La France bipolaire : le secteur public s’effondre, le secteur privé se rénove et s’affirme<!-- --> | Atlantico.fr
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Le directeur général du groupe CMA CGM Rodolphe Saadé pose avec son frère Jacques Saadé et sa sœur Tanya Saadé, lors de l'inauguration du porte-conteneurs "Antoine de Saint Exupéry", le 6 septembre 2018.
Le directeur général du groupe CMA CGM Rodolphe Saadé pose avec son frère Jacques Saadé et sa sœur Tanya Saadé, lors de l'inauguration du porte-conteneurs "Antoine de Saint Exupéry", le 6 septembre 2018.
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Atlantico Business

Alors que le gouvernement va essayer d’occuper la classe politique pendant les 100 prochains jours, le secteur privé se renouvelle avec des entrepreneurs capitalistes, bien décidés à jouer les locomotives du monde nouveau.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Les « 100 jours » dont lorganisation a été confiée à Elisabeth Borne nont impressionné personne, parce que personne ne croit que le président de la République trouvera les moyens financiers et surtout une majorité politique capable de soutenir un programme de rénovation de la maison France.

Au même moment, le capitalisme français conduit par des hommes nouveaux, plus entrepreneurs, prend la relève des anciens pour impulser un modèle de développement capable de maintenir le pays en tête de la classe mondiale.

Dun côté, Emmanuel Macron essaie de sauver son quinquennat avec un diagnostic que beaucoup partagent sur le mal français mais dont il ne peut pas prescrire les remèdes. De lautre, des chefs dentreprises qui donnent un souffle nouveau au capitalisme français et lui permettent d’échapper au déclin annoncé.

Le diagnostic de la situation économique française sur lequel sappuie le président de la République depuis son arrivée au pouvoir est partagé par toute l’élite française des affaires et de la politique. Le modèle français est malade de son organisation administrative et de lobésité des services de l’État. La protection civile, l’école, la santé, les transports publics, l’énergie…, sans compter la protection sociale… toute la machinerie bureaucratique de la sphère publique coûte affreusement cher pour un résultat qui ne satisfait personne même pas ceux qui en profitent.  Mais lopinion, comme l’élite, se dresse contre toute velléité de réformes qui apporteraient plus defficacité et de performance pour moins cher. La France vit donc sur ses actifs passés (et parfois délabrés) et surtout grâce au crédit que les épargnants du monde entier lui accordent encore.  Ce temps-là ne durera pas.

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Sans majorité, Mme Borne a donc présenté un programme flou et indolore. Elle veut pousser les négociations sur la qualité de vie au travail, préparer la rentrée scolaire et redessiner une politique et un appareil de santé qui tombe en faillite. Mais Mme Borne sera bloquée tant que la gouvernance ne sera pas appuyée par une majorité politique qui est aujourd’hui introuvable. Et avec elle, cest le président de la République qui est bloqué. Ses erreurs et ses maladresses nexpliquent pas tout. Tout se passe comme si ce pays avait fait le choix collectif et quasi culturel du déclin… Sans majorité, il ne pourra rien faire. 

Alors ce qui est extraordinaire, cest qu’à côté de la sphère publique qui senfonce dans le débat permanent et stérile, la sphère privée elle, se défend. La situation économique nest pas mauvaise en dépit des incertitudes internationales et des faiblesses structurelles de lEurope. L’économie française respire : lemploi se porte bien. Il y a du travail dans presque tous les secteurs et la grande majorité des entreprises acceptent dassumer les grandes mutations. Paradoxalement, l’État si critiquable a été très positif et utile pour traverser les périodes les plus critiques.

Pour faire face à la conjoncture compliquée, le monde des entreprises va devoir arbitrer entre les salaires et lemploi. Cest aux partenaires sociaux de gérer cette négociation et ça nest surtout pas à l’État dintervenir.

Le paradoxe de la situation actuelle, cest que face à un État qui a du mal à gérer le changement, les entreprises font le job et précipitent même le changement structurel de leur écosystème.

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Sans éclat, ni bruit, on voit apparaitre dans le monde des affaires des acteurs nouveaux qui écrivent un modèle de développement différent. Jusqu’à maintenant, la sphère privée de l’économie était dominée par les grandes entreprises dorigine publique dailleurs spécialisée dans lEnergie (EDF, Totalenergies, Engie), les transports (Air France). Des grands groupes de la distribution ( Carrefour, Leclerc ), lagroalimentaire ( avec Danone et Lactalis ) et des services financiers ( banques et assurances ). Le socle du modèle économique date du siècle dernier mais il est donc solide avec une faiblesse béante : lindustrie.

Dans lindustrie, hormis le bâtiment, il ne restait que la construction aéronautique partagée avec les européens ( Airbus ) et lautomobile ( Renault et Stellantis, cest-à-dire PSA Fiat ). Depuis presque un demi-siècle, le rôle de locomotives de la création de richesse bien française est assurée par le secteur du luxe hyper florissant et drivé par les stars du CAC 40. LVMH, Hermès et Kering ( Gucci ), LOréal et Chanel ( qui nest pas côté ).

