La France en miettes : les idiots utiles de l’ethnorégionalisme <!-- --> | Atlantico.fr
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Benjamin Morel publie « La France en miettes Régionalismes, l’autre séparatisme » aux éditions du Cerf.
Benjamin Morel publie « La France en miettes Régionalismes, l’autre séparatisme » aux éditions du Cerf.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Benjamin Morel publie « La France en miettes Régionalismes, l’autre séparatisme » aux éditions du Cerf. Les atteintes aux représentations de l'unité nationale, de la puissance étatique et de l'autorité républicaine ne cessent de se multiplier sous nos yeux. Pourtant, de l'Élysée à la Place Beauvau, des enceintes parlementaires aux cabinets ministériels, des bureaux de presse aux studios de radio ou de télévision, règne sur ces faits un étrange et inquiétant silence. Extrait 1/2.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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L’ethnorégionalisme veut donc nous amener vers une nouvelle Europe fédérale des ethnies. Traditionnellement, on s’attendrait en conséquence à ce que les pro-européens représentent des soutiens enthousiastes de ces mouvements, quand les souverainistes s’y opposeraient farouchement. Or, c’est aujourd’hui une drôle de lutte à fronts renversés à laquelle nous assistons. Les pro-européens ont compris que l’extrémisme de tels alliés pouvait s’avérer gênant. Il est susceptible de leur aliéner à la fois la confiance des électeurs et, accessoirement, l’appui des États qu’il s’agirait de réduire en charpie. De l’autre, les souverainistes semblent pris dans une cocasse psychose collective, se gargarisant de mots, idées reçues et raccourcis historiques, entretenant avec l’ethnorégionalisme une relation sentimentale à sens unique, qui rappelle celle de la mante religieuse.

L’Europe prise à son propre piège

On prête assez facilement à l’Europe, que l’on peut entendre ici à la fois comme l’Union européenne, mais aussi comme le Conseil de l’Europe, de viles intentions. Dans les cénacles strasbourgeois et bruxellois aurait été décrété le démantèlement des États. C’est tout sauf évident. Bien entendu, il existe des idéologues au cœur de la machine européenne qui jugent que réduire les États en pièces est la condition sine qua non du fédéralisme. Toutefois, l’Europe fut surtout un ventre mou où l’entrisme ethnorégionaliste a permis d’imposer aux nations des normes dont elles n’ont, comme bien souvent, pas mesuré la portée.

Au Conseil de l’Europe, la Charte de l’autonomie locale et surtout la Charte des langues régionales et minoritaires représentent leurs victoires majeures. Cette dernière mériterait, à elle seule, un ouvrage. On se reportera sur ce sujet notamment à ceux que lui ont consacré Charles Saint-Prot, Yvonne Bollmann ou au chapitre qu’y dédie Pierre Hillard. À travers le European Centre for Minorities Issues, la Charte fut principalement influencée par la Föderalistische Union Europaïscher Volksgruppen (FUEV). Celle-ci, déjà évoquée, est financée par le ministère de l’Intérieur allemand, des Länder et des fondations privées allemandes. Elle garde des liens avec des partis et collaborateurs fascisants. Cela ne l’empêche pas de devenir, en 1989, une organisation non gouvernemen‑ tale au statut consultatif au Conseil de l’Europe, et de participer, à ce titre, très activement à ses travaux. On trouve également à l’origine de la Charte européenne des langues régionales, des propositions de textes avancées par des mouvements ethnorégionalistes. C’est notamment le cas de l’Association internationale pour la défense des langues et des cultures menacées  ou l’Internationale Institut für Nationalitätenrecht und Regionalismus. Les projets en question vont servir de base de rédaction et de réflexion. Le texte même de la charte doit beaucoup aux juristes et politistes de l’Université d’Innsbruck. Son histoire et sa position géographique, à la frontière austro-italienne, en ont fait un lieu central de la pensée sur l’Europe des régions. Christoph Pan, Felix Ermacora, Hans R. Klecatsky et Ferdinand Kopp sont ainsi les auteurs de nombreux documents préparatoires et propositions qui conduiront ensuite à la charte. Le fond du texte, et parfois même sa forme, est le fruit d’un intense activisme auprès d’eux des fédérations ethnorégionalistes favorables à une Europe des ethnies. La chose est assumée et même vantée dans la revue Europe ethnica qui en représente le support de dialogue. En cela, le lobbying mené sera parfaitement transparent et même glorifié.

