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La folie naked painting parties en France, c'est pour quand ?
©Business Insider / Charlie Francis

Carton américain

Loin d'être une simple envie de ressembler, le temps d'un soir, à un ver luisant, le naked body painting satisfait ce désir un peu hippie de briser les traditions séculaires de nos sociétés.

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

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Les Naked Painting Parties, miroir de notre société fun et sans engagement.

Au Royaume-Uni la première soirée d’un genre bien particulier a été organisée à la fin du mois de mai. Le concept venu des Etats-Unis consiste, à l’aide d’une peinture fluorescente, à se dessiner sur le corps nu ou vêtu d’un simple bikini. Il n’est pas exclu que la période actuelle amène ce type d’expériences à se développer sous cette forme ou sous une autre, car ces Naked Painting Parties sont sans doute aussi des symptômes de l’évolution de notre société : une survalorisation de l’hédonisme et de la fête, la volonté de vivre de l’instant et de le rendre XXL, le goût du mélange et de la récupération à des fins festives et consommatoires de ce qui est au départ sacré,  chargé de sens religieux ou politique.

Les ancêtres des Naked Painting Parties : tentative de généalogie...

Les Naked Painting Parties sont en effet la réunion de trois modes d’expression dont deux au moins sont extrêmement anciens, et dont tous sont porteurs d’une croyance ou d ’un engagement collectif  : le tatouage, les fêtes de la couleur,  le dénudement collectif. Mais d’une façon spectaculairement dédramatisée et en un sens dépouillée de leur sens originel.

Le tatouage, le fait de décorer son corps et de s’en servir comme d’un support à une expression graphique, c’est une activité tout sauf insignifiante, à l’origine : le mot " tatouage " lui-même ne vient-il pas du tahitien tatau dont dérive l’expression ta atouas, et qui vient des mots " dessin " (ta) et " esprit, dieu " (atua) ? A ce titre, le taouage est indélébile puisqu’il exprime et signifie une appartenance intangible à un groupe fortement structuré, fermé, sélectif, protecteur et en même temps exigeant (appartenance tribale, religieuse, professionnelle, à un groupe de guerriers, à une corporation comme celle des marins, à une confrérie cryptique comme chez les vory v zakone... ).

Dans le même ordre d’idée, les fêtes traditionnelles utilisant les couleurs et le mélange des gens et des genres  dont s’inspirent en un sens  les Naked Painting Parties, comme la Holi pratiquée dans l’hindouisme ou le carnaval pratiqué encore aujourd’hui, plus qu’en Europe, aux Antilles et au Brésil, sont des fêtes très lourdes de sens. Des moments cathartiques ou l’usage de la couleur dit un temps de trêve, de réconciliation, et en même temps de désordre sacralisé et encadré, délimité dans le temps. Faire place à la couleur, dans la Holi comme dans le carnaval, c’est retrouver la folie maîtrisée du charivari du Moyen-Age, la possibilité d’un autre ordre social, pour un jour.

Et le dénudement collectif, qui est sans doute une pratique festive et identitaire plus récente, dans notre imaginaire collectif c’est Woodstock, l’Ile de Sein, les grandes fêtes hippies de la fin des années 60 et des années 70 qui réunissaient des milliers de jeunes autour de la musique, d’une certaine idée de la fête mais aussi d’une certaine idée de la vie, de la société, de ce que devrait être l’avenir.

La fête comme seul horizon de la post-modernité ?

Par rapport à cette " généalogie de la fête " à laquelle elles renvoient, symboliquement et peut-être sans le savoir, on peut se demander si les Naked Painting Parties qui émergent aujourd’hui en Grande-Bretagne ne disent pas la capacité de nos sociétés à récupérer, et en un sens à vider si ce n’est totalement  du moins très largement de leur sens des pratiques séculaires ou en tout cas chargées de sens religieux ou politique.

Avec les Naked Painting Parties, décorer son corps devient un pur jeu totalement dénué de signification – au mieux, c’est un moyen fun d’entrer en relation avec l’autre, de préférence de l’autre sexe, pour aboutir plus rapidement à une relation plus proche, voire plus intime puisque permettant et même provoquant une proximité corporelle ultra-rapide, mais très peu engageante, au fond : je peux interrompre à tout moment. Peindre le corps de l’autre, me laisser peindre par l’autre devient donc l’exact inverse de ce qu’était le tatouage dans les sociétés traditionnelles : plus aucune hiérarchie, plus aucune signification durable, et surtout plus aucune contrainte ni appartenance communautaire : le dessin de l’autre ou sur l’autre obligeait, par sa signification et sa permanence, il se contente aujourd’hui d’amuser, de façon éphémère.

De la même façon, le fait de participer à un rite de groupe qui rappelle la Holi, le carnaval ou le charivari ne dissimule pas le refus de sens que ces fêtes colorées affichent : là où dans la tradition, on participe à un rite collectif qui dit par sa subversion temporaire elle-même la pertinence de l’ordre social (il est juste, le mettre en cause une seule journée et symboliser cette remise en cause par une explosion de vie et de couleur est une façon de le légitimer), on est ici face à une instrumentalisation du groupe à des fins de valorisation et d’affirmation de soi.  Le fait, du reste, qu’il n’est pas de Naked Painting Party réussie sans relais et exposition de soi par et sur les réseaux sociaux exprime cette nouvelle lecture, là aussi volontairement appauvrie en sens, de rites réinterprétés. Ce qui compte, c’est que l’expérience puisse être racontée.  Le dessin corporel et les couleurs ne sont plus là que pour rendre le récit plus amusant, et visuellement plus fort, en un sens.

Quant au dénudement collectif, à l’évidence on est très loin de la signification politique qu’il revêtait explicitement à Woodstock et dans les rassemblement festifs des hippies : nulle revendication aujourd’hui, nulle volonté de transgresser un ordre établi ou d’afficher qu’un autre monde est possible, plus libre, plus heureux, affranchi des contraintes et des tabous de la société bourgeoise. On est simplement dans le fun, la transgression soft, la recherche de la vibe : "the nudity helps level out the playing field; suddenly you have this totally different energy and vibe. I get a lot of people telling me that they’ve met people that they would have never spoken to otherwise." – Sally Golan de Social Exposure, organisateur de l’évènement. Alors que la pornographie se banalise, que la sollicitation sexuelle est permanente (dans la publicité, les magazines, sur le web), les Naked Painting Parties disent une érotisation des rapports de plus en plus décomplexée... Mais dans un cadre strict et hyper contrôlé. Le mot d’ordre n’est pas celui des hippies, " Free Love ", mais au contraire l’érotisation des rapports s’inscrit dans une certaine discipline : le règlement des Naked Painting Parties n’autorise aucun " comportement inapproprié " et prévoit " le respect de l’intimité et du corps de l’autre ".

Les Naked Painting Parties sont-elles alors un symptôme de plus que nous sommes décidément entrés dans ce que Gilles Lipovestki appelait L’ère du vide ? Peut-être en tout cas un signe qu’après " l’homo festivus ", nous sommes entrés dans l’époque de la " génération sans engagement ".

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