En clair, la puissance française est assurée par ces entreprises qui ont plus d’un demi-siècle

Le fait nouveau depuis quelques années est quon a vu apparaître une nouvelle « race » dentrepreneurs qui sont arrivés très discrètement et qui sont en train de prendre le relais avec une nouvelle forme de capitalisme : Daniel Kretinsky et Rodolphe Saadé notamment qui font la une de lactualité cette semaine.

Daniel Kretinsky va sans doute racheter le groupe Editis à Vivendi que lactionnaire majoritaire Vincent Bolloré est contraint de vendre pour semparer du groupe concurrent Hachette afin de respecter les règles sur la concurrence européenne. Mais dans le même temps, Kretinsky confirme son ambition de prendre le contrôle de Casino, le groupe de distribution de Jean-Charles Naouri qui se retrouve asphyxié par un endettement excessif. Daniel Kretinsky va sortir plusieurs milliards deuros pour participer à cette partie de Monopoly.

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Cet entrepreneur encore assez peu connu du grand public est dorigine tchèque. Il a commencé comme avocat et a investi dans l’énergie thermique. Il a notamment racheté beaucoup de centrales au charbon en Europe, en Allemagne, en Grande-Bretagne… mais pas que. En étant convaincu que le secteur de la production électrique allait être bouleversé.  Il ne sest pas trompé. La guerre en Ukraine a bouleversé toute la géographie du secteur en ranimant les projets nucléaires à long terme mais surtout en obligeant lOccident à réouvrir les centrales au charbon. Il a donc gagné son pari.

Ce qui l'intéresse maintenant cest la distribution. Il est présent chez Metro, il a acheté 25% de Fnac-Darty devenant ainsi le premier actionnaire. Donc Casino tres fragilisé est une cible idéale. Mais il est aussi présent dans le commerce en Grande-Bretagne et cerise du le gâteau, il sest glissé dans le secteur des médias: Marianne, Elle, Télé 7 jours, Franc-tireur, la chaine de télévision B-smart, des parts dans TF1 ( 5% du capital), des web vidéo, etc. etc.  Et surtout le journal « Le Monde » où il est incontournable.

Le deuxième entrepreneur qui fait parler de lui est Rodolphe Saadé, très riche aussi notamment depuis la sortie du covid. Il est président propriétaire de la compagnie maritime CMA-CGM qui a formidablement profité du rebond mondial de laprès covid qui a dopé toutes les activités de transports et de logistique sur la planète. Contrairement au récit politiquement correct qui circule dans Paris, il ne croit pas à la fin de la mondialisation, au contraire. Il vient tout juste de faire une offre à Vincent Bolloré, de lui racheter pour 5 milliards deuros ses activités logistiques et transport dont il cherchait à se débarrasser pour se consacrer au monde des médias et de la communication avec Vivendi Hachette notamment.

Rodolphe Saadé possède une réserve de cash considérable, les bénéfices engrangés après le covid atteignent plus de 25 milliards deuros.  Quil compte investir dans les activités annexes au transport , les activités portuaires, terminaux, stockage, logistique et aérien. Il possède déjà 10 % dAir France-KLM. Les médias l'intéressent  aussi. Il a repris la Provence et lorgne les médias en ligne comme Brut.

Ces deux chefs dentreprises sinscrivent dans une nouvelle forme de capitalisme… le système français est certes encore dominé par les créateurs et animateurs du secteur du luxe : Bernard Arnault bien sûr, mais aussi François Pinault ou Vincent Bolloré. Mais ce trio de tête de l’économie française a démarré dans et grâce à la bourse. Les trois ont tous levé des fonds en bourse et généré leur prise de contrôle par la richesse créée.

Les nouveaux capitalistes français, eux, ne sont pas en bourse et a priori, nen ont pas le projet. Cest aussi le parti pris par de nombreux jeunes patrons du digital. Ils ny sont pas ou alors ils en sont sortis, Xavier Niel par exemple. 

Aucun de ces patrons ne sintéresse officiellement et publiquement à la vie politique. Tous ont internationalisé et même mondialisé leurs activités, mais tous sont attachés à limage de la France à l’étranger. Dans lindustrie du luxe cest une évidence. La signature France, le made in France est leur atout majeur. Les nouveaux capitalistes comme leurs pères ont compris que leur intérêt était de protéger limage de la France. Doù leurs investissements dans les médias français.

Comme Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou François Pinault, Daniel Kretinsky (dorigine Tchèque) et Rodolphe Saadé ( dorigine libanaise ) nont sans doute jamais imaginé travailler ailleurs quen France. Kretinsky noubliera jamais quil a fait ses études à Dijon.  Et  Saadé gardera ses bureaux à Marseille.

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