a pas une frontière nette et précise entre les islamistes et les gens l'on pourrait qualifier de "convertis à l'occident". La majorité des gens de confession musulmane en France sont convertis à l'occident mais ceux qui en rajoutent sur les interdits religieux, sur le Hallal, sur la burqa, inquiètent les Français, qui y sont très sensibles. Là, on n'est pas dans le terrorisme, et cela nourrit pourtant la polémique. 

Comment expliquez-vous qu'en 2013, 73% des Français ont affirmé que l'islam était une religion moins tolérante que les autres ?

Philippe d'IribarneQuand on regarde le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières, on ne peut être que d'accord avec cette opinion. Et à la vue des derniers sondages, on a l'impression que les choses se dégradent. Ce qui peut peut-être améliorer les choses, c'est l'évolution de la Tunisie, qui est de nature à donner le sentiment qu'il n'y a pas de fatalité dans les rapports de l'islam avec la démocratie. Les Tunisiens revendiquent la pluralité de leurs origines. Si l'on voyait deux ou trois pays qui suivaient ce chemin je suis prêt à parier que cela ferait évoluer les représentations relatives à l'islam.

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