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La France s’engage en Afrique subsaharienne : un objectif à notre portée ?
©Reuters

Redéploiement

Jean-Yves le Drian a annoncé hier le redéploiement des forces françaises de l'opération Serval au Mali dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. Bien que la France connaisse le continent mieux que personne, il n'en demeure pas moins qu'une coalition internationale sera sans doute nécessaire, dans un contexte où le budget de la Défense est constamment en baisse.

Jean-Michel Hoerner

Jean-Michel Hoerner

Jean-Michel Hoerner, professeur de géopolitique émérite et président honoraire de l'Université de Perpignan, enseignant-chercheur à l'IDRAC-IEFT, auteur avec Catherine Sicart de Tourisme, une affaire de classe (Balzac Editeur, 2015)

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Atlantico : Jean-Yves le Drian a annoncé ce matin que les troupes françaises au Mali seraient redéployées dans le cadre de l'opération Barkhane, afin de "terminer le travail" contre les rebelles islamistes de la région. Quel bilan peut-on tirer de l'opération Serval qui était bornée au Mali ? Le pays est-il vraiment sécurisé, particulièrement dans le Nord, réputé incontrôlable ?

Jean-Bernard Pinatel : Le redéploiement des forces françaises au Sahel est discuté depuis plusieurs mois avec les gouvernements locaux. Il vise en plus des bases importantes de Dakar et de Djamena d’installer  plus au Nord de cette ligne des points d’appui chargés de recueillir du renseignement et de mener des opérations anti-terroristes. Ainsi au Tchad la France a été autorisée par le gouvernement Tchadien à installer deux points d’appuis au Nord du Tchad à Faya et à Zouar à proximité de la frontière libyenne.

Serval a été un succès puisqu’en une année le territoire malien est désormais entièrement contrôlé par les 8000 hommes de la MINUSMA (ONU) [1] et les 7000 hommes de l’armée malienne. Un contingent français restera dans un point d'appui probablement situé à GAO.

Mais la stabilisation dans le massif des Ifoghas restera liée au respect du particularisme Touareg par le gouvernement malien  et au minimum à l’application loyale des accords de Bamako [2].

Jean-Michel Hoerner : L’opération "barkhane", qui sera conduite par l’armée française dans les dunes africaines à partir de la capitale du Tchad, Ndjamena, est de plus en plus liée aux guerres du Moyen-Orient. Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, vient récemment de le confirmer : "Le fait de voir se constituer un État terroriste (le califat de l’État Islamique à cheval sur la Syrie et l’Irak) avec des ressources potentielles importantes est un risque majeur pour la sécurité de tous" (Le Monde, 13-14 juillet 2014). Il est évident que l’opération "Serval" menée au Mali avec un certain succès est assez éloignée du théâtre de la guerre syrienne, mais les objectifs semblent les mêmes : il faut arrêter l’escalade islamiste qui menace les 1,3 milliard de population musulmane dans le monde. Je ne suis pas loin de penser que cette agitation intégriste pourrait entraîner une sorte de conflit mondial comme il y a cent ans, lorsque les tensions autour de la Serbie avaient favorisé la première Guerre Mondiale. La France, peut-être trop seule à réagir, a raison d’être vigilante sur un continent qu’elle connaît mieux que personne.

Les 3 000 hommes de l'opération seront redéployés à partir des forces présentes dans l'opération Epervier au Tched, et l'opération Serval au Mali. N'y a-t-il pas là un risque de voir les anciens ennemis se regrouper et de sévir à nouveau ?

Jean-Michel Hoerner : Au moment de la réduction drastique des crédits de l’armée française sur tous les postes de dépenses, beaucoup se demandent si la future opération "Barkhane", malgré les 3 000 hommes mobilisés, aura un sens dans la radicalisation islamique qui secoue désormais plusieurs continents. Tirons donc les leçons de l’opération "Serval" au Mali : certes, il y a toujours des terroristes islamistes proches d’Al-Qaida  mais la France a montré que le terrorisme ne pouvait pas s’imposer partout en toute impunité. Que le président Hollande ait regagné quelques points de confiance, ce n’est pas le sujet : il a surtout montré qu’il existait des dirigeants internationaux soucieux des équilibres du monde, qu’il soit civil ou religieux. L’islamisme prospère partout mais plus désormais en toute impunité, et cela conforte les musulmans pacifiques qui doivent déjà lutter contre le racisme dans beaucoup de régions occidentales.