La France et sa vision universaliste sont clairement visées par ces groupes. Dans un rapport de l’European Centre for Minorities Issues, elle est ainsi assimilée à la Biélorussie de Loukachenko. La grande naïveté des élites françaises qui accueillent, pour une part d’entre elles, ce texte avec enthousiasme laisse pantois. En effet, derrière les langues, c’est bien entendu de découpage ethnique de l’Europe dont il est question. En 1993, Jean-Marie Woehrling, expert consul‑ tant auprès du Conseil de l’Europe pour le statut des langues et la coopération transfrontalière le reconnaît  : « Une telle présentation est plus acceptable par les États qu’une affirmation directe des droits des minorités nationales. On ne peut certes protéger des langues sans prendre aussi des mesures en faveur des locuteurs de ces langues, mais celles-ci sont instituées comme la conséquence de la protection des langues, et non comme l’expression de droits particuliers des minorités ethniques. » La Charte reconnaît ainsi des droits collectifs à des groupes ethniques. C’est d’ailleurs ce qui conduira à sa censure par le Conseil constitutionnel. Le principe de base, fonda‑ mental depuis la Révolution, selon lequel le peuple français ne peut être divisé en groupes disposant de droits particuliers aurait dû entraîner l’abandon de la charte. Il apparaît impossible à tout républicain de défendre ce texte. Que nenni, François Hollande tentera à nouveau de faire adopter le projet porté par la garde des Sceaux Christiane Taubira en 2015. Durant la campagne de 2017, Emmanuel Macron en fera également la promesse avant de sagement l’oublier.

Les arguments apportés pour appuyer cette ratification sont spécieux et contradictoires. Devant la crainte de certains que celle-ci conduise à donner des droits linguistiques à des populations allogènes (issues de l’immigration), les promoteurs de la charte jurent qu’il n’en est rien. Cela signifie donc que les soutiens, soi-disant de gauche universaliste, de la charte, acceptent non seulement de reconnaître des groupes, mais de les hiérarchiser. Par ailleurs, comme dans cette affaire les gouvernements n’en sont pas à une contradiction près, ils s’appuient encore sur une déclaration interprétative déposée par Paris. La France a certes émis des réserves sur la Charte. Elle considère que celle-ci ne peut que servir à promouvoir le patrimoine linguistique, et non à accorder des droits collectifs à des locuteurs. Cela serait contraire au principe d’égalité, à celui d’indivisibilité et à l’ensemble de notre tradition constitutionnelle. Toutefois, ces réserves sont juridiquement inopérantes puisque l’article 7, paragraphe 1 de la Charte faisant référence à des groupes n’est pas susceptible de réserves. Ces dernières sont en effet prohibées par l’article 21 de la même Charte qui ne les autorise que pour les paragraphes 2 à 5 de l’article 7. Il est ainsi convenu que ces réserves n’auraient aucun poids devant la CEDH. C’est ce que constate le Conseil d’État, et qui pousse le Sénat à rejeter le texte.

Ceux qui préconisent la ratification de la Charte défendent donc une communautarisation de la société, à dessein ou par bêtise. Comment peut-on d’un côté vouloir combattre le séparatisme et de l’autre ratifier la Charte ? Au-delà de l’opportunisme de certains hommes politiques prônant la ratification du texte sans, sans doute, l’avoir lu, cet activisme en dit en réalité énormément sur la vision de la société promue. 

Extrait du livre de Benjamin Morel, « La France en miettes Régionalismes, l’autre séparatisme », publié aux éditions du Cerf

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