Jean-Bernard Pinatel :Le risque djihadiste même affaibli existe toujours. C’est pour cela que ce redéploiement vise à mettre en place dans le Nord du Tchad, du Niger, du Mali et de la Mauritanie des points d’appui comprenant des unités de renseignement et d’action dans lesquelles les forces spéciales seront très présentes.

Finalement, une opération de cette envergure ne nécessite-t-elle pas une véritable coalition, avec d'autres pays à nos côtés ?

Jean-Michel Hoerner : On pourrait espérer l’intervention d’une coalition internationale, avec notamment une implication plus forte de l’Union Européenne, dans cette vaste région de déserts africains. À quoi cela servirait-il ? Il ne s’agit pas d’éliminer les terroristes qui prospèrent souvent davantage lorsqu’on les menace. Il faut surtout indiquer qu’il y a un pouvoir mondial de régulation qui se situe au-dessus des diktats religieux et d’un Dieu un peu trop conciliant avec la misère humaine.

Jean-Bernard Pinatel :Les coalitions MINUSMA (8000h) au Mali et MISCA (5800h) et EUROFOR [3] (700h) en Centrafrique existent et sont chargées au Mali de la stabilisation du Pays et en Centrafrique de l’interposition Et de la pacification

Plus globalement, quelles en seront les difficultés ? Sommes-nous sûrs que les pays ciblés par l'opération Barkhane sont disposés à accueillir une opération militaire sur leur territoire ?

Jean-Michel Hoerner : La position française est celle d’une grande puissance ex-coloniale qui prend sa part de responsabilité dans le chaos islamiste. En outre, la France donne l’impression de croire également à une sorte de soft power ou de pouvoir d’influence, qui s’opposerait aux principes tout aussi fantasques d’Al-Qaida lorsqu’il a décidé de détruire les mausolées des marabouts locaux du Moyen Âge dans le Nord du Mali. Et si, dans ces conditions, les quelque 3 000 hommes déployés par Le Drian n’étaient qu’une force de dissuasion ?

Ces négociations ont eu lieu en 2013 et les accords ont été formalisés début 2014. Mais les difficultés resteront réelles car la lutte contre les groupes djihadistes ne peut s’inscrire que dans la durée. De plus, même si la situation s’est nettement améliorée en Centrafrique grâce à Sangaris, l’Etat centrafricain est à reconstruire. Au Mali, le problème Touareg reste entier et je ne suis pas sûr que les Maliens ont vraiment compris qu’ils doivent les laisser s’administrer dans leur région du massif des Ifoghas.

Pour le moment, aucun signe n'indique que l'ONU approuve une telle opération. Sommes-nous dans une position criticable de ce point de vue ? De quelle légitimité disposons-nous pour agir ainsi ?

Jean-Michel Hoerner : Les mauvais esprits critiqueront l’isolement de France, sa décision qui apparaît unilatérale, l’absence d’un réel relai onusien… Ce soutien viendra sans aucun doute, mais faut-il toujours rechercher une légitimité absolue lorsqu’il s’agit d’éradiquer le terrorisme ? Que vient donc de faire le calife Ibrahim dans son nouvel État irako-syrien : il se proclame le maître de tous les musulmans du monde ! Faut-il lui dire qu’il se prend le chapeau ? Il faut simplement lui répondre qu’il n’est pas tout seul à vouloir contrôler le monde et, justement, la France a raison de fédérer ses alliés africains contre une menace plus absurde que réelle. Lutter contre le terrorisme exige probablement moins d’armes concrètes et plus de pouvoir apparent : c’est la grande leçon géopolitique du début du XXIe siècle.

Jean-Bernard Pinatel :L’ONU n’a rien à voir dans le redéploiement des forces françaises dans des bases et les points d’appui. La légitimité est fondée sur des accords bilatéraux entre la France et les pays qui accueilleront nos forces.



[1] MINUSMA : mission intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali . Elle est composée de contingents venant de tous les pays de la région

[2] Le chef de la mission de l'ONU au Mali, avait  annoncé le vendredi 23 mai 2014, qu’un accord de cessez-le-feu a été signé entre le gouvernement du Mali et le MNLA, HCUA et le MAA".

[3] Union Européenne

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